Jean-Louis Boucharlat, Cours de littérature
Présentation de l’œuvre
Le Cours de littérature (1826) de Jean-Louis Boucharlat se présente comme un appendice au Lycée (1799), monument de critique littéraire rassemblant les conférences de Jean-François de La Harpe à la fin du 18e siècle. Dans le “Discours préliminaire”, Boucharlat rend hommage à son prédécesseur. Depuis la mort de celui-ci, en 1803, l'état de la littérature française a passablement évolué et le critique du 19e siècle peut légitimement prolonger l'entreprise du Lycée. Toutefois, une des principales lacunes qu'il souhaite combler, c'est l'absence de Delille dans la somme de La Harpe. Accordant une place considérable à ce poète, le Cours de littérature compte parmi les ouvrages de critique qui implantent l'auteur de L'Homme des champs dans le canon littéraire et scolaire du 19e siècle.
Citations
Le second tome du Cours, dédié à la poésie, commence par un chapitre sur les “Poëmes de J. Delille, sur les agrémens de la vie rurale”. Ce chapitre consacre deux sections distinctes à L'Homme des champs et aux Jardins. Le chapitre suivant porte sur les “Poëmes descriptifs de J. Delille”, à savoir L'Imagination et Les Trois Règnes de la nature. Viennent ensuite les “Traductions de J. Delille”, Le Paradis perdu de Milton, L'Énéide et Les Géorgiques de Virgile. L'ensemble forme une dissertation de trois cents pages sur la poésie de Delille, soit près des deux tiers du volume, révélant la place importante −\ ici presque écrasante\ − que le poète occupe en 1826 dans le canon.
Dans la section sur L'Homme des champs, Boucharlat présente la poésie didactique du 18e siècle comme une conséquence du dégoût du public français pour l'épopée, dégoût qui se combine avec “l'influence des idées scientifiques1”. Au moment d'aborder le poème de Delille, Boucharlat recourt à un topos de la critique : comparer les mérites respectifs de Saint-Lambert et de Delille, le plus souvent à l'avantage de celui-ci. Moins qu'au projet didactique des poètes, le critique s'intéresse au style et au maniement de la versification. La supériorité de Delille se manifeste notamment dans le morceau, très commenté, du troisième chant sur son chat Raton :
Dans de semblables morceaux [semblables à la peinture du magister de village], ce sont les effets qu'on doit principalement considérer ; et il faut avouer que l'auteur les a rendus avec un talent supérieur. Ils sont encore portés fort loin dans cette apothéose de son chat :
Mais si quelque oiseau cher, un chien, ami fidèle,
A distrait vos chagrins, vous a marqué son zèle,
Au lieu de lui donner ces honneurs du cercueil
Qui dégradent la tombe et profanent le deuil,
Faites-en dans ces lieux la simple apothéose :
[…]
Ou bien le dos en voûte et la queue ondoyante,
Offrir ta douce hermine à ma main caressante,
Ou déranger gaîment par mille bonds divers
Et la plume et la main qui t'adressa ces vers.
Ce morceau appartient au genre de Boileau, pour la manière dont tous les traits en sont caractérisés, et à celui de Voltaire, pour ce ton léger et badin, qui donne tant de grâce au style ; mais ces expressions communes, on veut le voir, je veux te voir, si près l'une de l'autre, sont des négligences2.
Vers concernés : chant 3, vers 627-650
Immédiatement après, Boucharlat félicite Delille de donner du mouvement à son texte et de plonger le lecteur dans de grandes contemplations, lorsqu'il compare le spectacle actuel de la nature à son état ancien. Le critique est particulièrement sensible aux effets du vers delillien sur le lecteur et à la variété des procédés que le poète met en œuvre pour les produire :
Ainsi nous éprouvons un sentiment profond de retour sur nous-mêmes, lorsque, fouillant dans les entrailles de la terre, il [Delille] nous montre
Ces cirques, ces palais, ces temples, ces portiques ;
Ces gymnases, du sage autrefois fréquentés,
D'hommes qui semblent vivre encor tout habités :
Simulacres légers, prêts à tomber en poudre,
Tous gardant l'attitude où les surprit la foudre.
L'auteur laisse ensuite agir plus l'imagination que les sens, lorsqu'il s'écrie :
Composé des dépôts de l'empire animé,
Par la destruction ce marbre fut formé.
Pour créer les débris dont les eaux le pétrirent,
De générations quelles foules périrent !
Mais pour imprimer dans l'âme des idées sombres et philosophiques, l'auteur n'a pas besoin de reproduire sous nos yeux ces vestiges du ravage des temps, il lui suffit de peindre ainsi les horribles glaciers de la Suisse :
Salut, pompeux Jura ! terrible Montanverts !
De neiges, de glaçons, entassemens énormes ;
Du temple des frimas colonnades informes !
Prismes éblouissans, dont les pans azurés,
Défiant le soleil dont ils sont colorés,
Peignent de pourpre et d'or leur éclatante masse ;
Tandis que, triomphant sur son trône de glace,
L'hiver s'enorgueillit de voir l'astre du jour
Embellir son palais et décorer sa cour !
Les syllabes longues et traînantes qui composent les trois premiers vers, imitent parfaitement la lourdeur des objets que le poëte met sous nos yeux, et ce n'est pas encore sans dessein qu'il a placé le mot de masse à la fin de sa phrase. Mais là où il a réuni toutes les beautés de la poésie à celle du grand spectacle de la nature, c'est lorsqu'il nous présente tous ces objets majestueux sous la forme de l'allégorie, et nous montre le temple des frimas, les colonnades informes et le trône de l'hiver, etc. Tout cela est conforme à l'esprit de la poésie, qui, comme le dit Boileau,
Se soutient par la fable et vit de fictions3.
Vers concernés : chant 3, vers 164-168, 205-208, 342-350
Lien externe
- Accès à la numérisation du texte : Gallica.
Auteur de la page — Timothée Léchot 2019/06/13 17:33
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/15 19:11