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L'HOMME DES CHAMPS.
TROISIÈME CHANT.
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ARGUMENT.
A LE NATURALISTE ; l'art de voir la campagne et les phénomènes de la nature des yeux observateurs.
B 1° L’importance de l’étude de la nature. 2° La grandeur de la nature, soit dans les révolutions du globe, soit dans l’action continue qu’elle exerce. Divers phénomènes ; récit de la destruction de Pleurs (sujet de la gravure de ce chant). Désastre d’Herculanum ; Buffon ; volcans de l’Auvergne ; le grain de sable ; la mer ; les eaux thermales, leur utilité, leurs plaisirs (sujet de la première vignette). 3° Charme attaché à la contemplation de diverses scènes de la nature et à la recherche de leurs causes. Montagnes, avalanches, beaux sites ; excursions botaniques ; Bernard Jussieu ; l’étude des animaux. 4° Ce charme se perpétue et s’augmente par la formation et la jouissance de cabinets d’histoire naturelle. Description des principales divisions d’un cabinet. Souvenir à Raton, chatte de l’auteur (sujet de la seconde vignette).
TROISIEME CHANT.
001 Que j'aime le mortel, noble dans ses penchants,
002 Qui cultive à la fois son esprit et ses champs !
003 Lui seul jouit de tout. Dans sa triste ignorance
004 Le vulgaire voit tout avec indifférence :
005 Des desseins du grand Être atteignant la hauteur,
006 Il ne sait point monter de l’ouvrage à l’auteur.
007 Non, ce n’est pas pour lui qu’en ses tableaux si vastes
008 Le grand peintre forma d’harmonieux contrastes :
009 Il ne sait pas comment, dans ses secrets canaux,
010 De la racine au tronc, du tronc jusqu’aux rameaux,
011 Des rameaux au feuillage accourt la sève errante ;
012 Comment naît des crystaux la masse transparente,
013 L’union, les reflets et le jeu des couleurs :
014 Étranger à ses bois, étranger à ses fleurs,
015 Il ne sait point leurs noms, leurs vertus, leur famille ;
016 D’une grossière main il prend dans la charmille
017 Ses fils au rossignol, au printemps ses concerts.
018 Le sage seul, instruit des lois de l’univers,
019 Sait goûter dans les champs une volupté pure :
020 C’est pour l’ami des arts qu’existe la nature.
021 Vous donc, quand des travaux ou des soins importants
022 Du bonheur domestique ont rempli les instants,
023 Cherchez autour de vous de riches connoissances
024 Qui, charmant vos loisirs, doublent vos jouissances.
025 Trois règnes à vos yeux étalent leurs secrets.
026 Un maître doit toujours connoître ses sujets :
027 Observez les trésors que la nature assemble.
028 Venez ; marchons, voyons, et jouissons ensemble.
029 Dans ces aspects divers que de variété !
030 Là tout est élégance, harmonie, et beauté.
031 C’est la molle épaisseur de la fraîche verdure,
032 C’est de mille ruisseaux le caressant murmure,
033 Des coteaux arrondis, des bois majestueux,
034 Et des antres riants l’abri voluptueux ;
035 Ici d’affreux débris, des crevasses affreuses,
036 Des ravages du temps empreintes désastreuses ;
037 Un sable infructueux aux vents abandonné ;
038 Des rebelles torrents le cours désordonné ;
039 La ronce, la bruyère, et la mousse sauvage,
040 Et d’un sol dévasté l’épouvantable image.
041 Par-tout des biens, des maux, des fléaux, des bienfaits !
042 Pour en interpréter les causes, les effets,
043 Vous n’aurez point recours à ce double génie
044 Dont l’un veut le désordre, et l’autre l’harmonie :
045 Pour vous développer ces mystères profonds,
046 Venez, le vrai génie est celui des Buffons.
047 Autrefois, disent-ils, un terrible déluge,
048 Laissant l’onde sans frein et l’homme sans refuge,
049 Répandit, confondit en une vaste mer
050 Et les eaux de la terre et les torrents de l’air ;
051 Où s’élevoient des monts étendit des campagnes ;
052 Où furent des vallons éleva des montagnes ;
053 Joignit deux continents dans les mêmes tombeaux ;
054 Du globe déchiré dispersa les lambeaux ;
055 Lança l’eau sur la terre et la terre dans l’onde,
056 Et roula le chaos sur les débris du monde.
057 De là ces grands amas dans la terre enfermés,
058 Ces bois, noirs aliments des volcans enflammés1,
059 Et ces énormes lits, ces couches intestines,
060 Qui d’un monde sur l’autre entassent les ruines.
061 Ailleurs d’autres dépôts se présentent à vous,
062 Formés plus lentement par des moyens plus doux.
063 Les fleuves, nous dit-on, dans leurs errantes courses,
064 En apportant aux mers les tributs de leurs sources,
065 Entraînèrent des corps l’un à l’autre étrangers,
066 Quelques uns plus pesants, les autres plus légers ;
067 Les uns au fond de l’eau tout-à-coup se plongèrent,
068 Quelque temps suspendus les autres surnagèrent ;
069 De là précipités dans l’humide séjour,
070 Sur ces premiers dépôts s’assirent à leur tour :
071 Des couches de limon sur eux se répandirent,
072 Sur ces lits étendus d’autres lits s’étendirent ;
073 Des arbustes sur eux gravèrent leurs rameaux,
074 Non brisés par des chocs, non dissous par les eaux,
075 Mais dans leur forme pure. En vain leurs caractères
076 Semblent offrir aux yeux des plantes étrangères2
077 Que des fleuves, des lacs, et des mers en courroux,
078 Le roulement affreux apporta parmi nous :
079 Leurs traits inaltérés, les couches plus profondes
080 Des lits que de la mer ont arrêtés les ondes ;
081 Souvent deux minces lits, léger travail des eaux,
082 L’un sur l’autre sculptés par les mêmes rameaux3 ;
083 Tout d’une cause lente annonce aux yeux l’ouvrage.
084 Ainsi, sans recourir à tout ce grand ravage,
085 Le sage ne voit plus que des effets constants,
086 Le cours de la nature et la marche du temps.
087 Mais j’apperçois d’ici les débris d’un village ;
088 D’un désastre fameux tout annonce l’image :
089 Quels malheurs l’ont produit ? avançons, consultons
090 Les lieux et les vieillards de ces tristes cantons.
091 Dans les concavités de ces roches profondes,
092 Où des fleuves futurs l’air déposoit les ondes,
093 L’eau, parmi les rochers se filtrant lentement,
094 De ces grands réservoirs mina le fondement :
095 Les voûtes, tout-à-coup à grand bruit écroulées,
096 Remplirent ces bassins ; et les eaux refoulées,
097 Se soulevant en masse et brisant leurs remparts,
098 Avec les bois, les rocs, et leurs débris épars,
099 Des hameaux, des cités traînèrent les ruines ;
100 Leurs cours se lit encore au creux de ces ravines,
101 Et l’ermite du lieu, sur un décombre assis,
102 Aux voyageurs encore en fait de longs récits4.
103 Ailleurs ces noirs sommets dans le fond des campagnes
104 Versèrent tout-à-coup leurs liquides montagnes,
105 Et le débordement de leurs bruyantes eaux
106 Forma de nouveaux lacs et des courants nouveaux.
107 Voyez-vous ce mont chauve et dépouillé de terre
108 A qui fait l’aquilon une éternelle guerre ?
109 L’olympe pluvieux, de son front escarpé
110 Détachant le limon par ses eaux détrempé,
111 L’emporta dans les champs, et de sa cime nue
112 Laissa les noirs sommets se perdre dans la nue :
113 L’œil s’afflige à l’aspect de ses rochers hideux.
114 Poursuivons, descendons de ces sauvages lieux ;
115 Des terrains variés marquons la différence.
116 Voyons comment le sol, dont la simple substance
117 Sur les monts primitifs où les dieux l’ont jeté
118 Conserve, vierge encor, toute sa pureté,
119 S’altère en descendant des montagnes aux plaines ;
120 De nuance en nuance et de veines en veines
121 L’observateur le suit d’un regard curieux5.
122 Tantôt de l’ouragan c’est le cours furieux ;
123 Terrible il prend son vol, et dans des flots de poudre
124 Part, conduisant la nuit, la tempête, et la foudre ;
125 Balaye, en se jouant, et forêt et cité ;
126 Refoule dans son lit le fleuve épouvanté ;
127 Jusqu’au sommet des monts lance la mer profonde,
128 Et tourmente en courant les airs, la terre, et l’onde :
129 De là sous d’autres champs ces champs ensevelis,
130 Ces monts changeant de place, et ces fleuves de lits ;
131 Et la terre sans fruits, sans fleurs, et sans verdure,
132 Pleure en habit de deuil sa riante parure.
133 Non moins impétueux et non moins dévorants
134 Les feux ont leur tempête et l’Etna ses torrents.
135 La terre dans son sein, épouvantable gouffre,
136 Nourrit de noirs amas de bitume et de soufre,
137 Enflamme l’air et l’onde, et de ses propres flancs
138 Sur ses fruits et ses fleurs vomit des flots bouillants :
139 Emblême trop frappant des ardeurs turbulentes
140 Dans le volcan de l’ame incessamment brûlantes,
141 Et qui, sortant soudain de l’abyme des cœurs,
142 Dévorent de la vie et les fruits et les fleurs !
143 Ces rocs tout calcinés, cette terre noirâtre,
144 Tout d’un grand incendie annonce le théâtre.
145 Là grondoit un volcan : ses feux sont assoupis ;
146 Flore y donne des fleurs et Cérès des épis ;
147 Sur l’un de ses côtés son désastre s’efface,
148 Mais la pente opposée en garde encor la trace :
149 C’est ici que la lave en longs torrents coula ;
150 Voici le lit profond où le fleuve roula,
151 Et plus loin à longs flots sa masse répandue
152 Se refroidit soudain et resta suspendue.
153 Dans ce désastre affreux quels fleuves ont tari !
154 Quels sommets ont croulé, quels peuples ont péri !
155 Les vieux âges l’ont su, l’âge présent l’ignore ;
156 Mais de ce grand fléau la terreur dure encore.
157 Un jour, peut-être, un jour les peuples de ces lieux
158 Que l’horrible volcan inonda de ses feux,
159 Heurtant avec le soc des restes de murailles,
160 Découvriront ce gouffre, et, creusant ses entrailles,
161 Contempleront au loin avec étonnement
162 Des hommes et des arts ce profond monument ;
163 Cet aspect si nouveau des demeures antiques,
164 Ces cirques, ces palais, ces temples, ces portiques,
165 Ces gymnases du sage autrefois fréquentés,
166 D’hommes qui semblent vivre encor tout habités ;
167 Simulacres légers, prêts à tomber en poudre,
168 Tous gardant l’attitude où les surprit la foudre :
169 L’un enlevant son fils, l’autre emportant son or ;
170 Cet autre ses écrits, son plus riche trésor ;
171 Celui-ci dans ses mains tient son dieu tutélaire ;
172 L’autre, non moins pieux, s’est chargé de son père ;
173 L’autre, paré de fleurs et la coupe à la main,
174 A vu sa dernière heure et son dernier festin6.
175 Gloire, honneur à Buffon, qui, pour guider nos sages7,
176 Éleva sept fanaux sur l’océan des âges8,
177 Et, noble historien de l’antique univers,
178 Nous peignit à grands traits ces changements divers !
179 Mais il quitta trop peu sa retraite profonde :
180 Des bosquets de Monbar Buffon jugeoit le monde ;
181 A des yeux étrangers se confiant en vain,
182 Il vit peu par lui-même, et, tel qu’un souverain,
183 De loin, et sur la foi d’une vaine peinture,
184 Par ses ambassadeurs courtisa la nature9.
185 O ma chère patrie ! ô champs délicieux,
186 Où les fastes du temps frappent par-tout les yeux !
187 Oh ! s’il eût parcouru cette belle Limagne,
188 Qu’il eût joui de voir dans la même campagne
189 Trois âges de volcans que distinguent entre eux
190 Leurs aspects, leurs courants, leurs foyers sulphureux !
191 La mer couvrit les uns par des couches profondes,
192 D’autres ont recouvert le vieux séjour des ondes ;
193 L’un d’une côte à l’autre étendit ses torrents,
194 L’autre en fleuve de feu versa ses flots errants
195 Dans ces fonds qu’a creusé la longue main des âges.
196 En voyant du passé ces sublimes images,
197 Ces grands foyers éteints dans des siècles divers,
198 Des mers sur des volcans, des volcans sur des mers,
199 Vers l’antique chaos notre ame est repoussée,
200 Et des âges sans fin pèsent sur la pensée.
201 Mais, sans quitter vos monts et vos vallons chéris,
202 Voyez d’un marbre usé le plus mince débris :
203 Quel riche monument ! de quelle grande histoire
204 Ses révolutions conservent la mémoire !
205 Composé des dépôts de l’empire animé,
206 Par la destruction ce marbre fut formé ;
207 Pour créer les débris dont les eaux le pêtrirent
208 De générations quelles foules périrent !
209 Combien de temps sur lui l’océan a coulé !
210 Que de temps dans leur sein les vagues l’ont roulé !
211 En descendant des monts dans ses profonds abymes
212 L’océan autrefois le laissa sur leurs cimes ;
213 L’orage dans les mers de nouveau le porta ;
214 De nouveau sur ses bords la mer le rejeta,
215 Le reprit, le rendit : ainsi, rongé par l’âge,
216 Il endura les vents, et les flots, et l’orage :
217 Enfin, de ces grands monts humble contemporain,
218 Ce marbre fut un roc, ce roc n’est plus qu’un grain ;
219 Mais, fils du temps, de l’air, de la terre, et de l’onde,
220 L’histoire de ce grain est l’histoire du monde10.
221 Et quelle source encor d’études, de plaisirs,
222 Va de pensers sans nombre occuper vos loisirs,
223 Si la mer elle-même et ses vastes domaines
224 Vous offrent de plus près leurs riches phénomènes !
225 O mer, terrible mer, quel homme à ton aspect
226 Ne se sent pas saisi de crainte et de respect !
227 De quelle impression tu frappas mon enfance !
228 Mais alors je ne vis que ton espace immense :
229 Combien l’homme et ses arts t’agrandissent encor !
230 Là le génie humain prit son plus noble essor ;
231 Tous ces nombreux vaisseaux suspendus sur ses ondes
232 Sont le nœud des états, les couriers des deux mondes.
233 Comme elle à son aspect vos pensers sont profonds :
234 Tantôt vous demandez à ces gouffres sans fonds
235 Les débris disparus des nations guerrières,
236 Leur or, leurs bataillons, et leurs flottes entières ;
237 Tantôt, avec Linnée enfoncé sous les eaux,
238 Vous cherchez ces forêts de fucus, de roseaux11,
239 De la Flore des mers invisible héritage,
240 Qui ne viennent à nous qu’apportés par l’orage ;
241 Éponges, polypiers, madrépores, coraux,
242 Des insectes des mers miraculeux travaux12.
243 Que de fleuves obscurs y dérobent leur source !
244 Que de fleuves fameux y terminent leur course !
245 Tantôt avec effroi vous y suivez de l’œil
246 Ces monstres qui de loin semblent un vaste écueil13.
247 Souvent avec Buffon vos yeux y viennent lire
248 Les révolutions de ce bruyant empire,
249 Ses courants, ses reflux, ces grands évènements
250 Qui de l’axe incliné suivent les mouvements ;
251 Tous ces volcans éteints qui du sein de la terre
252 Jadis alloient aux cieux défier le tonnerre ;
253 Ceux dont le foyer brûle au sein des flots amers,
254 Ceux dont la voûte ardente est la base des mers,
255 Et qui peut-être un jour sur les eaux écumantes
256 Vomiront des rochers et des îles fumantes.
257 Peindrai-je ces vieux caps sur les ondes pendants,
258 Ces golfes qu’à leur tour rongent les flots grondants,
259 Ces monts ensevelis sous ces voûtes obscures,
260 Les Alpes d’autrefois et les Alpes futures ;
261 Tandis que ces vallons, ces monts que voit le jour,
262 Dans les profondes eaux vont rentrer à leur tour ?
263 Échanges éternels de la terre et de l’onde,
264 Qui semblent lentement se disputer le monde !
265 Ainsi l’ancre s’attache où paissoient les troupeaux,
266 Ainsi roulent des chars où voguoient des vaisseaux ;
267 Et le monde, vieilli par la mer qui voyage,
268 Dans l’abyme des temps s’en va cacher son âge.
269 Après les vastes mers et leurs mouvants tableaux
270 Vous aimerez à voir les fleuves, les ruisseaux ;
271 Non point ceux qu’ont chantés tous ces rimeurs si fades
272 De qui les vers usés ont vieilli leurs Naïades,
273 Mais ceux de qui les eaux présentent à vos yeux
274 Des effets nobles, grands, rares, ou curieux.
275 Tantôt dans son berceau vous recherchez leur source ;
276 Tantôt dans ses replis vous observez leur course,
277 Comme, d’un bord à l’autre errants en longs détours,
278 D’angles creux ou saillants chacun marque son cours.
279 Dirai-je ces ruisseaux, ces sources, ces fontaines
280 Qui de nos corps souffrants adoucissent les peines ?
281 Là, de votre canton doux et tristes tableaux,
282 La joie et la douleur, les plaisirs et les maux,
283 Vous font chaque printemps leur visite annuelle ;
284 Là, mêlant leur gaîté, leur plainte mutuelle,
285 Viennent de tous côtés, exacts au rendez-vous,
286 Des vieillards éclopés, un jeune essaim de fous ;
287 Dans le même salon là viennent se confondre
288 La belle vaporeuse et le triste hypocondre :
289 Lise y vient de son teint rafraîchir les couleurs ;
290 Le guerrier de sa plaie adoucir les douleurs ;
291 Le gourmand de sa table expier les délices :
292 Au dieu de la santé tous font leurs sacrifices ;
293 Tous, lassant de leurs maux valets, amis, voisins,
294 Veulent être guéris, mais sur-tout être plaints.
295 Le matin voit errer l’essaim mélancolique ;
296 Le soir le jeu, le bal, les festins, la musique,
297 Mêlent à mille maux mille plaisirs divers :
298 On croit voir l’Élysée au milieu des Enfers.
299 Mais, laissant là la foule et ses bruyantes scènes,
300 Reprenons notre course autour de vos domaines,
301 Et du palais magique où se rendent les eaux
302 Ensemble remontons aux lieux de leurs berceaux,
303 Vers ces monts, de vos champs dominateurs antiques.
304 Quels sublimes aspects ! quels tableaux romantiques !
305 Sur ces vastes rochers, confusément épars,
306 Je crois voir le génie appeler tous les arts :
307 Le peintre y vient chercher, sous des teintes sans nombre,
308 Les jets de la lumière et les masses de l’ombre ;
309 Le poëte y conçoit de plus sublimes chants ;
310 Le sage y voit des mœurs les spectacles touchants :
311 Des siècles autour d’eux ont passé comme une heure,
312 Et l’aigle et l’homme libre en aiment la demeure ;
313 Et vous, vous y venez, d’un œil observateur,
314 Admirer dans ses plans l’éternel Créateur.
315 Là le temps a tracé les annales du monde :
316 Vous distinguez ces monts, lents ouvrages de l’onde ;
317 Ceux que des feux soudains ont lancés dans les airs,
318 Et les monts primitifs nés avec l’univers ;
319 Leurs lits si variés, leur couche verticale,
320 Leurs terrains inclinés, leur forme horizontale,
321 Du hasard et du temps travail mystérieux :
322 Tantôt vous parcourez d’un regard curieux
323 De leurs rochers pendants l’informe amphithéâtre,
324 L’ouvrage des volcans, le basalte noirâtre,
325 Le granit par les eaux lentement façonné,
326 Et les feuilles du schiste, et le marbre veiné ;
327 Vous fouillez dans leur sein, vous percez leur structure ;
328 Vous y voyez empreints Dieu, l’homme, et la nature :
329 La nature, tantôt riante en tous ses traits,
330 De verdure et de fleurs égayant ses attraits ;
331 Tantôt mâle, âpre et forte, et dédaignant les graces,
332 Fière, et du vieux chaos gardant encor les traces.
333 Ici, modeste encore au sortir du berceau,
334 Glisse en minces filets un timide ruisseau ;
335 Là s’élance en grondant la cascade écumante ;
336 Là le zéphir caresse ou l’aquilon tourmente ;
337 Vous y voyez unis des volcans, des vergers,
338 Et l’écho du tonnerre, et l’écho des bergers ;
339 Ici de frais vallons, une terre féconde ;
340 Là des rocs décharnés, vieux ossements du monde ;
341 A leur pied le printemps, sur leurs fronts les hivers.
342 Salut, pompeux Jura14, terrible Montanverts15,
343 De neiges, de glaçons entassements énormes,
344 Du temple des frimas colonnades informes,
345 Prismes éblouissants, dont les pans azurés,
346 Défiant le soleil dont ils sont colorés,
347 Peignent de pourpre et d’or leur éclatante masse,
348 Tandis que, triomphant sur son trône de glace,
349 L’hiver s’enorgueillit de voir l’astre du jour
350 Embellir son palais et décorer sa cour.
351 Non, jamais, au milieu de ces grands phénomènes,
352 De ces tableaux touchants, de ces terribles scènes,
353 L’imagination ne laisse dans ces lieux
354 Ou languir la pensée ou reposer les yeux.
355 Malheureux cependant les mortels téméraires
356 Qui viennent visiter ces horreurs solitaires,
357 Si par un bruit prudent de tous ces noirs frimas
358 Leurs tubes enflammés n’interrogent l’amas !
359 Souvent un grand effet naît d’une foible cause ;
360 Souvent sur ces hauteurs l’oiseau qui se repose
361 Détache un grain de neige ; à ce léger fardeau
362 Des grains dont il s’accroît se joint le poids nouveau ;
363 La neige autour de lui rapidement s’amasse ;
364 De moment en moment il augmente sa masse :
365 L’air en tremble, et soudain, s’écroulant à la fois,
366 Des hivers entassés l’épouvantable poids
367 Bondit de roc en roc, roule de cime en cime,
368 Et de sa chûte immense ébranle au loin l’abyme :
369 Les hameaux sont détruits et les bois emportés ;
370 On cherche en vain la place où furent les cités,
371 Et sous le vent lointain de ces Alpes qui tombent,
372 Avant d’être frappés les voyageurs succombent.
373 Ainsi quand des excès suivis d’excès nouveaux
374 D’un état par degrés ont préparé les maux,
375 De malheur en malheur sa chûte se consomme :
376 Tyr n’est plus, Thèbes meurt, et les yeux cherchent Rome !
377 O France, ô ma patrie ! ô séjour de douleurs16 !
378 Mes yeux à ces pensers se sont mouillés de pleurs.
379 Vos pas sont-ils lassés de ces sites sauvages ?
380 Eh bien ! redescendez dans ces frais paysages ;
381 Là le long des vallons, au bord des clairs ruisseaux,
382 De fertiles vergers, d’aimables arbrisseaux,
383 Et des arbres pompeux, et des fleurs odorantes,
384 Viennent vous étaler leurs races différentes.
385 Quel nouvel intérêt ils donnent à vos champs !
386 Observez leurs couleurs, leurs formes, leurs penchants,
387 Leurs amours, leurs hymens, la greffe et ses prodiges ;
388 Comment, des sauvageons civilisant les tiges,
389 L’art corrige leurs fruits, leur prête des rameaux,
390 Et peuple ces vergers de citoyens nouveaux ;
391 Comment, dans les canaux où sa course s’achève,
392 Dans ses balancements monte et descend la sève17 ;
393 Comment le suc enfin de la même liqueur
394 Forme le bois, la feuille, et le fruit, et la fleur.
395 Et les humbles tribus, le peuple immense d’herbes
396 Qu’effleure l’ignorant de ses regards superbes,
397 N’ont-ils pas leurs beautés et leurs bienfaits divers ?
398 Le même Dieu créa la mousse et l’univers.
399 De leurs secrets pouvoirs connoissez les mystères18,
400 Leurs utiles vertus, leurs poisons salutaires19 :
401 Par eux autour de vous rien n’est inhabité,
402 Et même le désert n’est jamais sans beauté ;
403 Souvent, pour visiter leurs riantes peuplades,
404 Vous dirigez vers eux vos douces promenades,
405 Soit que vous parcouriez les coteaux de Marli,
406 Ou le riche Meudon, ou le frais Chantilli.
407 Et voulez-vous encore embellir le voyage ?
408 Qu’une troupe d’amis avec vous le partage ;
409 La peine est plus légère et le plaisir plus doux :
410 Le jour vient, et la troupe arrive au rendez-vous.
411 Ce ne sont point ici de ces guerres barbares
412 Où les accents du cor et le bruit des fanfares
413 Épouvantent de loin les hôtes des forêts ;
414 Paissez, jeunes chevreuils, sous vos ombrages frais ;
415 Oiseaux, ne craignez rien : ces chasses innocentes
416 Ont pour objets les fleurs, les arbres, et les plantes ;
417 Et des prés et des bois, et des champs et des monts,
418 Le porte-feuille avide attend déjà les dons.
419 On part : l’air du matin, la fraîcheur de l’aurore
420 Appellent à l’envi les disciples de Flore.
421 Jussieu marche à leur tête ; il parcourt avec eux
422 Du règne végétal les nourrissons nombreux :
423 Pour tenter son savoir quelquefois leur malice
424 De plusieurs végétaux compose un tout factice ;
425 Le sage l’apperçoit, sourit avec bonté,
426 Et rend à chaque plant son débris emprunté20.
427 Chacun dans sa recherche à l’envi se signale ;
428 Étamine, pistil, et corolle, et pétale,
429 On interroge tout. Parmi ces végétaux
430 Les uns vous sont connus, d’autres vous sont nouveaux :
431 Vous voyez les premiers avec reconnoissance,
432 Vous voyez les seconds des yeux de l’espérance ;
433 L’un est un vieil ami qu’on aime à retrouver,
434 L’autre est un inconnu que l’on doit éprouver.
435 Et quel plaisir encor lorsque des objets rares,
436 Dont le sol, le climat, et le ciel sont avares,
437 Rendus par votre attente encor plus précieux,
438 Par un heureux hasard se montrent à vos yeux !
439 Voyez quand la pervenche, en nos champs ignorée,
440 Offre à Rousseau sa fleur si long-temps désirée ;
441 La pervenche, grand Dieu ! la pervenche ! Soudain
442 Il la couve des yeux, il y porte la main,
443 Saisit sa douce proie : avec moins de tendresse
444 L’amant voit, reconnoît, adore sa maîtresse.
445 Mais le besoin commande : un champêtre repas,
446 Pour ranimer leur force, a suspendu leurs pas ;
447 C’est au bord des ruisseaux, des sources, des cascades :
448 Bacchus se rafraîchit dans les eaux des Naïades
449 Des arbres pour lambris, pour tableaux l’horizon,
450 Les oiseaux pour concert, pour table le gazon ;
451 Le laitage, les œufs, l’abricot, la cerise,
452 Et la fraise des bois, que leurs mains ont conquise21,
453 Voilà leurs simples mets : grace à leurs doux travaux
454 Leur appétit insulte à tout l’art des Méots22.
455 On fête, on chante Flore et l’antique Cybèle,
456 Éternellement jeune, éternellement belle :
457 Leurs discours ne sont pas tous ces riens si vantés,
458 Par la mode introduits, par la mode emportés ;
459 Mais la grandeur d’un Dieu, mais sa bonté féconde,
460 La nature immortelle, et les secrets du monde.
461 La troupe enfin se lève ; on vole de nouveau
462 Des bois à la prairie, et des champs au coteau ;
463 Et le soir dans l’herbier, dont les feuilles sont prêtes,
464 Chacun vient en triomphe apporter ses conquêtes23.
465 Aux plantes toutefois le destin n’a donné
466 Qu’une vie imparfaite et qu’un instinct borné.
467 Moins étrangers à l’homme, et plus près de son être,
468 Les animaux divers sont plus doux à connoître :
469 Les uns sont ses sujets, d’autres ses ennemis ;
470 Ceux-ci ses compagnons, et ceux-là ses amis.
471 Suivez, étudiez ces familles sans nombre ;
472 Ceux que cachent les bois, qu’abrite un antre sombre ;
473 Ceux dont l’essaim léger perche sur des rameaux,
474 Les hôtes de vos cours, les hôtes des hameaux ;
475 Ceux qui peuplent les monts, qui vivent sous la terre ;
476 Ceux que vous combattez, qui vous livrent la guerre ;
477 Étudiez leurs mœurs, leurs ruses, leurs combats,
478 Et sur-tout les degrés si fins, si délicats,
479 Par qui l’instinct changeant de l’échelle vivante
480 Ou s’élève vers l’homme, ou descend vers la plante.
481 C’est peu ; pour vous donner un intérêt nouveau,
482 De ces vastes objets rassemblez le tableau :
483 Que d’un lieu préparé l’étroite enceinte assemble
484 Les trois règnes rivaux, étonnés d’être ensemble ;
485 Que chacun ait ici ses tiroirs, ses cartons ;
486 Que, divisé par classe, et rangés par cantons,
487 Ils offrent de plaisir une source féconde,
488 L’extrait de la nature et l’abrégé du monde.
489 Mais plutôt réprimez de trop vastes projets ;
490 Contentez-vous d’abord d’étaler les objets
491 Dont le ciel a pour vous peuplé votre domaine,
492 Sur qui votre regard chaque jour se promène :
493 Nés dans vos propres champs ils vous en plairont mieux.
494 Entre les minéraux présentez à nos yeux
495 Les terres et les sels, le soufre, le bitume ;
496 La pyrite, cachant le feu qui la consume ;
497 Les métaux colorés et les brillants crystaux,
498 Nobles fils du rocher, aussi purs que ses eaux ;
499 L’argile à qui le feu donna l’éclat du verre24,
500 Et les bois que les eaux ont transformés en pierre25,
501 Soit qu’un limon durci les recouvre au dehors,
502 Soit que des sucs pierreux aient pénétré leurs corps ;
503 Enfin tous ces objets, combinaison féconde
504 De la flamme, de l’air, de la terre, et de l’onde.
505 D’un œil plus curieux et plus avide encor
506 Du règne végétal je cherche le trésor.
507 Là sont en cent tableaux, avec art mariées,
508 Du varec, fils des mers, les teintes variées ;
509 Le lichen parasite, aux chênes attaché26,
510 Le puissant agaric, qui du sang épanché27
511 Arrête les ruisseaux, et dont le sein fidèle
512 Du caillou pétillant recueille l’étincelle ;
513 Le nénuphar, ami de l’humide séjour28,
514 Destructeur des plaisirs et poison de l’amour,
515 Et ces rameaux vivants, ces plantes populeuses29,
516 De deux règnes rivaux races miraculeuses.
517 Dans le monde vivant même variété :
518 Le contraste sur-tout en fera la beauté.
519 Un même lieu voit l’aigle et la mouche légère,
520 Les oiseaux du climat, la caille passagère,
521 L’ours à la masse informe, et le léger chevreuil,
522 Et la lente tortue, et le vif écureuil ;
523 L’animal recouvert de son épaisse croûte30,
524 Celui dont la coquille est arrondie en voûte31 ;
525 L’écaille du serpent, et celle du poisson,
526 Le poil uni du rat, les dards du hérisson ;
527 Le nautile, sur l’eau dirigeant sa gondole32 ;
528 La grue, au haut des airs naviguant sans boussole ;
529 Le perroquet, le singe, imitateurs adroits,
530 L’un des gestes de l’homme, et l’autre de sa voix ;
531 Les peuples casaniers, les races vagabondes ;
532 L’équivoque habitant de la terre et des ondes33,
533 Et les oiseaux rameurs34, et les poissons ailés35.
534 Vous-mêmes dans ces lieux vous serez appelés,
535 Vous, le dernier degré de cette grande échelle,
536 Vous, insectes sans nombre, ou volants ou sans aile,
537 Qui rampez dans les champs, sucez les arbrisseaux,
538 Tourbillonnez dans l’air, ou jouez sur les eaux.
539 Là je place le ver, la nymphe, la chenille ;
540 Son fils, beau parvenu, honteux de sa famille ;
541 L’insecte de tout rang et de toutes couleurs,
542 L’habitant de la fange et les hôtes des fleurs,
543 Et ceux qui, se creusant un plus secret asile,
544 Des tumeurs d’une feuille ont fait leur domicile36 ;
545 Le ver rongeur des fruits, et le ver assassin,
546 En rubans animés vivant dans notre sein37.
547 J’y veux voir de nos murs la tapissière agile,
548 La mouche qui bâtit38, et la mouche qui file39 ;
549 Ceux qui d’un fil doré composent leur tombeau40,
550 Ceux dont l’amour dans l’ombre allume le flambeau41 ;
551 L’insecte dont un an borne la destinée42 ;
552 Celui qui naît, jouit, et meurt dans la journée,
553 Et dont la vie au moins n’a pas d’instants perdus.
554 Vous tous, dans l’univers en foule répandus,
555 Dont les races, sans fin, sans fin se renouvellent,
556 Insectes, paroissez, vos cartons vous appellent ;
557 Venez avec l’éclat de vos riches habits,
558 Vos aigrettes, vos fleurs, vos perles, vos rubis,
559 Et ces fourreaux brillants, et ces étuis fidèles,
560 Dont l’écaille défend la gaze de vos ailes43 ;
561 Ces prismes, ces miroirs, savamment travaillés,
562 Ces yeux qu’avec tant d’art la nature a taillés44,
563 Les uns semés sur vous en brillants microscopes,
564 D’autres se déployant en de longs télescopes ;
565 Montrez-moi ces fuseaux, ces tarrières, ces dards,
566 Armes de vos combats, instruments de vos arts45,
567 Et les filets prudents de ces longues antennes
568 Qui sondent devant vous les routes incertaines.
569 Que j’observe de près ces clairons, ces tambours46,
570 Signal de vos fureurs, signal de vos amours,
571 Qui guidoient vos héros dans les champs de la gloire,
572 Et sonnoient le danger, la charge, et la victoire ;
573 Enfin tous ces ressorts, organes merveilleux47,
574 Qui confondent des arts le savoir orgueilleux,
575 Chefs-d’œuvre d’une main en merveilles féconde,
576 Dont un seul prouve un Dieu, dont un seul vaut un monde.
577 Tel est le triple empire à vos ordres soumis ;
578 De nouveaux citoyens sans cesse y sont admis.
579 Cette ardeur d’acquérir, que chaque jour augmente,
580 Vous embellira tout : une pierre, une plante,
581 Un insecte qui vole, une fleur qui sourit,
582 Tout vous plaît, tout vous charme, et déjà votre esprit
583 Voit le rang, le gradin, la tablette fidèle,
584 Tout prêts à recevoir leur richesse nouvelle ;
585 Et peut-être en secret déjà vous flattez-vous
586 Du dépit d’un rival et d’un voisin jaloux.
587 Là les yeux sont charmés, la pensée est active,
588 L’imagination n’y reste point oisive ;
589 Et quand par les frimas vous êtes retenus,
590 Elle part, elle vole aux lieux, aux champs connus ;
591 Elle revoit le bois, le coteau, la prairie,
592 Où, s’offrant tout-à-coup à votre rêverie,
593 Une fleur, un arbuste, un caillou précieux
594 Vint suspendre vos pas, et vint frapper vos yeux.
595 Et lorsque vous quittez enfin votre retraite,
596 Combien des souvenirs l’illusion secrète
597 Des campagnes pour vous embellit le tableau !
598 Là votre œil découvrit un insecte nouveau ;
599 Ici la mer, couvrant ou quittant son rivage,
600 Vous fit don d’un fucus, ou d’un beau coquillage :
601 Là sortit de la mine un riche échantillon ;
602 Ici, nouveau pour vous, un brillant papillon
603 Fut surpris sur ces fleurs, et votre main avide
604 De son règne incomplet courut remplir le vide.
605 Vous marchez ; vos trésors, vos plaisirs sont par-tout.
606 Cependant arrangez ces trésors avec goût ;
607 Que dans tous vos cartons un ordre heureux réside ;
608 Qu’à vos compartiments avec grace préside
609 La propreté, l’aimable et simple propreté,
610 Qui donne un air d’éclat même à la pauvreté.
611 Sur-tout des animaux consultez l’habitude ;
612 Conservez à chacun son air, son attitude,
613 Son maintien, son regard : que l’oiseau semble encor,
614 Perché sur son rameau, méditer son essor ;
615 Avec son air frippon montrez-nous la belette
616 A la mine alongée, à la taille fluette ;
617 Et, sournois dans son air, rusé dans son regard,
618 Qu’un projet d’embuscade occupe le renard ;
619 Que la nature enfin soit par-tout embellie,
620 Et même après la mort y ressemble à la vie48.
621 Laissez aux cabinets des villes et des rois
622 Ces corps où la nature a violé ses lois,
623 Ces fœtus monstrueux, ces corps à double tête,
624 La momie à la mort disputant sa conquête,
625 Et ces os de géant, et l’avorton hideux
626 Que l’être et le néant réclamèrent tous deux49.
627 Mais si quelque oiseau cher, un chien, ami fidèle,
628 A distrait vos chagrins, vous a marqué son zèle,
629 Au lieu de lui donner les honneurs du cercueil
630 Qui dégradent la tombe et profanent le deuil,
631 Faites-en dans ces lieux la simple apothéose,
632 Que dans votre Élysée avec grace il repose ;
633 C’est là qu’on peut le voir : c’est là que tu vivrois,
634 O toi, dont La Fontaine eût vanté les attraits,
635 O ma chère Raton ! qui, rare en ton espèce,
636 Eus la grace du chat et du chien la tendresse ;
637 Qui, fière avec douceur et fine avec bonté,
638 Ignoras l’égoïsme à ta race imputé :
639 Là je voudrois te voir telle que je t’ai vue,
640 De ta molle fourrure élégamment vêtue,
641 Affectant l’air distrait, jouant l’air endormi,
642 Épier une mouche, ou le rat ennemi,
643 Si funeste aux auteurs, dont la dent téméraire
644 Ronge indifféremment Dubartas50 ou Voltaire ;
645 Ou telle que tu viens, minaudant avec art,
646 De mon sobre dîner solliciter ta part ;
647 Ou bien, le dos en voûte et la queue ondoyante,
648 Offrir ta douce hermine à ma main caressante,
649 Ou déranger gaîment par mille bonds divers
650 Et la plume et la main qui t’adressa ces vers.
FIN DU TROISIÈME CHANT.
On a voulu renfermer dans l’expression la plus succincte les différentes matières que la nature emploie pour l’entretien des feux volcaniques. Il paroit néanmoins, par les expériences de plusieurs physiciens célèbres, que les bois et tous les végétaux fossiles ne sont pas les seules matières propres à entretenir les feux souterrains. Lemery, Homberg, Newton, Hoffmann et Boerhaave ont obtenu, par le mélange du soufre, du fer et de l’eau, des effets à-peu-près semblables aux feux qui embrasent les volcans. Ces expériences, présentant en petit les mêmes résultats que la nature produit en grand, doivent au moins faire soupçonner que les bois noirs, les charbons de pierre, etc. ne sont pas les seules matières que la nature puisse employer pour alimenter le foyer des volcans, sur-tout si l’on fait attention que la terre renferme des amas considérables de pyrites sulfureuses et ferrugineuses qui n’ont besoin que du concours de l’eau pour s’enflammer. Si l’on observe que l’acide vitriolique, se combinant avec le fer, produit une grande chaleur, et beaucoup d’air inflammable que mille circonstances peuvent allumer, il sera bien évident que ces feux produits sans l’entremise d’aucune substance végétale pourroient causer les plus terribles explosions, soit en vaporisant l’eau, soit en dilatant l’air atmosphérique, qui, selon M. Hales, se trouve concentré dans les pyrites vitrioliques ou sulfureuses, dans la proportion de 1 à 83. Si on ajoute à ces réflexions celles de Spallanzani sur le même sujet, on doutera au moins que le foyer des volcans soit alimenté par des végétaux fossiles.
Les empreintes que l’on trouve dans nos climats sur les schistes, qui sont le toit des couches de charbon de pierre, appartiennent évidemment à des plantes qui nous sont étrangères aujourd’hui : il s’y trouve, par exemple, des calamites, des écorces de palmiers de la forme la plus variée et la plus curieuse ; si l’on y rencontre quelquefois des empreintes qui ressemblent à nos fougères, c’est que dans cette classe extrêmement nombreuse il est un grand nombre d’espèces exotiques échappées aux recherches des Plumier, des Rumph, des Petiver, et dont l’œil exercé du botaniste ne peut qu’à peine, après une comparaison longue et bien suivie, distinguer les empreintes de celles des plantes de nos climats. Dans les mémoires de l’académie de 1782, Daubenton cite des schistes dont les impressions lui ont paru provenir de plantes croissant dans le pays. Lemonnier, dans ses Observations d’histoire naturelle, croit avoir reconnu l’osmunda regalis sur un schiste d’une houillère d’Auvergne ; mais ces observations ne sont pas convaincantes. Dans les mines de charbon de pierre du val de Villé les empreintes de feuilles verticillées sont beaucoup plus fréquentes que celles de plantes dorsifères. Il y auroit cependant de la témérité à assurer qu’elles sont de l’espèce du caille-lait de nos contrées : il est plus probable que l’une des empreintes venant de Taninge en Faucigni, que M. Tingry a décrites dans le premier volume des Transactions de la société linnéenne de Londres, est l’aspleniven nodosum de l’Amérique méridionale ; et il existe un si grand nombre d’empreintes qui diffèrent entièrement de nos plantes, que l’on est forcé de les rapporter à une époque où le climat et les productions de notre pays différoient de ce qu’ils sont aujourd’hui. Les belles écorces de palmier, si variées, qui se trouvent sur-tout dans les schistes de Duttweiler près de Saarbrücken, fournissent un fait de plus à l’appui de cette assertion. Pour fixer son opinion sur cette matière, on consultera avec fruit l’ouvrage de Moraud sur les charbons de pierre, l’Herbarium diluvianum de Scheuchzer, la Silesia subterranea de Volckmann, et la belle suite d’empreintes que Mylius a publiées dans l’ouvrage intitulé Memorabilia Saxoniæ subterranea.
Jussieu, dans les Mémoires de l’académie de 1718, donne l’explication suivante de la raison pour laquelle, dans deux couches de schiste à empreintes séparées l’une de l’autre, on ne voit pas sur l’une l’impression de la page supérieure de la feuille, et sur l’autre celle de l’inférieure. « Nous supposons, dit-il, les feuilles flottantes sur la superficie d’une eau qui, dans ses agitations, étoit encore plus chargée d’un limon bitumineux qu’elle avoit détrempé, que du sel dont elle étoit naturellement imprégnée. Ce limon a couvert la surface de ces 179 feuilles flottantes, y a été retenu par la quantité de nervures dont elles sont traversées, s’y est uni si intimement à elles qu’elles en ont pris jusqu’aux moindres vestiges, et y ont acquis d’autant plus de consistance que ces feuilles, par la qualité de leur tissu serré, ont résisté plus long-temps à la corruption. Comme néanmoins elles se sont enfin pourries, et que le limon qui les couvroit n’a pu manquer de se précipiter soit par la soustraction du corps qui le soutenoit, soit parceque, devenu par cette soustraction plus pénétrable à l’eau, il s’est trouvé plus pesant ; c’est dans cette précipitation que ces lames limoneuses tombant sur les surfaces unies d’un limon détrempé, y ont marqué la figure des feuilles dont elles avoient conservé l’empreinte. L’explication de ce mécanisme rend sensible la singularité de la représentation d’une seule et même face de ces feuilles de plantes en relief sur une lame, et en creux sur celle qui lui est opposée : ce qui arrive de la même manière qu’un cachet, imprimé en relief sur une lame de terre, se rend en creux sur une autre lame molle sur laquelle celle-là es appliquée. L’on ne peut pas dire que l’une soit celle du revers de la feuille, tandis que l’autre est celle du dessus, puisque cette feuille ayant été pourrie, est devenue incapable d’imprimer ce revers ; sa pourriture est si certaine, que sa substance ayant changé, a teint ces empreintes en noir, et ce qui est resté attaché à cette lame n’a rendu tout au plus que quelques empreintes moins parfaites, parceque ce superflu a rempli la gravure de l’impression, et s’y trouve aujourd’hui en 180 poudre entre quelques unes de ces lames lorsqu’on les sépare . »