drozjurassienne

Auguste Droz, Une Jurassienne

Auguste Droz publie Une Jurassienne en 1831, au moment où une révolte éclate dans la Principauté de Neuchâtel contre la tutelle du roi de Prusse. Depuis 1815, le pays de Neuchâtel conserve en effet un statut politique ambigu, à la fois canton suisse et principauté prussienne. Droz considère cet attachement à un grand royaume comme une marque de servitude et, dans la foulée des révolutions européennes de 1830, il harangue les Neuchâtelois pour qu'ils se départissent de l'ancien régime féodal au nom du patriotisme et de la liberté.

Par son titre, sa versification hétérométrique, sa teneur patriotique et son engagement politique, la Jurassienne de Droz participe de la vogue des Helvétiennes. Entre 1825 et 1832 environ, de jeunes poètes de la Suisse francophone comme Albert Richard, John Petit-Senn et Jean Huber publient des poèmes héroïques qui contiennent l'adjectif substantivé helvétienne dans leur titre et qui portent soit sur l'histoire ou les légendes fondatrices de la Suisse, soit sur la situation politique contemporaine du pays pour prôner son indépendance vis-à-vis de la France et des autres puissances européennes. En 1832, peu après Droz, Albert Richard donnera également une Helvétienne intitulée Neuchâtel qui fustigera les Neuchâtelois fidèles au roi de Prusse1. La multiplication des Helvétiennes est elle-même tributaire du poète français Casimir Delavigne qui, avec ses Messéniennes publiées au lendemain de la défaite de Waterloo, a inauguré selon ses propres termes un nouveau “genre de poésies nationales” à la fois élégiaque et politisé. Souvent réédité, son recueil a marqué la première génération d'auteurs romantiques, non seulement en France, mais aussi à l'étranger2.

Le premier vers d'Une Jurassienne emprunte au troisième chant de L'Homme des chants un hémistiche, “Salut, pompeux Jura”. Il s'agit vraisemblablement d'un simple clin d’œil, dans la mesure où on n'y décèle aucune transgression parodique. C'est aussi une manière de rappeler discrètement que les montagnes du Jura constituent, à côté des Alpes, un motif littéraire qu'un poète comme Delille n'a pas dédaigné. Outre son statut d'incipit, l'hémistiche de L'Homme des champs est mis en exergue par Droz qui, dans les premiers vers, adresse d'autres salutations aux différents éléments du paysage jurassien.

UNE
Jurassienne.

Salut, pompeux Jura ! salut riantes ondes
Dont le sein réfléchit le pampre des coteaux,
Pins toujours verts, bosquets, rochers, grottes profondes,
Et vous, torrents fougueux, et vous, humbles ruisseaux.

Salut, riches vallons où fleurit l'industrie,
Où bravant des hivers la longue intempérie
     Brille le feu sacré des arts !
Salut, toits des hameaux, et vous, clochers épars
Au pied des noirs rochers où retentit l'enclume,
Au milieu des vergers, dans le sein des guérets,
     Aux bords sauvages des forêts,
Et jusqu'au haut des monts où de gras pâturages
Aux troupeaux mugissants donnent de frais herbages !3

Vers concerné : chant 3, vers 342


Auteur de la page — Timothée Léchot 2017/05/03 12:26
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/17 22:28


1 Albert Richard, Deux helvétiennes. La Vision. − Neuchâtel, Lausanne, George Rouiller, 1832.
2 Voir Timothée Léchot, “Ayons aussi une poésie nationale”. Affirmation d'une périphérie littéraire en Suisse 1730-1830, Genève, Librairie Droz, 2017, p. 497-503 ; et "La "poésie helvétienne" (1775-1830) : fonctions patriotiques et vertus civiques d'une littérature émergente", Études Lumières.Lausanne, no 1, décembre 2014.
3 Auguste Droz, Une Jurassienne. Par Auguste Droz de Renan. Avec notes, Paris, s. n., 1831, p. 7-8.