Réseau bipartite
Le graphe suivant réunit sous forme de réseau les vers cités et les auteurs des citations1.
- Chaque point rose correspond un vers et sa taille augmente avec le nombre de personnes qui le citent (ce nombre variant de 3 à 37). Chaque point vert correspond à un auteur et sa taille augmente en fonction du nombre de vers qu'il ou elle cite (pour une valeur oscillant entre 1 et 600 vers2).
- La taille des points évolue de manière identique pour les vers et les auteurs, mais en raison des différences marquées entre les maximales rencontrées dans chacune de ces deux catégories, la progression n'est pas linéaire (ce qui permet de mieux distinguer visuellement les petites valeurs).
- Des lignes associent chaque vers aux auteurs qui le citent.
- La spatialisation (c'est-à-dire la localisation dans le graphe des nœuds ainsi obtenus) est régie par l'algorithme ForceAtlas3, mobilisé ici pour dégager au sein du réseau des communautés ou secteurs de regroupement (clusters) différenciés.
Une version au format PDF du graphe, avec les étiquettes identifiant les points et une échelle de résolution plus fine, peut être téléchargée en cliquant sur ce lien : bipartite_citers-verses_16-3-2023_spline_c_labeled.pdf.
Éléments remarquables
1. Quatre attracteurs massifs
Le réseau ainsi obtenu rend particulièrement saillant un trait du corpus moins aisément perceptible dans la masse des informations compilées. Quatre auteurs s'imposent comme des “super-citateurs” . Il s'agit du critique Chaussard et de trois rédacteurs d'anthologies : d'une part Levizac et Moysant, qui collaborent à un même ouvrage, d'autre part Theil, qui imite leur sélection.
Sur le graphe, ces quatre entités “attirent” dans leur proximité immédiate les vers qu'ils citent mais qui ont peu été repris ailleurs, d'où l'abondance de points roses de petite taille au centre du graphique (fig. 1a). Ce cluster très dense montre que l'ampleur des extraits repris par les quatre hommes n'a qu'un faible impact sur la manière dont les passages du texte se différencient en recevant une attention plus ou moins marquée dans l'ensemble du discours social : d'un côté, la sélection de vers opérée par les super-citateurs est trop vaste pour créer ces effets (elle tend à équivaloir à une non-sélection) ; de l'autre, le faible nombre de ces auteurs (seules trois œuvres sont concernées) ne suffit pas à donner aux vers qu'ils sont les seuls à mentionner un avantage sensible face aux vers qui focalisent l'attention d'un nombre plus important d'acteurs. Pour reprendre une métaphore employée ailleurs, ces auteurs ne contribuent pas, ou fort peu, à l'émergence de la skyligne.
Figure 1a – Gros plan sur le cluster central.
2. Périphéries et passages à succès
Une même logique conduit les vers cités par le plus grand nombre d'auteurs distincts à s'écarter vers les frontières externes du réseau, car les communautés d'auteurs qui les utilisent forment aussi les groupes les plus différents du cluster des super-citateurs. Les points associés aux vers qu'ils citent ne sont donc pas éloignés en fonction de leur nombre de reprises (qui les rend plus gros), mais parce que les acteurs qui les convoquent forment des sous-groupes plus diversifiés au sein de la communauté des auteurs. Ce sont, pour le dire autrement, des vers plus sélectionnés par des auteurs plus sélectifs.
Les vers qui se localisent au sein de ces clusters centrifuges tendent en outre à se rassembler en fonction de leur proximité dans le texte, ce qui n'a rien pour surprendre. En effet, ces vers n'ont pas été seulement cités seuls, mais aussi et plus souvent au sein d'extraits un peu plus larges du texte, de sorte que le vers phare, qui aura été repris le plus abondamment de manière globale, est suivi de près sur le graphe par celui ou ceux qui auront aussi été retenus dans ces citations plus vastes. On peut l'observer sans difficulté, par exemple, pour la séquence sur l'histoire du grain de sable (fig. 1b) ou pour celle portant sur l'herborisation (fig. 1c).
Figure 1b – Gros plan sur le cluster “grain de sable”.
Ce petit cluster, concentré sur les vers 217-220 et dont ce dernier vers forme la pointe externe, se détache en haut, au centre du graphe global.
Trois “mono-citateurs”, dont les textes ne retiennent que ce vers du chant 3, forment à leur tour un minuscule groupe bien différencié, à l'extrémité supérieure du gros plan : il s'agit de Daux, Du Petit Thouars et Richer.
Figure 1c – Gros plan sur le cluster “herborisation”.
Ce vaste cluster, correspondant aux vers 410-438, se détache à droite du réseau global. Contrairement au cas du passage sur le grain de sable, l'attention maximale s'y est répartie sur plusieurs vers phares (419-420, 430-432, etc.). Ce phénomène reflète l'absence de “mono-citateurs” pour ce groupe, absence rendue visuellement observable par le graphe et confirmée pour peu qu'on se reporte, par exemple, à la liste des citations du vers 430.
En outre, l'organisation relative des clusters dans cette zone est révélatrice d'un processus de différenciation interne des auteurs qui ont cité la séquence sur l'herborisation. Bien qu'ils viennent dans le texte immédiatement à la suite des lignes précédentes, les vers 439-444 s'en distinguent assez nettement sur le graphe : ils forment, un peu plus bas et à gauche, un autre cluster. C'est qu'ils ont été évités par une portion notable des auteurs séduits par cette séquence, tel le pédagogue Belèze, qui jugèrent sans doute ces vers trop grivois pour leur public (Delille y évoque Rousseau et son amante).
Auteur de la page — Hugues Marchal 2023/03/16 20:51