En cours de rédaction.
La diffusion et la réception de l'oeuvre de Jacques Delille passe en grande partie par son instrumentalisation au sein des manuels scolaires. Les pédagogues et compilateurs rendent ainsi hommage à l'un des plus grands poètes français de leur époque en le présentant comme un modèle à suivre digne d'être imité par les jeunes élèves.
L'insertion d'extraits de l'Homme des champs dans un ouvrage à visée pédagogique correspond par conséquent à la canonisation de son auteur, qui participe ainsi à la formation du goût classique. En effet, le terme “classique” désigne avant tout un “auteur approuvé, une autorité en son domaine et qu'on propose comme modèle dans les classes”. 1 Le concept de “classicisme” se stabilise au XIXe siècle suite à l'introduction de ce terme par le romancier Stendhal qui tente de s'opposer à ses confrères “imitateurs des grands auteurs” 2 dont il dénonce l'académisme et le manque d'esprit novateur. Conséquemment, il paraît que les pédagogues du XIXe siècle considèrent Delille comme un poète conservateur qui trouve sa place parmi les autres auteurs classiques et canoniques comme Corneille, Racine ou La Fontaine.
–> chronologie? à partir de quand prédomine quel usage?
[En préparation. - Insérer citations d'Alain Choppin à chaque sous-catégorie concernant les manuels]
L'essor du manuel scolaire français va de pair avec le sentiment de fierté nationale qui s'accentue avec la montée au pouvoir de Napoléon mais qui s'annonce déjà dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Petit à petit, le latin perd sa position prédominante dans l'enseignement pour laisser place à la valorisation des productions littéraires françaises. Un petit rappel historique s'impose afin de mieux saisir les particularités des ouvrages qui composent notre corpus.
Les collèges jésuites et la moralisation de la littérature (1540-1772)
En tant qu’ordre enseignant, la Compagnie de Jésus vise à « assurer la formation morale, religieuse et littéraire de l’ “honnête homme” »3. Les études sont organisées selon les principes de leur programme d’études phare, la Ratio studiorum (1598), un ouvrage qui s'adresse aux enseignants et qui définit le programme pédagogique tout en donnant des prescriptions concernant la forme et le contenu des cours. Ces derniers sont tenus essentiellement en latin dans le but « d’accéder à la connaissance des auteurs anciens »4 et l’accent des études littéraires est porté, outre l'étude de textes religieux, sur la rhétorique et la philosophie antique. L’analyse de textes est structurée selon la Praelectio, une méthode qui prévoit un examen en cinq moments en passant par le sujet (exposition de l’argument du texte), l’interprétation (idée principale, éléments essentiels), la rhétorique (les tours et les figures), l’érudition (contexte historique) et la latinité (étude du style particulier d’un auteur).5 Il convient en outre de souligner la participation des Jésuites à des luttes religieuses qui mènent à la répression des écoles protestantes notamment par la révocation de l’Edit de Nantes (1685) sous Louis XIV qui soutient leur combat discriminatoire. Jusqu’à leur bannissement du royaume de France en 1763, la Compagnie de Jésus exerce une influence considérable sur l’éducation de la jeunesse sous l’Ancien Régime.
Les manuels scolaires en usage aux XVIIe et XVIIIe siècles pour l'institution de la jeunesse sont fondées sur l'enseignement religieux et contiennent avant tout ce qu'on appelle une poésie gnomique, c'est-à-dire des “proverbes, sentences, formules bien frappées jouant sur les antithèses et mises au service d'une morale sociale ou civique” 6. Un bon nombre d'ouvrages citant des extraits de l'Homme des champs correspondent en effet à cette catégorie d'ouvrages moralisateurs.
Les Lumières et la sécularisation de l'enseignement
Si l'enseignement était jusque-là une « affaire de gens d'Eglise »7, c'est l'instauration de l'agrégation à Paris en 1766 qui marque un premier pas vers la sécularisation de l'enseignement avec des concours d'admission pour toute personne voulant accéder au corps professoral dans l'une des trois spécialisations (Grammaire, Belles-Lettres et Rhétorique)8. L’idéal d’une éducation laïque fondée sur la raison humaine s'oppose désormais à l'éducation dominante spirituelle, placée sous haute surveillance ecclésiastique9. La multiplication de travaux savants et d’ouvrages de vulgarisation en français fait preuve d'une volonté à légitimer la littérature et les écrivains français. Dans ce contexte on voit naître un souci normatif qui privilégie l'apparition des cours de « poétique » au sein desquels sont établis les codes du « bien écrire » à travers la définition des règles des grands genres (épopée, tragédie, etc.)10. Un nouvel intérêt est ainsi suscité pour une “rénovation pédagogique”11 et des auteurs comme Voltaire (Remarques sur les pensées de M. Pascal) et Rousseau (Émile) mais aussi les auteurs de l'Encyclopédie se questionnent sur les conceptions fondamentales de la transmission des connaissances fondée sur trois objects éducatifs : “la santé et la bonne conformation du corps, la droiture et l'instruction de l'esprit, l'éducation morale”12.
Le professeur de rhétorique Charles Batteux (1713-1780) publie en 1747 son Cours de belles-lettres, ou Principes de la littérature qui est considéré comme le premier manuel de littérature destiné aux élèves. L'auteur présente les auteurs français du siècle de Louis XIV comme les modèles rhétoriques de leur genre respectif (Corneille et Racine pour la tragédie, Molière pour la comédie, La Fontaine pour la fable, etc.) et pose ainsi les fondements du canon littéraire des auteurs classiques. C'est à travers ce principe de la lecture modèle que Batteux entend former le caractère et la conscience morale des élèves qui apprendront ainsi le respect des valeurs morales et religieuses: « Esthétique et éthique se rejoignent et se confondent pour inculquer un habitus : le ‘bon gout’(…) Le Cours de C. Batteux institue un type de rapport à la littérature basé sur le principe du mimetisme; il y a donc une forte cohérence entre l'apprentissage des valeurs par contagion et celui de l'écriture par imitation.»13.
Réformes et projets révolutionnaires
L'éducation nationale occupe une place centrale dès les premières assemblées révolutionnaires, ce qui se reflète dans la multitude de plans d'éducation et de projets relatifs à l'instruction publique proposés durant cette phase de transition et de réformation14. C'est le rapport sur les idiomes de Bertrand Barère de Vieuzac, membre du comité de salut public, prononcé le 27 janvier 1794, qui “déclench[e] l'offensive en faveur de l'existence d'une langue nationale”15 et qui mène la Convention nationale à la décision que le Français sera désormais la langue obligatoire pour tous les documents publics. Dès lors, la langue française est considérée comme élément fondamental de l'unité nationale et sa diffusion ainsi que sa perfection au sein des écoles devient l'une des priorités de l'Etat16.
Suivant la terminologie proposée par André Chervel, on qualifiera de “vulgates grammaticales” les manuels créés au début du XIXe siècle dans le dessein de fournir une base théorique à l'ensemble des problèmes orthographiques du français17. C'est dans la prolongation de la Grammaire de Port Royal que Condillac (Principes généraux de grammaire pour toutes les langues 1775) ou Noël et Chapsal (Nouvelle grammaire française, sur un plan très méthodique 1823) “tentent de faire pénétrer l'esprit de la grammaire générale dans l'enseignement”18 en encourageant l'analyse, c'est-à-dire la reconstruction logique des énoncés. À côté des dictionnaires également utilisés en classe (voir la fiche Usages lexicographiques), l'enseignement de l'orthographe devenu “une grande affaire nationale”19 passe nécessairement par ces manuels de grammaire dont le nombre s'accroit massivement au cours du siècle20. Parallèlement des manuels de grammaire, ce sont les recueils de morceaux choisis comme l'ouvrage phare de Noël et Delaplace Leçons françaises de littérature et de morale publié pour la première fois en 1804 et réimprimé à de multiples reprises, qui connaissent un grand succès éditorial au cours du XIXe siècle.
Il est important de souligner que l'élaboration des livres scolaires restait, malgré une tentative d'imposer des livres officiels de la République 21, dans la responsabilité des pédagogues. Un système d'autorisation permettait néanmoins un contrôle de l'Etat sur les livres destinés à l'instruction des jeunes gens et répertoriés sur les “listes d'ouvrages autorisés dressées par les instances compétentes”22.
La place de la critique littéraire
Un autre phénomène, à savoir l'essor d'une démarche historique promue par La Harpe dans son Lycée ou Cours de littérature ancienne et moderne publié entre 1798 et 1804 permet à la critique littéraire de s'établir en tant que genre au début du XIXe siècle. Bien que les auteurs des manuels scolaires soient pour la plus grande part des pédagogues avec une tâche didactique à remplir qu'ils mettent en avant dans la préface de leur ouvrage, comme par exemple Etienne Jacquemard qui dit ceci :
[…] Il me fallut donc simplifier les points qui méritaient d'être simplifiés, éclaircir les règles qui étaient obscures et en créer même au besoin de nouvelles: c'est à quoi s'est borné tout mon travail. Je hasarde aujourd'hui d'en présenter le résultat au public : je ne m'y serais jamais déterminé, si des personnes de mérite, témoins des progrès de mes élèves, ne m'avaient encouragé à mettre au jour une méthode qui leur paraissait pouvoir être utile aux instituteurs de nos départements, et devoir leur procurer les mêmes succès que ceux que j'ai obtenus.23.
Ils exercent en même temps la fonction de critique littéraire à travers le choix qu'ils opèrent parmi les ouvrages des auteurs français qui leur servent d'exemples. C'est la notion de scolarisation des oeuvres littéraires introduite par Pierre Kuentz pour décrire ce phénomène de modification d'un ouvrage pour l'adapter à son usage en classe24.
C'est la tension créée par cette double fonction (didactique + critique) et l'accent qui est mis sur l'un ou l'autre aspect qui caractérise les manuels scolaires qui présentent Delille alternativement comme :
1° un auteur ayant vaincu avec brio les défis que la langue française lui impose
2° un écrivain possédant une imagination riche et une culture vaste étant capable de varier les métaphores et personnifications à sa disposition
3° un poète qui parvient à charmer par de beaux vers sans pour autant nuire aux moeurs de la jeunesse.
Selon Alain Choppin, il convient de diviser les livres scolaires en deux catégories25. D'un coté, il y a les manuels définis en tant que tels par l'intention de l'auteur ou de l'éditeur qui peut être explicite (mentionnée dans le titre ou la préface), ou manifeste (par la présentation ou la structure de l'ouvrage). Ici, leur caractère scolaire est indépendant de leur usage effectif. De l'autre côté, on observe le phénomène que certains livres deviennent scolaires à cause de leur usage en classe comme il est le cas notamment pour les dictionnaires. L'usage des citations de l'Homme des champs dans ce type d'ouvrage est traité dans la fiche thématique Usages lexicographiques.
Notre corpus se compose en revanche de 27 ouvrages désignés explicitement comme manuels destinés à l'éducation des jeunes élèves avec un objectif didactique clair qui est évoqué soit dans la préface ou qui peut être déduit de leur titre.
Néanmoins, on constate une différence de nature entre ces livres que nous allons présenter plus en détail.
1. Les manuels de grammaire
Le premier groupe d'ouvrages que nous avons repérés est composé de manuels consacrés aux problèmes grammaticaux de la langue française. Les citations de poètes classiques et modernes y servent d'exemples pour illustrer les sujets abordés. Trois ouvrages de notre corpus peuvent être classés dans cette catégorie.
Le professeur Étienne Jacquemard publie deux ouvrages qui comportent des citations du chant 3 de l'Homme des champs, à savoir le manuel Éléments de grammaire française (1805) ainsi que son Abrégé de grammaire française (1811). L'auteur se sert dans les deux ouvrages du vers 154, “Quels sommets ont croulé, quels peuples ont péri !”, comme exemple pour l'utilisation du participe présent invariable:
PARTICIPES PASSÉS INVARIABLES.
(…)
Quels sommets ont croulé! quels peuples ont péri! (DELILLE.)
ont croulé, ont péri qui? quoi?
> Rép.: Rien; conséquemment pas d'accord.
(Rappelez vous d'ailleurs, comme je l'ai déjà fait remarquer, que tout participe-passé d'un verbe neutre ou sans complément-direct, construit avec AVOIR, est nécessairement invariable.) 26
et:
EXEMPLES du premier cas
(…)
Quels sommets ont CROULÉ! quels peuples ont PÉRI!
(DELILLE).
> VERB. INTRANS.27
Le même exemple est utilisé par Prosper Poitevin qui retranscrit également le vers précédant (v. 153) dans sa Grammaire générale et historique de la langue française publiée en 1856. Il se sert de cet extrait du chant 3 pour illustrer la même forme verbale, le participe passé invariable :
II.
(Conjugué avec avoir, sans complément direct.)
(…)
Dans ce désastre affreux quels fleuves ont tari !
Quels sommets ont croulé ! quels peuples ont péri !
(Delille).28
2. Les recueils de morceaux choisis
Avec neuf ouvrages concernés, ce sont les anthologies qui constituent la plus grande catégorie d'ouvrages qui citent Delille dans un but pédagogique. André Chervel remarque à juste titre que la sélection d'un extrait de l'ouvrage d'un auteur implique nécessairement l'écart des passages qui sont jugés inadéquats car de moindre qualité ou audacieux29. En ce sens, il convient de souligner une importante fragmentation de l'oeuvre d'un auteur comme Delille dont les poèmes entrent dans l'enseignement national de façon mutilée voire censurée et dont la réception est influencée à travers les titres qui sont donnés fréquemment aux parties choisies et qui varient d'un recueil à un autre. Outre le souci de la perfection, c'est l'idée d'un apprentissage mimétique qui pousse les pédagogues à présenter des extraits irréprochables à leurs élèves, aussi bien du point de vue stylistique que sur le plan moral.
En parcourant les recueils qui composent notre corpus, on peut constater un certain souci de la part des compilateurs à justifier la nécessité de leur ouvrage en insistant sur les qualités et les nouveautés qu'ils apportent par rapport aux autres anthologies. Ces prises de position nous sont particulièrement précieuses pour essayer de reconstruire le projet pédagogique qui a motivé leur édition ainsi que le choix d'intégrer Delille au sein de ces anthologies.
Le premier recueil qui cite le chant 3 de l'Homme des champs est la Bibliothèque portative des écrivains françois, ou choix des meilleurs morceaux extraits de leurs ouvrages publié en 1803. Cet ouvrage collaboratif du professeur de grammaire et de rhétorique Moysant et du grammairien Lévizac donne une place considérable à Delille en reproduisant le chant 3 dans sa quasi-intégralité sous le chapitre consacré à la “Poésie didactique”. Une nota bene (la seule de tout l'ouvrage) sert d'introduction et de guide de lecture à l'extrait, qui comporte le titre “Charmes de l'étude des trois règnes de la nature”. Même si ce recueil consiste en une simple compilation de morceaux choisis, cette partie est précédée d'un “Discours sur la versification française” et donc d'une introduction théorique qui permet de classer ce livre parmi les manuels scolaires.
La Bibliothèque poëtique de la Jeunesse, ou Recueil de Pièces et de Morceaux de Poësie, porpres à orner l'esprit et à former le goût des Jeunes Gens, sans nuire à leurs moeurs est le deuxième recueil dans notre corpus qui comporte un extrait de l'Homme des champs. Cet ouvrage à forte visée moralisatrice est publié par Joseph Reyre en 1805 dans le but de fournir des lectures aux jeunes gens qui ne constituent aucun danger pour leurs moeurs.
Plusieurs autres ouvrages de notre corpus semblent aller dans le même sens.
Ainsi, le Dictionnaire d'éducation morale, de science et de littérature porte le sous-titre significatif choix de pensées ingénieuses et sublimes, de dissertations et de définitions extraites des plus célèbres moralistes, poètes et savans, pour servir de délassement aux études, former le cœur, orner l’esprit et nourrir la mémoire des jeunes gens. L'inspecteur de la librairie de France, Pierre Capelle, publie cette anthologie en 1824 et insiste dans sa préface sur le moyen mnémotechnique qu'il estime être le fondement de toute éducation :
[…] « Persuadé, d’ailleurs, que le meilleur moyen de faire naître dans le cœur des jeunes gens les principes de la vertu, de leur inspirer le goût des lettres, et de leur donner les premiers éléments des sciences, c’est d’orner leur mémoire de pensées instructives et morales, je crus rendre un service à l’éducation en extrayant de nos moralistes, de nos poëtes et de nos savans, et en rangeant sous la forme commode d’un Dictionnaire les instructions, les pensées qu’il est utile de graver dans l’esprit de la jeunesse. » .30.
On retrouve la même idée chez l'auteur de La Bonne École publié en 1843. L'inspecteur des écoles Chautard est convaincu que cet ouvrage permettrait à l’enfant à travers la lecture d'apprendre rapidement et sans efforts, tous les Faits grammaticaux et les Notions élémentaires de la Religion, de la Morale, des Sciences, des Lettres et des Arts comme l'indique son sous-titre. Le dialogue fictif entre un “vieux Magister” et l’auteur sert de préface à ce recueil et remplit la fonction de guide de lecture :
Le Maître : « Il ne vous reste plus qu’à m’expliquer comment je dois me servir de votre livre. »
L’Auteur : « Le procédé est simple et facile. Vous n’avez qu’à le faire lire d’abord sans commentaires, comme si vous ne vous proposiez que d’exercer votre élève à la lecture. Ensuite vous appelez son attention sur les mots imprimés ou en capitales ou en italiques, en donnant successivement toutes les définitions, toutes les explications commandées par la circonstance. Ma grammaire vous serait pour cela d’un utile secours. »31.
A côté de passages de Boileau, Racine, De Fontanes, Voltaire et d'autres auteurs célèbres, Chautard se sert de la citation suivante de l'Homme des champs pour illustrer les “Terminaisons féminines en E muet. (Avec les exceptions en note.”. Il est important de signaler que l'auteur n'explique pas ce phénomène mais il en donne des exemples classés alphabétiquement sous des mots-clés qui résument le thème des passages utilisés :
BOTANIQUE. L'air du matin, la fraîcheur de l'aurore
Appellent à l'envi les disciples de Flore.
Jussieu marche à leur tête, il parcourt avec eux
Du règne végétal les nourrissons nombreux 32. DELILLE.33.
L'auteur de manuels pédagogiques Jean-Baptiste-Joseph Champagnac publie également un recueil de lectures pour la jeunesse intitulé Le gymnase moral des jeunes gens, ou Nouvelles anecdotiques relatives à quelques uns de nos plus illustres contemporains en 1836. Tout en insistant sur le caractère didactique de son ouvrage, l'auteur affirme ceci :
« Ainsi, quelque beaux, quelque instructifs que soient les exemples tirés des anciennes annales du monde, ils sont loin d’exercer une aussi puissante influence, d’avoir une aussi salutaire efficacité que ceux que nous offre l’histoire moderne, que ceux surtout qui appartiennent au temps présent. »
Concernant la dimension critique de son livre, il constate :
« Nous ne présentons pas ces hommes célèbres comme autant de types de perfection ; c’eût été tomber dans le romanesque ; nous sommes resté dans la réalité, en ne nous attachant à faire ressortir que les qualités qui recommandaient véritablement nos héros. Chez l’un, c’est l’amour de l’étude ; chez l’autre, une courageuse persévérance : celui-ci se distingue par sa force d’âme ; celui-là par ses bonnes œuvres ; cet autre par l’indépendance d’un noble caractère. »
Finalement, il évoque l'oeuvre ainsi que le style de Delille comme suit :
« Ainsi, malgré les sollicitations les plus pressantes, malgré les séductions de tout genre, malgré les efforts de Napoléon au faîte de sa puissance, la muse de Ducis sut conserver son indépendance ; et notre poète ne partagea qu’avec Delille, le chantre ingénieux et sensible de l’Imagination et de la Pitié, la gloire de n’avoir point encensé l’idole du jour, et le mérite d’être demeuré fidèle à ses anciens maîtres, mérite bien rare alors, et dont tant de monde s’est indûment paré depuis. »
L'anthologie Exercices de mémoire et de style mis a la portée des enfants de Guillaume Beleze est publiée en 1846 et s'insère dans un vaste ensemble d'ouvrages pédagogiques que cet ancien chef d'institution à Paris a édités sous le titre Cours d'enseignement élémentaire. Beleze cherche vraisemblablement à se distinguer du grand nombre de recueils de morceaux choisis publiés vers le milieu du XIXe siècle qui sont, selon lui tous “calqués sur les Leçons de Littérature de Noël et de Laplace”34 et destinés à des étudiants déjà initiés à l'étude de la langue française. Les morceaux de poésies et de prose choisis par lui seraient donc plus accessibles aux jeunes enfants et l'auteur a pris soin d'annoter les différentes pièces. Beleze opère également une séparation des morceaux choisis entre des textes plus courts et plus simples à comprendre en début du recueil et des textes plus longs et “d'un ordre plus élevé”35. Néanmoins, le pédagogue rejoint l'avis de ses confrères concernant la dimension moralisatrice de son ouvrage :
Ce que nous avions à faire surtout, c'était de choisir avec conscience, après un examen sévère, les divers morceaux qui devaient entrer dans ce recueil, de les varier, en un mot de n'offrir aux enfants que des modèles de pensée et de style, pour leur donner de bonne heure le sentiment du bon, du vrai et du beau. C'est là le but que nous nous sommes proposé et que nous serions heureux d'avoir atteint.36
lieu commun: tous les compilateurs veulent justifier la nécessité de leur ouvrage: stratégie de vente? Innovation questionnable, lui aussi choisit le passage de l'hérborisation pour son recueil, comparer les tables des matières…
L'ouvrage du pasteur et pédagogue neuchâtelois Jean-François-Daniel Andrié publié en 1859 sous le titre Lectures pour les enfants de six à douze ans constitue un cas à part.
3. Les ouvrages historiques
Deux ouvrages de notre corpus peuvent être rattachées à l'enseignement de l'histoire de la littérature. Ces recueils, au lieu de constituer une simple compilation de textes classés par thèmes, proposent un véritable parcours historique et biographique des auteurs en les classant par genres et par époques. En effet, on y trouve de longues introductions biographiques sur les auteurs abordés, une brève analyse stylistique ainsi qu'un résumé de la réception de leurs ouvrages phares dont on peut lire des extraits significatifs en fin de chapitre.
Douze pages de l'Histoire de la littérature française publié en 1876 par Frédéric Godefroy sont consacrés à notre auteur. Même s'il est classé parmi les poètes du dix-hutième siècle, Delille est présenté d'emblée comme auteur qui marquerait la transition du dix-huitième au dix-neuvième siècle.
Godefroy évoque la traduction en vers des Géorgiques de Virgile comme un coup d'essai qui suscita aussi bien des louanges (de la part de Louis Racine et de Voltaire) que des critiques sévères (notamment celle de le Brun). Après avoir illustré ces deux opinions, l'auteur en vient à la conclusion suivante :
La vérité est que cette traduction a de très-beaux détails, et qu'elle témoigne d'un rare mérite de versification, mais cette image enluminée, selon une expression de Collé, ne rend pas au vrai les Géorgiques. L'élégant versificateur ne s'est pas aperçu combien les beautés simples et mâles de Virgile étaient au-dessus de l'esprit. Les morceaux traduits par Malfilâtre ont plus de force, plus de verve, plus de fidélité, et respirent un meilleur goût de style. Chateaubriand a convenablement tempéré l'éloge et la critique, quand il a dit: “Le chef-d'oeuvre de Delille est sa traduction des Géorgiques (aux morceaux de sentiment près); mais c'est comme si vous lisiez Racine traduit dans la langue de Louis XV: on a des tableaux de Raphaël, copiés par Mignard; tels sont les tableaux de Virgile, calqués par l'abbé Delille37.” 38
Avec 45 pages de son ouvrage, l'abbé Henry accorde encore plus de place à Delille dans son Histoire de la poésie publié en 1858 39. Sous le chapitre consacré à la poésie descriptive, notre auteur est présenté à côté de Saint-Lambert (avec lequel il est également comparé au cours de l'ouvrage), et Roche. Contrairement à Godefroy qui s'exprime ouvertement en défaveur de la traduction de Delille, Henry relativise les critiques en insistant sur le caractère novateur de l'entreprise :
Voltaire dut accueillir un disciple de cette poésie facile, spirituelle et brillante, qu'il ne concevait guère, pour son compte, plus profonde et plus sévère. Delille, arrivant sous leurs auspices, favorisé et comme autorisé des maîtres, fut novateur sans y viser, et en s'efforçant plutôt de ne pas l'être. Comme Ovide, il eut le culte de ses devanciers, dont il allait corrompre si agréablement l'héritage. (…) Si Delille ne peut être dit le fils bien légitime des célèbres poètes ses prédécesseurs, il fut du moins pour eux, dès qu'il parut, comme un filleul gâté et caressant. 40
et
Dans André Chénier, dans plusieurs des poètes du XVIe siècle, qui ont imité ou traduit des fragments des poètes anciens, le sentiment exquis du modèle, ce sentiment que je ne puis définir autrement que celui de l'art même, se révèle à qui est fait pour l'apprécier. Il n'y a pas trace de ce genre de sentiment chez Delille, qui a d'ailleurs, dans sa traduction, le mérite aussi de la continuité et de la longueur de la tâche, et enfin celui d'avoir fait connaître agréablement aux femmes et à une quantité de gens du monde un beau poème qui n'était pas lu.
En un mot, il a rendu, pour les Géorgiques, le même service à peu près que l'abbé Barthélemy allait rendre pour la Grèce. Il a été par sa traduction, une espèce d'Anacharsis parisien de la campagne et de la poésie romaine. 41
4. Les cours de littérature
–> ouvrages mixtes, réunissent des éléments de l'analyse grammaticale avec l'analyse stylistique ainsi que des éléments historiques –> une sorte de prolongation des recueils, semblent s'adresser d'avantage aux instituteurs qu'aux élèves.
* Girard, Cours éducatif de langue maternelle à l'usage des écoles et des familles 1848 sert à familiariser les élèves avec les règles de la versification, les locutions figurées (comme les métaphores, les allégories et les personnifications) et des éléments de mythologie à l'aide d'un choix de citations des poètes français
* Boucharlat, Cours de littérature faisant suite au “Lycée” de La Harpe, tome 2 (1826) Mathématicien, poète et professeur Véritable critique littéraire, longue analyse d’extraits l’Homme des champs !!!
Discours préliminaire t.1 (1826) : « L’art d’écrire, comme celui de peindre, ne devient la possession que de l’homme qui s’est bien exercé à bien voir. Depuis Boileau jusqu’à La Harpe, il a paru sur cet art un grand nombre d’ouvrages ; mais, il faut en convenir, ces traités ont en général peu contribué à épurer le goût, et à nous faire connaître les beautés de notre littérature.
La plupart se bornent à une énumération des figures de rhétorique, à des développemens des préceptes d’Aristote, de Cicéron et de Quintilien, à une courte exposition des qualités caractéristiques de nos grands écrivains, et à des exemples appropriés aux préceptes ou aux titres généraux, mais sur lesquels l’auteur se permet rarement des observations. » (ii-iii)
Sur Delille p. xviii-xx (louanges) « On se croit encore autorisé par l’exemple de Delille, qui souvent s’est permis certaines innovations dans le style ; mais il faut remarquer que les écrivains du siècle de Louis XIV, après avoir fixé notre langue poétique, avaient laissé une lacune à remplir dans le genre didactique.
C’est ce que Delille sentit en traduisant les Géorgiques ; et, par les difficultés qu’il surmonta, il reconnut la nature de son talent, et se fraya une route tout-à-fait nouvelle.
Il s’aperçut qu’il existait un grand nombre d’objets dépendans de nos relations les plus habituelles, et sur lesquels la poésie ne s’était point encore exercée.
Ce fut un champ aussi vaste que la nature qui s’ouvrit aux efforts de son génie, et qui fournit à ses pinceaux une grande variété de couleurs aussi fraîches que neuves ; on lui pardonna l’imperfection de ses plans en faveur des brillans morceaux que nous ne posséderions pas, si l’ordonnance de ses poëmes ne leur était quelquefois sacrifiée.
En parlant de notre littérature, il eût été difficile, messieurs, de ne pas nommer cet habile traducteur des Géorgiques que La Harpe appelait notre Delille. Il est à regretter que, dans son Cours de littérature, on n’ait pu voir figurer ce poëte et quelques autres qui, comme lui, ont agrandi la gloire de ce siècle, et qui recommandent les noms suivans à la postérité ; Ducis, Chénier, Legouvé, Luce de Lancival, Collin d’Harleville, Saint-Ange, Fontanes, Esmenard, Millevoye, Le Brun, Vigée, etc. (…)
p. Xxii « Cependant lorsque nous ferons connaître les beautés ou les défauts habituels d’un auteur, nous évitérons de tomber dans ces critiques minutieuses qui rétrécissent les vues de l’esprit, et ne tendraient qu’à nous jeter dans la diffusion, en nous écartant de notre sujet. »
* Répertoire de la littérature ancienne et moderne (1825) Contenant : 1° Le Lycée de La Harpe, les Éléments de littérature de Marmontel, un choix d’articles littéraires de Rollin, Voltaire, Batteux, etc. ; 2° Des notices biographiques sur les principaux auteurs anciens et modernes, avec des jugements par nos meilleurs critiques, tels que : — 3° des morceaux choisis avec des notes
* Brunel, Cours de mythologie, Orné de morceaux de Poésie analogues à chaque article. Ouvrage qui manquait à l’éducation. (1807) (ancien) professeur de belles-lettres
* Bescherelle, Cours complèt de langue française, tome VII (1859)
* Bonnel, Du langage de l'imagination. Nouveau traité de littérature (1865)
5. Les manuels de français langue étrangère
Important élément: la prononciation!
Le recueil Le littérateur ou morceaux choisis des meilleurs écrivains français est publié en 1824 par E. Mansart qui avoue dans sa préface avoir adopté la nouvelle méthode de Noël et Delaplace concernant le classement des différents extraits “sous les titres de Narrations, Tableaux, Descriptions etc.”42. Mansart donne le titre “L'Hérborisation” au passage tiré de l'Homme des champs sans fournir d'autre commentaire à l'extrait. –> ouvrage pour les étrangers?
On a fait précéder cet ouvrage, dans la vue d'augmenter son utilité, des observations du célèbre lexicographe M. Boiste sur la prononciation, et du traité de versification française de M. Letellier. Il nous semble impossible que les étranger puissent acquérir la prononciation d'une langue par une prononciation figurée de cette langue; car ils n'obtiennent de cette manière qu'une prononciation imparfaite sous tous les points, et contractent des habitudes vicieuses de prononciation que tous les efforts réitérés d'un bon maître et de longues études de leur part peuvent à peine détruire. Mais cependant nous croyons que, dirigés par une personne qui prononce bien, des observations à ce sujet peuvent leur être utiles et les conduire à une prononciation plus correcte. Il nous semble aussi nécessaire que les étudians, pour bien comprendre le langage de la poésie française et pouvoir en juger, en connaissent les règles et le mécanisme.43
- Bué, Exercices sur les formes idiomatiques comparées (1888)
- Chrestomathie française avec un vocabulaire français-Russe-Allemand, et un supplément, contenant des notes biographiques sur les auteurs classiques français les plus célèbres (1832)
–> Recueil de morceaux choisis destinés à l’enseignement
Divisé en prose et poésie, « Tableaux » Les Alpes Delille, aucun commentaire
- Ladreyt, A new practical system for teaching and learning the french pronunciation, in seven lessons ; illustrated and supported by numerous examples from the best french poets (1841)
Observations, p.X : « Let the learner pronounce every word and syllable freely, boldly, and as plainly and distinctly as possible, from the first lesson, without perplexing his mind with unintelligible rules, false directions, and nonsense upon nonsense.
To acquire the pronunciation of a language other than that which one is accustomed to speak, is somewhat to change the course of nature, that is, to give a new direction to the organs of speech ; and, in order to accomplish this in a very short time, it is necessary to strike a hard blow in the beginning. It is, therefore, of the utmost importance for the learner to pronounce not only every word, but every syllable forcibly, loudly, and with a sort of emphasis, that he may easily distinguish and ascertain the real value of each syllable, and catch every sound with readiness and accuracy.”
Delille: p. 75: “The following sixty lines contain a recapitulation of all the lessons.”\\
- Meynier, Oeuvres de Jacques Delille (1803)
Pédagogue
6. Les revues
Le statut de l'extrait de Delille varie selon le type d'ouvrage:
Auteur de la page — Sarah Brämer 2017/04/12 16:25