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Champagnac, Gymnase moral des jeunes gens

Dans Le Gymnase moral des jeunes gens, ou Nouvelles anecdotiques relatives à des hommes célèbres de notre siècle (1836), le pédagogue Jean-Baptiste-Joseph Champagnac entend nourrir et exercer les bonnes dispositions de ses petits lecteurs en leur proposant pour modèles différentes personnalités.

C'est notamment le cas du chapitre intitulé “Haüy et Lamarck, ou les Vertus compagnes du vrai savoir”, dans lequel le minéralogiste Haüy est conduit à admirer un tout jeune botaniste, aussi savant que modeste, auquel le narrateur invite son petit public à s'identifier. Il s'avèrera in fine n'être autre que Lamarck.

Sans grande surprise, Champagnac insère une longue citation du passage de L'Homme des champs consacré à l'herborisation lorsque son récit évoque cette activité.

La rencontre avec Lamarck se passe dans les “environs de Montmorency”, où Haüy, selon le narrateur, affectionnait de se rendre, en hommage à Rousseau pour qui Mme d'Épinay y avait fait bâtir un ermitage1.

Ni le nom de Delille, ni le titre de l'œuvre source ne sont donnés : Champagnac se contente de parler du “poète”, signe du statut célèbre qu'il accorde à ces vers. Mais le narrateur rappelant qu'Haüy fut le disciple de Jussieu, cette discrétion permet aussi d'accréditer l'idée que les vers de Delille, qui évoquent précisément ce savant, forment l'équivalent des souvenirs du minéralogiste…

     Haüy se promenait assez fréquemment, pendant ses vacances, dans cette forêt épaisse, tantôt herborisant, tantôt faisant quelque lecture, sous ces ombrages frais et touffus, dans ces lieux solitaires, où l'on n'entend d'autre bruit que le doux murmure des eaux, et les chants divers des musiciens ailés de ces galeries de verdure.
     Un jour qu'il faisait une de ces promenades, il aperçut de loin, sur la lisière de la forêt, un jeune homme dont le costume était à peu près celui d'un homme de la campagne ; sa tête était couverte d'un grand chapeau de paille ; son grand portefeuille attaché en bandoulière, apprit aussitôt à Haüy que cet étranger était, pour le moins, un amateur de botanique. Ce dernier était tellement occupé de la recherche de ses végétaux, que Haüy, très-bien posté pour l'examiner, put suivre tous ses mouvements sans en être remarqué ; il le voyait tantôt se baisser avec empressement, comme s'il eût craint que la plante trouvée ne lui échappât ; tantôt regarder avec attention, à la loupe, les diverses parties de quelques fleurs. Haüy, s'associant par la pensée à ses intéressantes recherches, prenait plaisir à le suivre des yeux, et se rappelait en ce moment, avec un plaisir extrême, les herborisations qu'il avait faites lui-même, d'abord avec Lhomond, plus tard avec Jussieu. Comme le dit très-bien le poète :

     Ce ne sont point ici de ces guerres barbares,
     Où les accents du cor et le bruit des fanfares
     Épouvantent de loin les hôtes des forêts ;
     Paissez, jeunes chevreuils, sous vos ombrages frais ;
     Oiseaux, ne craignez rien : ces chasses innocentes
     Ont pour objets les fleurs, les arbres et les plantes ;
     Et des prés et des bois, et des champs et des monts,
     Le portefeuille avide attend déjà les dons.
     On part ; l'air du matin, la fraîcheur de l'aurore,
     Appellent à l'envi les disciples de Flore.
     Jussieu marche à leur tête ; il parcourt avec eux
     Du règne végétal les nourrissons nombreux.
     Pour tenter son savoir, quelquefois leur malice
     De plusieurs végétaux compose un tout factice ;
     Le sage l'aperçoit, sourit avec bonté,
     Et rend à chaque plant son débris emprunté.
     Chacun dans sa recherche à l'envi se signale ;
     Étamine, pistil, et corolle, et pétale,
     On interroge tout. Parmi ces végétaux,
     Les uns vous sont connus, d'autres vous sont nouveaux :
     Vous voyez les premiers avec reconnaissance,
     Vous voyez les seconds des yeux de l'espérance ;
     L'un est un vieil ami qu'on aime à retrouver,
     L'autre est un inconnu que l'on doit éprouver.
     Et quel plaisir encor lorsque des objets rares,
     Dont le sol, le climat, et le ciel sont avares,
     Rendus par votre attente encor plus précieux,
     Par un heureux hasard se montrent à vos yeux !

     Telles étaient à peu près les douces images qui venaient en foule se retracer au souvenir de l'abbé Haüy. Cependant, en poursuivant sa promenade, il se rapprochait de l'inconnu, avec l'intention et le désir de lier, s'il était possible, conversation avec lui, pour avoir occasion de parler d'une de ses sciences favorites2.


Vers concernés : chant 3, vers 411-438.

Dans la gravure, non signée, qui représente le dialogue que Haüy et Lamarck vont entamer, la posture et l'habillement (chapeau, cane et manteau long) prêtés au minéralogiste ne sont pas sans rappeler ceux du personnage qui accompagne Rousseau, dans l'image réalisée en 1800 par Guérin pour illustrer les vers de Delille.

Source : Gallica.

Champagnac n'évoque pas Delille dans cette seule section de l'ouvrage. Il cite des vers de La Pitié à propos de la “charité chrétienne3”, et discute de façon plus générale des qualités de son œuvre dans d'autres passages.

Accès à la numérisation du texte : Gallica.


Auteur de la page — Hugues Marchal 2017/11/19 18:32


1 Jean-Baptiste-Joseph Champagnac, Le Gymnase moral des jeunes gens, ou Nouvelles anecdotiques relatives à des hommes célèbres de notre siècle [1836], cité d'après l'édition intitulée Le Gymnase moral des jeunes gens, ou Nouvelles anecdotiques relatives à quelques-uns de nos plus illustres contemporains, Paris, Librairie de l'enfance et de la jeunesse, Lehuby, n. d., p. 195.
2 Id., p. 196-198.
3 Id., p. 260.