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Lamurée, Mes vacances en Suisse et en Savoie

Ouvrage de l'abbé Achille Lamurée, Mes vacances en Suisse et en Savoie (1863), offre un exemple de la manière dont les milieux catholiques ont tenté, à cette époque, de proposer des textes de vulgarisation scientifique attrayants, mais inoffensifs pour la religion et la morale.

L'ouvrage, qui se présente comme un ensemble de “Lettres à un ami”, tient du récit de voyage réel, de la correspondance fictive, de la “causerie” et de l'enseignement. La prose y est entrecoupée de nombreuses citations poétiques, dont plusieurs sont tirées des œuvres de Delille.

Le chant 3 de L'Homme des champs est cité dès la première lettre, “Coup d'œil sur la Suisse”, où Lamurée alterne entre description littéraire des paysages et exposé de données géologiques ou climatiques.

     Dans un rayon de quelques lieues à peine, sont les plus épouvantables sévérités du chaos et les plus rares merveilles de la création ; l’hiver avec son cortège de cruelles rigueurs, et le printemps joyeux comme l’espérance, embaumé de parfums ; le nord et le midi ; un ciel assombri par les nuages où se prépare l’orage, où gronde la tempête, et un firmament d’inaltérable azur, prodigieusement clair, subtil et resplendissant […].

     La nature tantôt riante en tous ses traits,
     De verdure et de fleurs égayant ses attraits ;
     Tantôt mâle, âpre et forte, et dédaignant les grâces,
     Fière, et du vieux chaos gardant encor les traces.
     Ici, modeste encor au sortir du berceau,
     Glisse en minces filets un timide ruisseau ;
     Là s‘élance en grondent la cascade écumante ;
     Là le zéphir caresse, ou l’aquilon tourmente,
     Vous y voyez unis des volcans, des vergers,
     Et l’écho du tonnerre et l‘écho des bergers ;
     Ici de frais vallons, une terre féconde ;
     Là des rocs décharnés, vieux ossements du monde ;
     A leur pied le printemps, sur leurs fronts les hivers !
                                   Delille1.

La citation prolonge les remarques en prose de l'auteur et ainsi renforce leur autorité, tout en assumant une fonction proche de l'illustration, le “pittoresque” des vers devant leur assurer une capacité à faire image dans un volume sans iconographie.

Vers concernés : chant 3, vers 329-341.

Lamurée utilise plus loin l'hémistiche qui suit immédiatement ces lignes chez Delille, “Salut, pompeux Jura…” : l'expression sert d'épigraphe à la lettre IV, consacrée au trajet “De Bâle à Soleure et à Bienne2”.

Vers concerné : chant 3, vers 342.

Dans la lettre XIII, le narrateur, découvrant les vestiges d'une catastrophe ayant englouti plusieurs villages, cite les vers que Delille avait consacrés à un désastre similaire, mais cette fois le nom du poète n'est pas mentionné.

     Un peu plus loin nos yeux sont attristés par l’effrayant spectacle d’une incomparable désolation. Cet horrible chaos de décombres, de ruines, de rochers, de montagnes entassés fait saigner le cœur. Là étaient Goldau, Rœthen, Ober, Busingen, quatre villages ! Et le 2 septembre 1806 ils furent ensevelis sous les énormes éboulements du Rotzberg. Quatre cent cinquante personnes surprises au milieu de leurs occupations, deux cents étables, cent onze maisons, six églises, plus de trois cents pièces de bétail, furent écrasées en un clin d’œil.

     Il était cinq heures après midi : à la suite de pluies abondantes, un des sommets se précipite avec un fracas épouvantable, comble la vallée et une partie du lac de Lowerz, dont les eaux refluent, s’élèvent à une prodigieuse hauteur et vont porter le ravage sur la rive opposée. Cent onze arpents de terre sont recouverts de débris considérables. — Toutes les fouilles faites dans le but de retrouver les malheureuses victimes furent inutiles.

     Mais j’aperçois ici les débris d’un village :
     D’un désastre fameux tout annonce l’image.
     Quels malheurs l‘ont produit ? Avançons, consultons
     Les lieux et les vieillards de ces tristes cantons.
     Dans les concavités de ces roches profondes,
     Où des fleuves futurs l’air déposait les ondes,
     L’eau, parmi les rochers, se filtrant lentement
     De ces grands réservoirs mina le fondement.
     Les voûtes, tout à coup à grand bruit écroulées,
     Remplirent ces bassins, et les eaux refoulées
     Se soulevant en masse et brisant leurs remparts,
     Avec les bois, les rocs, et leurs débris épars,
     Des hameaux, des cités trainèrent les ruines.
     Leur cours se lit encore au creux de ces ravines
     Et l'ermite du lieu, sur un décombre assis,
     Aux voyageurs encore en fait de longs récits.

     Déjà plusieurs fois ce redoutable phénomène s’était produit (il se renouvela encore l’année 1824), jamais cependant il n’a causé un tel désastre. L’éboulis s’étendit sur une lieue de longueur et presque mille pieds de largeur. On y distingue quatre courants principaux.3.

Vers concerné : chant 3, vers 87-102.

Accès à la numérisation du texte : GoogleBooks.


Auteur de la page — Hugues Marchal 2017/02/17 20:50


1 Achille Lamurée, Mes vacances en Suisse et en Savoie, Paris, E. Maillet, 1863, p. 18-19.
2 Id., p. 82.
3 Id., p. 318-319.