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Jules Bué, Exercices sur les formes idiomatiques comparées

Voir la synthèse thématique sur les usages pédagogiques.

On ne maîtrise pas encore une langue quand on connaît son vocabulaire et sa grammaire. Cette constatation est à l'origine des Exercices sur les formes idiomatiques comparées, publiés en 1873 par Jules Bué. L'auteur y rassemble sous la forme de dialogues des expressions propres à l'anglais et au français, dans l'espoir que son travail servira aux enseignants du français comme langue étrangère.

Les Exercices sont publiés dans deux volumes symétriques : les dialogues français de l'un correspondent exactement aux dialogues anglais de l'autre. Chaque phrase peut donc être mise en regard de son équivalent dans l'autre langue, non pas dans un esprit de traduction littérale, mais pour comparer les tournures propres à chaque idiome. La méthode de Bué est reçue favorablement : son manuel sera longtemps réédité, et imité pour l'apprentissage de l'allemand.

Sans indication d'auteur ni d’œuvre, deux vers du troisième chant de L'Homme des champs apparaissent dans le trente-sixième et dernier dialogue du volume. La conversation porte sur la mer et joue avec humour sur la confrontation d'un registre poétique avec le prosaïsme d'un baigneur qui se préoccupe peu de réciter des vers. Les alexandrins de Delille (ligne 1752) ont donc un effet comique dans cette conversation, de même que les autres vers cités d'Alphonse de Lamartine (ligne 1750) et de Jean Racine (ligne 1754). C'est sans doute la tournure idiomatique se sentir saisi de crainte qui intéresse le pédagogue dans le bref extrait emprunté à Delille.

               XXXVI.

1749. Je m'attendais bien à vous rencontrer ici.

1750. “Que j'aime à contempler dans cette anse écartée
La mer qui vient dormir sur la grève argentée,
     Sans soupir et sans mouvement !”

1751. Ah ! si vous tournez à la poésie, nous sommes perdus. Il ne faut pas vous laisser aller comme cela à vos impressions.

1752. “O mer, terrible mer, quel homme à ton aspect
Ne se sent pas saisi de crainte et de respect !”

1753. Attendez donc que nous ayons une belle tempête pour parler de crainte.

1754. “Les vents agitent l'air d'heureux frémissements,
Et la mer leur répond par ses mugissements.”

1755. Tant pis, car si la mer est grosse demain, je ne pourrai pas me baigner.

1756. Comment ! vous ne donneriez pas un bain pour contempler le beau spectacle d'une mer agitée ?

1757. J'aime mieux voir cela l'hiver, alors que l'orage ne vient pas déranger mes plans.

1758. Votre prose, hélas ! me fait tomber des hauteurs de la poésie où je m'étais élevé pour me rendre digne de contempler cette immensité.

1759. Votre chute ne vous fera pas grand mal sur cette plage de sable.

1760. Quelles mauvaises plaisanteries vous faites1 !

Dans le volume consacré à l'anglais, la ligne 1752 offre cet équivalent aux vers de Delille : “Oh, ruthless ocean ! as we gaze on thee / We must confess thy dreadful majesty2.”

Vers concernés : chant 3, vers 225-226


Auteur de la page — Timothée Léchot 2018/10/05 21:37
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/15 21:48


1 Jules Bué, Exercices sur les formes idiomatiques comparées. Partie française. Par Jules Bué, Honorary M. A. of Oxford; Taylorian Teacher of French, Oxford; Examiner in the Oxford Local Examinations from 1858; &c., Londres, Paris, Librairie Hachette & Cie, 1873, p. 142-143.
2 Jules Bué, William Collett Sandars, Class-Book of Comparative Idioms. English-French. By Jules Bué, Memorary M. A. of Oxford; Taylorian Teacher of French, Oxford; Examiner in the Oxford Local Examinations from 1858; &c. and W. Collett Sandars, Taylorian Exhibitioner, Oxford, Londres, Paris, Librairie Hachette & Cie, 1873, p. 132.