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Montémont, Voyage aux Alpes et en Italie (4e éd.)

Composé de lettres fictives, le Voyage aux Alpes et en Italie d'Albert Montémont a paru en 1821, avant de faire l'objet de réimpressions signalant son succès. À chaque fois, l'auteur propose un véritable collage de citations littéraires. Milton, Dante et La Fontaine ne sont que quelques uns des auteurs dont Montémont insère des extraits dans sa prose, aux côtés de Delille. L'ensemble contient aussi des vers de son cru. Quant à la forme épistolaire (le volume est divisé en lettres fictives), elle permet de donner à ce récit de voyage un style plus littéraire : l’écriture de Montémont est riche et ornée, afin de s'écarter de l'aridité du traité scientifique.

Montémont puise dans Les Trois Règnes de Delille et dans sa traduction du Passage du Saint Gothard, et il exploite aussi trois passages du chant 3 de L'Homme des champs. Toutefois, cette version remaniée propose une variante notable par rapport à la première édition.

Au moment d'introduire ses citations, l’auteur semble à la fois les reformuler et adapter leur tonalité à son propos, comme le montre ce premier exemple :

Quelles sources inépuisables de recueillement, d’enthousiasme et de méditation ! Les ruines de Palmyre, de Carthage et de Rome sont bien propres sans doute à séduire et à transporter l’imagination du voyageur ; mais que sont-elles devant les ruines majestueuses de la terre ? Celles-ci me semblent bien autrement imposantes que celles de la puissance humaine.

Sur ces vastes rochers, confusément épars,
Je crois voir le génie appeler tous les arts…
Des siècles autour d’eux ont passé comme une heure,
Et l’aigle et l’homme libre en aiment la demeure.
… Vous y venez, d’un œil observateur,
Admirer dans ses plans l’éternel créateur.
Là, le temps a tracé les annales du monde :
Vous distinguez ces monts, lents ouvrages de l’onde,
Ceux que des feux soudains ont lancés dans les airs,
Et les monts primitifs nés avec l’univers ;
Vous fouillez dans leur sein, vous percez leur structure,
Vous y voyez empreints, Dieu, l’homme et la nature :
La nature, tantôt riante en tous ses attraits,
De verdure et de fleurs égayant ses traits ;
Tantôt mâle, âpre et forte, et dédaignant les grâces,
Fière, et du vieux chaos cachant encore les traces ;
Ici, modeste encore au sortir du berceau,
Glisse en mince filet un timide ruisseau ;
Là, s’élance en grondant la cascade écumente,
Là,le zéphir caresse ou l’aquilon tourmente.
Vous y voyez unis des volcans, des vergers,
Et l’écho du tonnerre, et l’écho des bergers ;
Ici, de frais vallons, une terre féconde ;
Là des rocs décharnés, vieux ossements du monde1.
(DELILLE, Géorg.fr.)

Vers concernés : chant 3, vers 305-306, 311-318 et 327-340.

Si Montémont n'hésite pas, on le voit, à réagencer les vers, il propose ici un emprunt plus fidèle que dans la première édition, où l'emprunt à Delille n'était pas signalé aussi nettement, puisque Montémont livrait un quatrain de son cru, modifiant le contenu de quatre vers de son modèle.

La citation suivante respecte davantage le texte d'origine, mais Montémont paraît juger inutile de préciser le titre de l'œuvre source\ :

L’œil ne mesure qu’avec une surprise et une admiration mêlées de terreur ce superbe dominateur des Alpes, dont le trône aérien repose sur des montagnes de glace aussi vieilles que le temps.

De neiges, de glaçons entassements énormes ;
Du temple des frimas colonnades informes ;
Prismes éblouissants, dont les pans azurés,
Défiant le soleil dont ils sont colorés,
Peignent de pourpre et d’or leur éclatante masse ;
Tandis que, triomphant sur son trône de glace,
L’hiver s’enorgueillit de voir l’astre du jour
Embellir son palais et décorer sa cour2.
(DELILLE.)

Vers concernés : chant 3, vers 343-350.

Il en va de même du dernier extrait :

Le grandiose du spectacle étonne l’imagination ; elle est éblouie de cet océan de glace et de ces masses nues et décharnées qu’elle aperçoit de tous côtés, et dont les pyramides nommées aiguilles forment une vaste colonnade qui semble porter le ciel ; et l’éloquent silence qui habite ces déserts pénètre l’âme d’une émotion profonde et durable : on dirait que tout cet ensemble appartient à un monde nouveau.

Non, jamais au milieu de ces grands phénomènes,
De ces tableaux touchants, de ces terribles scènes,
L’imagination ne laisse, dans ces lieux,
Ou languir la pensée, ou reposer les yeux3.
(DELILLE.)

Vers concernés : chant 3, vers 351-354.

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Auteur de la page — Laila Dell'Anno 2017/09/18 17:09


1 Albert Montémont, Voyage aux Alpes et en Italie (4e éd.) [1859], Paris, Arthus Bertrand, 1860, p. 14-15
2 Id., p.66.
3 Id.,p. 93.