brinkmandevedeling

Brinkman (trad.), De Veldeling

Seule femme à avoir pris en charge une des traductions étrangères de L'Homme des champs, Anna Catharina Brinkman a produit la première version hollandaise du poème de Delille. L'ouvrage, qui paraît à Amsterdam, est divisé en deux livraisons1. La première, qui contient les chants\ 1 et 2, date de 1802 ; la seconde de 1803. La publication précède donc légèrement la traduction néerlandaise de Bilderdijk, qui ne paraît que cette même année.

L'expression choisie par Brinkman pour rendre la première partie du titre de Delille, De Veldeling, a fait l'objet d'une critique de la part de Bilderdijk, qui l'a jugée “risible”, en arguant qu'elle convoquait à l'esprit d'image d'un faune ou d'un satyre.

La traductrice retient uniquement les vers. Seuls quelques paragraphes de la préface de Delille sont conservés et les notes de fin sont éliminées, au profit de notes de bas de page plus condensées.

Le premier volume s'ouvre sur un court paragraphe indiquant que l'ouvrage se divisera en deux volumes.

Men heeft, om redenen, voor het algemeen van geen belang, geoordeeld deze twee eerste zangen by voorraad afzonderlyk uit te geven, zullende de twee laatsten, welken ook reeds afgewerkt en ter persse zyn, spoedig volgen, en daarby, zonder eenige verhoging van prys, een fraai gegraveerde tytel voor het geheele werk afgeleverd worden2 […].

Ces “raisons ne présentant pas d'intérêt général” pourraient être la volonté de devancer le libraire néerlandais Allart qui avait, si l'on en croit l'avant-propos de Bilderdijk, annoncé au plus tard en 1802 son intention de faire lui aussi paraître une traduction de L'Homme des champs.

La traductrice commence par rappeler la faveur avec laquelle le texte original a été accueilli et elle fait de sa propre admiration le moteur de son entreprise.

Het schoone dichtstuk l'Homme des Champs, van den abt Delille, is by alle kunstlievenden met zoveel genoegen en geestdrist ontfangen, dat het nutteloos zou zyn omtrent hetzelve eenige aanpryzende aanmerkingen te maken. De aanéénschakeling van verheven en ryke denkbeelden, die hetzelve bevat, doen hier oneindig meer af by elk, die hetzelve op prys weet te stellen, dan alle lofspraak die men over hetzelve zou kunmen maken. Daar, ik, nevens zo veele anderen, door de schoonheid van dit dichtstuk getroffen wierd, besloot ik eene proef te nemen om hetzelve in onze taal over te brengen. Ik ontveins niet dat ik by deszelfs bewerking ondervond dat myne onderneming vermetel was; en by minder zucht tot de poëzy, by minder vastheid in myn besluit, om eens een uitgewerkt dichtstuk te behandelen, zou ik by de eerste onderneming reeds afgeschrikt zyn geworden om deze zo moeijelyke taak te vervolgen; te meer nog, daar zelfs de groote Fransche dichters Racine en Voltaire ook al de moeijelykheid van eenen soortgelyken arbeid inzagen3.

La traductrice, qui renvoie ainsi aux phrases dans lesquelles Delille rapporte la manière dont Louis Racine et Voltaire avaient jugé d'abord impossible toute traduction des Géorgiques de Virgile en français, cite alors assez longuement ce texte. Puis, comme ce parallèle tend à assimiler la relation qu'elle a nouée avec l'écrivain français et celle que ce dernier a entretenue avec son modèle latin, Brinkman reprend la parole, pour noter :

In hoeverre nu de Fransche vertaling der Latynsche landgedichten van Virgilius de vertaling dezer Franche landgedichten in onze taal in moiejelykheid overtrof, kan ik niet beslischen, en heb het bovengezegde slechts aangehaald, om te betogen dat ik hierdoor overtuigd wierd dat zelfs de abt Delille zyne vertaling van Virgilius niet dan met oneindig veel moeite beärbeid heeft, en dat het dus ook my, die beter dan iemant gevoel hoe verre ik beneden hem sta, niet dan door een' aanhoudenden arbeid en moeite gelukken zou om de vertaling zyner Fransche landgedichten met eer te volbrengen4.

Brinkman poursuit en expliquant avoir été encouragée par l'accueil favorable reçu par la traduction du premier chant, qu'elle avait fait imprimer dans un journal5. Mais elle précise que l'ouvrage que le lecteur tient à présent entre ses mains en offre une version elle-même révisée vers par vers, si bien que ce premier chant constitue ici un texte tout à fait neuf. Enfin, elle indique avoir choisi de publier l'ouvrage à compte d'auteur, sans entrer dans les raisons de ce choix.

Choix également suivi plus tard en allemand par Döring, Brinkman utilise un mètre qui, dans les langues germaniques, correspond à l'alexandrin, pour produire des vers à rimes suivies et respectant l'alternance des féminines et des masculines. Comme pour les autres traductions, nous reproduisons la section transposant le passage sur le grain de sable (chant 3, vers 201-220) :

Maar, zonder dat ge uw dal, en uw gebergt' begeeft,
Zie 't marmer, dat de tyd tot gruis versleten heeft.
Wat ryk gedenkstuk! en van welke omwentelingen
Geeft hier het overschot uw geest herinneringen!
Gevormd uit panden in het levend ryk vergaêrd,
Is 't door verwoesting dat dit marmer wierd gebaard.
Wat al geslachten zyn verwoest en omgekomen,
Eer zich dit puin dus vormde en losweekte in de stroomen!
Hoe lang deed reeds de zee haar golf hier over gaan!
Hoe lang spoelde in haar hart de golf dit rollende aan!
Eerst daalde 't van 't gebergt', wierd in de zee verslonden,
En had straks weêr een plaats op 't spits gebergt gevonden;
De stormen rukten 't los, en wierpen 't weer in zee,
De golven sleepten 't voorts weêr naar de stranden meê:
Dus, door den tyd geknaagd, gegeven en hernomen,
Verduurde 't weêr en wind, de stormen en de stroomen.
Een nedrig tydgenoot van menig steile spits
Was eerst een rots, daar nu dees rots een zandkorn is;
Maar, vrucht des tyds, der lucht, der stormen en der winden,
Kunt ge in haar wisseling ook 's waerelds wisling vinden6.

La traduction est extrêmement fidèle au sens du texte d'origine, contrairement à celle de Bilderdijk, qui censurera fortement ce passage en éliminant toute allusion à la longue durée de la géologie, qu'il jugera contrevenir à l'orthodoxie religieuse. Brinkman élimine certes le vocable d'histoire, au début comme à la fin du passage. Mais, en ouverture, la traductrice parle bien du grain comme d'un “monument” (gedenkstuk) qui force l'esprit à se ressouvenir de “révolutions” (omwentelingen) anciennes. Et dans le dernier vers, elle remplace le concept d'histoire par celui, proche, de wisseling (“transformation”), qu'elle répète comme dans l'original. En outre, le mot tyds (“temps”) est mobilisé quatre fois, alors même qu'il est absent de l'expression rendant “combien de temps / que de temps” (hoe lang). Les inflexions sont mineures : “fils”, à l'avant-dernier vers, est par exemple rendu par vrucht (“fruit”), sans perte notable de sens et peut-être par souci de parenté phonique.

En effet, d'un point de vue formel, Brinkman s'attache à respecter la densité et la musicalité de son modèle. Elle utilise autant de vers que Delille. Elle reproduit exactement les marques des affects, les exclamatives intervenant aux mêmes endroits. Elle restitue en outre les effets de liste (par exemple dans la suite “vrucht des tyds, der lucht, der stormen en der winden”), les répétitions clés (“eerst een rots, daar nu dees rots”) et les parallélismes (“Hoe lang […] Hoe lang”). Enfin, elle semble soucieuse de compenser l'impossibilité de transposer certains traits en les déplaçant. Ainsi, lorsque la répétition “de nouveau” n'est pas rendue, le début des vers correspondants présente un parallélisme et une sorte de rime interne (“De stormen rukten 't los […] De golven sleepten 't voorts”).

De façon générale, Brinkman conserve les notes d'origine, mais elle les déplace en bas de page et les écourte. Par exemple, celles qui renvoient à des vers imités par Delille ne donnent que la référence de l'œuvre, et non l'extrait entier, comme tendait à le faire l'original. Dans le chant\ 3, les remarques scientifiques sont pareillement réduites : elles sont maintenues, mais aucune ne dépasse une page.

Comme promis en 1802, la page de titre de la deuxième livraison est conçue pour servir à l'ensemble, aussi ne mentionne-t-elle pas que le volume contient les deux derniers chants. Elle est ornée par une vignette qui se rapporte explicitement au chant\ 2 et représente une figure vêtue à l'antique, observant un paysan ensemençant un champ.

À sa sortie, la traduction a fait l'objet de plusieurs comptes rendus :

  • Accès à la numérisation du premier volume : GoogleBooks.
  • Accès à la numérisation du second volume : GoogleBooks.

Auteur de la page — Hugues Marchal 2019/06/23 12:17
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/06 18:00


1 Anna Catharina Brinkman, De Veldeling of de Fransche landgedichten, van den abt Jaques [sic] Delille, in nederduitsche vaerzen gevolgd door N.C. Brinkman, wed. C. Van Striek, Amsteldam [sic], Gerbrand Roos, [vol. 1], “Eerste en tweede zang”, 1802 ; [vol. 2, chants\ 3 et 4], 1803. Les deux livraisons, on le verra, sont d'emblée conçues comme un tout, de sorte que la pagination du second volume prend la suite du premier. Nous parlons donc de volumes par commodité.
2 “Il a été décidé, pour des raisons ne présentant pas d'intérêt général, de publier ces deux premiers chants séparément, les deux derniers, qui sont également achevés et sous presse, suivront bientôt ainsi, sans augmentation du prix, qu'une page de titre gravée pour l'ensemble de l'œuvre”, id, [vol. 1], p. ii.
3 “Le beau poème de l'Homme des Champs, par l'abbé Delille, a été reçu avec tant de plaisir et d'attention par les amoureux de l'art qu'il serait inutile de le commenter. Il offre une d'idées élevées et riches qui importent infiniment plus à son appréciation que toutes les louanges qu'on en pourrait faire. Puisque j'ai été frappée, comme tant d'autres, par la beauté du poème, j'ai décidé de tenter de la rendre dans notre langue. Je ne cache pas qu'au fil de cette adaptation, j'ai trouvé mon entreprise audacieuse, et si j'avais eu moins d'appétit pour la poésie, moins de fermeté dans ma résolution de procurer un poème complet, j'aurais renoncé dès le premier essai à poursuivre cette tâche si difficile, d'autant que les grands poètes français Racine et Voltaire ont eux-mêmes évoqué la difficulté de ce type de travail”, id., p. iii.
4 Ce n'est pas à moi de décider combien traduire en français les géorgiques latines surpasse en difficulté la traduction de ces géorgiques françaises dans notre langue, et je n'ai cité ce qui précède [c'est-à-dire les remarques de Delille] que pour expliquer que ces propos m'ont convaincue que l'abbé Delille lui-même n'a pas pu mener sa traduction de Virgile sans d'infinies difficultés et que dès lors je ne pourrais, moi qui sens mieux que personne combien je lui suis inférieure, réussir à traduire honorablement ses géorgiques français qu'au prix d'un travail persistant et avec peine“, id., p. iv-v.
5 Nous n'avons pas encore identifié cette publication.
6 Id., [vol. 2], p. 87.