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Balland, Les Végétaux curieux

Publié en 1824 sous le pseudonyme de B. Allent, Les végétaux curieux, ou Recueil des particularités les plus remarquables qu'offrent les plantes… est un livre de vulgarisation dû à Eugène-Amédée Balland. Sous-titré “ouvrage instructif et amusant, destiné à la jeunesse des deux sexes”, le volume fait suite à un premier succès de librairie, Les animaux industrieux (1821), dont il reprend le modèle : l'essentiel du texte est consacré à évoquer une série d'espèces choisies, puis il s'achève sur des “considérations générales et citations” dans lesquelles Balland loue les “harmonies” de la nature et les plaisirs de la science. Dans les deux cas, l'auteur cite à plusieurs reprises L'Homme des champs et surtout Les Trois Règnes de la nature de Delille1.

Deux longues citations de Delille apparaissent dans les dernières pages des Végétaux curieux.

Balland emprunte d'abord au chant 3 de L'Homme des champs le passage où le poète vante les joies de l'herborisation. Balland le glose au préalable, de sorte que les vers viennent redire et appuyer son propos :

     Les plaisirs que l'on trouve dans l'étude des plantes doivent suffire pour nous y attacher. C'est une destinée fort heureuse que celle du savant, qui ne peut employer ses veilles à des travaux dont la nature est le but, sans que les plus pures jouissances ne viennent aussitôt le payer de ses sacrifices et le dédommager de ses peines. Que de plaisirs attendent celui qui se livre à la botanique. Jusqu'alors les végétaux lui ont paru tous à peu près semblables, et son œil, après avoir admiré l'effet pittoresque de leur distribution dans le paysage , a cessé de les regarder, ne trouvant plus rien en eux qui justifiât une plus longue attention. Mais maintenant qu'il les connaît par leur nom, qu'il sait quelles sont leurs habitudes, les terrains qui conviennent à la nourriture de chacun d'eux, qu'il pourrait préciser le temps où la feuille sort du bourgeon, où la fleur doit éclore : ce sont des connaissances , bien plus ce sont des amis qu'il distingue de loin, vers lesquels il se rend avec empressement, et qui ne le trouvent jamais froid, parce qu'ils ne sont jamais indifférens pour lui. Il applaudit à celui-ci qu'il rencontre sur le sol qui lui est le plus convenable, et il irait volontiers jusqu'à le féliciter sur cet avantage, sur l'exposition heureuse dans laquelle il se trouve, si cet autre dont les fleurs sont si jolies, et qui lui rappelle peut-être les plus doux souvenirs , ne dépérissait sur un lit ingrat composé de sable et de cailloux. C'est au malheureux qu'il accorde toute son attention. Ici c'est une plante qu'il aperçoit pour la première fois dans une vallée où elle était jusqu'alors inconnue ; le plaisir qu'il éprouve alors est celui qu'inspire l'arrivée d'un nouvel hôte ; là il interpose son pouvoir et délivre le végétal utile du végétal parasite, qui nuit à son accroissement, et qui menaçant de le détruire par son influence nuisible , nous menace nous-mêmes dans nos besoins ou dans nos jouissances. Ainsi, il peuple une campagne que d'abord il avait trouvée déserte, et l'étude n'est plus pour lui qu'un plaisir.
     Voici comment Delille, toujours inimitable quand il faut peindre la nature, nous retrace les plaisirs d'un jour d'herborisation.

Le jour vient, et la troupe arrive au rendez-vous.
Ce ne sont point ici de ces guerres barbares
Où les accens du cor et le bruit des fanfare
Épouvantent de loin les hôtes des forêts.
Paissez, jeunes chevreuils ; sous vos ombrages frais,
Oiseaux, ne craignez rien : ces chasses innocentes
Ont pour objet les fleurs, les arbres et les plantes ;
Et des prés, et des bois, et des champs et des monts,
Le portefeuille avide attend déjà les dons.
On part : l'air du matin, la fraîcheur de l'aurore,
Appellent à l'envi les disciples de Flore.

Jussieu marche à leur tête ; il parcourt avec eux
Du règne végétal les nourrissons nombreux.
Pour tenter son savoir quelquefois leur malice
De plusieurs végétaux compose un tout factice ;
Le sage l'aperçoit, sourit avec bonté,
Et rend à chaque plant son débris emprunté.
Chacun dans sa recherche à l'envi se signale :
Etamine , pistil et corolle et pétale,
On interroge tout. Parmi ces végétaux
Les uns vous sont connus, d'autres vous sont nouveaux :
Vous voyez les premiers avec reconnaissance,
Vous voyez les seconds des yeux de l'espérance ;
L'un est un vieil ami qu'on aime à retrouver,
L'autre est un inconnu que l'on doit éprouver.
Et quel plaisir encor, lorsque des objets rares,
Dont le sol, le climat et le ciel sont avares,
Rendus par votre attente encor plus précieux,
Par un heureux hasard se montrent à vos yeux !
Voyez quand la pervenche, en nos champs ignorée,
Offre à Rousseau sa fleur si long-temps désirée !
La pervenche ! grand Dieu ! la pervenche ! Soudain
Il la couve des yeux, il y porte la main,
Saisit sa douce proie ; avec moins de tendresse
L'amant voit, reconnait, adore sa maîtresse.

Mais le besoin commande : un champêtre repas,
Pour ranimer leur force, a suspendu leurs pas ;
C'est au bord des ruisseaux, des sources, des cascades ;
Bacchus se rafraîchit dans les eaux des Naïades.
Des arbres pour lambris, pour tableaux l'horizon,
Les oiseaux pour concerts, pour table le gazon,
Le laitage, les oeufs, l'abricot, la cerise,
Et la fraise des bois que leurs mains ont conquise.
Voilà leurs simples mets, grâce à leurs doux travaux,
Leur appétit insulte à tout l'art des Méots.
On fête, on chante Flore et l'antique Cybèle,
Eternellement jeune, éternellement belle.
Leurs discours ne sont pas tous ces riens si vantés,
Par la mode introduits, par la mode emportés.
Mais la grandeur d'un Dieu, mais sa bonté féconde,
La nature immortelle et les secrets du monde.

La troupe enfin se lève, on vole de nouveau
Des bois la prairie et des champs au coteau,
Et le soir dans l'herbier, dont les feuilles sont prêtes,
Chacun vient en triomphe apporter ses conquêtes2.


Vers concernés : chant 3, vers 410-464.

Balland enchaîne aussitôt en rapprochant cet extrait de vers qu'il puise cette fois dans Les Trois Règnes et qui ajoutent aux plaisirs de l'observation ceux de la création. Cette fois, le vulgarisateur laisse le poète exposer seul cette thèse : le botaniste qui se mue en expérimentateur peut modifier la végétation, par des greffes ou par des tentatives d'acclimatation…

     Il appartenait au même poëte d'appeler l'homme à la conquête des végétaux, et de faire cet appel sur le ton de l'enthousiasme : voici ce morceau qui ne le cède au précédent, ni pour le mouvement, ni par la richesse des images et la beauté des vers.

Enfin vous jouissez, et le cœur et les yeux
Chérissent de vos bois l'abri délicieux.
Au plaisir voulez-vous unir encor la gloire ?
Voulez-vous de votre art remporter la victoire ?
Déjà de nos jardins heureux décorateur,
Ajoutez à ces noms le nom de créateur.
Voyez comme en secret la nature fermente ;
Quel besoin d'enfanter sans cesse la tourmente ;
Et vous ne l'aidez pas ! qui sait dans son trésor
Quels biens à l'industrie elle réserve encor ?
Comme l'art à son gré guide le cours de l'onde,
Il peut guider la sève ; à sa liqueur féconde
Montrez d'autres chemins, ouvrez d'autres canaux ;
Dans vos champs enrichis par des hymens nouveaux,
Des sucs vierges encore essayez le mélange,
De leurs dons naturels favorisez l'échange.
Combien d'arbres, de fruits, de plantes et de fleurs
Dont l'art changea les goûts, les parfums, les couleurs !
La pêche a dû sa gloire à ces métamorphoses ;
D'un triple diadème ainsi brillent les roses ;
De son panache aussi l'œillet s'énorgueillit.
Osez : Dieu fit le monde et l'homme l'embellit.

Que si vous n'osez pas essayer ces conquêtes,
Combien sous d'autres cieux de richesses sont prêtes !
Usurpez ces trésors ; ainsi le fier romain,
Et ravisseur plus juste et vainqueur plus humain,
Conquit des fruits nouveaux, porta dans l'Ausonie
Le prunier de Damas, l'abricot d'Arménie,
Le poirier des Gaulois, tant d'autres fruits divers :
C'est ainsi qu'il fallait s'asservir l'univers !
Quand Lucullus vainqueur triomphait de l'Asie,
L'airain, le marbre et l'or frappaient Rome éblouie.
Le sage dans la foule aimait à voir ses mains
Porter le cerisier en triomphe aux Romains.
Et ces mêmes Romains n'ont-ils pas vu nos pères
En bataillons armés, sous des cieux plus prospères
Aller chercher la vigne et vouer à Bacchus
Leurs étendards rougis du nectar des vaincus ?
Du fruit de leurs exploits leurs troupes échauffées
Apportaient en chantant oes précieux trophées.
Du pampre triomphal ils couronnaient leurs fronts,
Le pampre sur leurs dards s'enlaçait en festons.
Tel revint triomphant le dieu vainqueur du Gange :
Les vallons, les coteaux célébraient la vendange,
Et partout où coula le nectar enchanté,
Coururent le plaisir, l'audace et la gaîté.

Ici nous quitterons la plume, ne voulant rien ajouter après ces vers si dignes d'être confiés à la mémoire, et qu'un plus long discours pourrait en effacer3.

Balland associe ainsi les deux poèmes de 1800 et 1808, comme Du Petit-Thouars l'avait déjà fait quelques années plus tôt, pour d'autres vers, dans son Histoire d'un morceau de bois, ce qui suggère que pour ces vulgarisateurs, les deux grands textes où Delille a abordé l'histoire naturelle forment un seul ensemble cohérent, dont ces commentateurs peuvent recombiner à loisir les passages, pour en révéler les complémentarités.

Les Végétaux curieux figure dans la liste des sources que mentionne un autre ouvrage de vulgarisation employant le même extrait de L'Homme des champs, la Botanique à l'usage de la jeunesse de Mme Bonnat.

Accès à la numérisation du texte : Gallica.


Auteur de la page — Hugues Marchal 2017/04/27 15:23


1 Les animaux industrieux utilise un extrait du chant 4 de L'Homme des champs, contre plusieurs passages des Trois Règnes ; dans Les Végétaux curieux, le ratio reste sensiblement le même : outre les extraits repris ci-dessous, Balland emprunte un extrait au chant 1 de L'Homme des champs et quatre extraits du texte de 1808.
2 B. Allent [Eugène Balland], Les Végétaux curieux, ou Recueil des particularités les plus remarquables qu'offrent les plantes […] ouvrage instructif et amusant, destiné à la jeunesse des deux sexes, Paris, Blanchard, 1824, p. 235-238.
3 Id., p. 238-240.