chrestomathie

Chrestomathie française

Voir la synthèse thématique sur les usages pédagogiques.

La Chrestomathie française imprimée à Saint-Pétersbourg, dont la troisième édition date de 1832, est une anthologie sans nom d'éditeur (outre celui de l'imprimeur, la veuve Pluchart), et sans préface qui en exposerait les principes. Le fait que l'ouvrage soit accompagné d'un vocabulaire français-russe-allemand et, comme l'annonce la page de titre, de “notes biographiques sur les auteurs classiques français les plus célèbres” suggère qu'il remplit une double fonction : contribuer à l'entretien de la langue et de la culture littéraire françaises auprès du public russe. La présence de nombreuses fables en vers permet également de supposer que les enfants comptent parmi les destinataires de l'anthologie.

Les 163 extraits retenus sont répartis selon des catégories qui relèvent du genre, du registre ou du contenu. La partie en prose contient des pensées et maximes, fables et allégories, narrations, tableaux, descriptions, définitions, textes de “philosophie pratique”, lettres, discours et morceaux oratoires, dialogues philosophiques, et caractères ; et la partie poétique des fables, tableaux, descriptions, définitions, textes de philosophie pratique, et morceaux lyriques. Le choix des auteurs retenus met l'accent sur les XVIIe et XVIIIe siècles, présentés comme ceux de la littérature française “classique”. Delille entre donc dans cette catégorie qui court de Molière à Casimir Delavigne.

Le morceau du troisième chant de L'Homme des champs consacré aux Alpes est cité largement, mais avec une coupe non signalée : les vers 319 à 326 qui portent sur les différentes roches de la montagne. Cette coupe laisse supposer que les auteurs empruntent l'extrait à des anthologies antérieures, peut-être à celle de Noël et La Place.

Le passage est reproduit dans la partie poétique ; c'est le troisième texte de la section “Tableaux”, où Delille côtoie Nicolas Boileau, Louis de Fontanes, Évariste de Parny et Charles-Hubert Millevoye.

               35. les alpes.

     Sur ces vastes rochers confusément épars,
Je crois voir le Génie appeler tous les arts.
Le peintre y vient chercher, sous des teintes sans nombre,
Les jets de la lumière et les masses de l'ombre.
Le poète y conçoit de plus sublimes chants ;
Le sage y voit des mœurs les spectacles touchants.
Les siècles autour d'eux ont passé comme une heure,
Et l'aigle et l'homme libre en aiment la demeure ;
Et vous, vous y venez, d'un œil observateur,
Admirer dans ses plans l'éternel Créateur.
     Là, le Temps a tracé les annales du monde.
Vous distinguez ces monts, lents ouvrages de l'onde ;
Ceux que des feux soudains ont lancés dans les airs,
Et les monts primitifs nés avec l'univers ;
Vous fouillez dans leur sein, vous percez leur structure,
Vous y voyez empreints Dieu, l'homme et la nature :
La nature, tantôt riante en tous ces traits,
De verdure et de fleurs égayant ses attraits ;
Tantôt mâle, âpre et forte, et dédaignant les graces ;
Fière, et du vieux chaos gardant encor les traces.
Ici, modeste encore au sortir du berceau,
Glisse en mince filet un timide ruisseau ;
Là, s'élance en grondant la cascade écumante ;
Là, le Zéphyr caresse ou l'Aquilon tourmente ;
Vous y voyez unis des volcans, des vergers,
Et l'écho du tonnerre et l'écho des bergers ;
Ici, des frais vallons, une terre féconde ;
Là, des rocs décharnés, vieux ossements du monde ;
A leur pied le printemps, sur leur front les hivers.
     Salut, pompeux Jura ! terrible Mont-Envers ;
De neiges, de glaçons, entassements énormes ;
Du peuple des frimas colonnades informes ;
Prismes éblouissants dont les pans azurés,
Défiant le soleil dont ils sont colorés,
Peignent de pourpre et d'or leur éclatante masse ;
Tandis que, triomphant sur son trône de glace,
L'hiver s'enorgueillit de voir l'astre du jour
Embellir son palais et décorer sa Cour !
Non, jamais au milieu de ces grands phénomènes,
De ces tableaux touchants, de ces terribles scènes,
L'imagination ne laisse, dans ces lieux,
Ou languir la pensée, ou reposer les yeux.
               Delille. Géorg. Françaises1.

Vers concernés : chant 3, vers 305-318 et 327-354

  • Accès à la numérisation du texte (3e éd., 1832) : Google Books.

Auteur de la page — Timothée Léchot 2018/10/10 00:22
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/15 22:20


1 Chrestomathie française. Avec un vocabulaire français-russe-allemand, et un supplément, contenant des notes biographiques sur les auteurs classiques français les plus célèbres. Troisième édition. Considérablement augmentée, Saint-Pétersbourg, veuve Pluchart, 1832, p. 199-200.