Jacquemart, Flore des dames. Botanique à l'usage des dames et des jeunes personnes
Présentation de l'œuvre
Avec sa Flore des dames (1840), Albert Jacquemart publie un ouvrage de vulgarisation scientifique sur la botanique. Comme l'indique le titre, l'oeuvre est avant tout destinée à un public féminin et Jacquemart adopte la forme traditionnelle du dialogue de vulgarisation, dans lequel un savant prodigue une leçon scientifique à une jeune femme. Chaque nouveau chapitre est synonyme pour le savant et son élève d'une nouvelle “promenade”, au cours de laquelle le premier apprend à la seconde à jeter un nouveau regard sur la nature qui l'entoure. Le savant entend grâce au savoir qu'il apporte prévenir à l'avenir la baronne de toute crainte de s'ennuyer à la campagne1. Comme dans L'Homme des champs de Delille, la connaissance scientifique est censée transformer le rapport du sujet au monde. Elle le plonge dans un état d'euphorie continuelle en multipliant ses sources de plaisirs 2.
Citation
La citation de plusieurs œuvres poétiques permet à Jacquemart de rompre un moment avec le registre didactique et d'éviter ainsi l'écueil de la monotonie3. Delille est avec Castel (auteur d'un poème sur les plantes) l'auteur le plus cité du livre. Le savant parle de Delille comme “l'un de nos poètes les plus éloquents et les plus vertueux4”. Jacquemart cite surtout des extraits des Trois Règnes de la nature. Le seul extrait de L'Homme des champs qu'il mobilise est le célèbre passage sur l'herborisation :
Écoutez et dites-moi s'il est rien de plus beau que ce tableau dont le modèle est sous vos yeux:
Et les humbles tributs, le peuple immense d'herbes
Qu'effleure l'ignorant de ses regards superbes,
N'ont-ils pas leurs beautés et leurs bienfaits divers ?
Le même Dieu créa la mousse et l'univers.
De leurs secrets pouvoirs connaissez les mystères,
Leurs utiles vertus, leurs poisons salutaires :
Par eux autour de vous rien n'est inhabité.
Et même le désert n'est jamais sans beauté;
Souvent, pour visiter leurs riantes peuplades,
Vous dirigez vers eux vos douces promenades,
Soit que vous parcouriez les coteaux de Marly,
Ou le riche Meudon, ou le frais Chantilly.
Et voulez-vous encore embellir le voyage ?
Qu'une troupe d'amis avec vous le partage :
La peine est plus légère et le plaisir plus doux
Le jour vient, et la troupe arrive au rendez-vous.
Ce ne sont point ici de ces guerres barbares
Où les accents du cor et le bruit des fanfares
Épouvantent de loin les hôtes des forêts.
Passez, jeunes chevreuils, sous vos ombrages frais ;
Oiseaux, ne craignez rien : ces chasses innocentes
Ont pour objet les fleurs, les arbres et les plantes;
Et des prés et des bois, et des champs et des monts,
Le portefeuille avide attend déjà les dons.
On part, l'air du matin, la fraîcheur de l'aurore,
Appellent à l'envie les disciples de Flore.
Jussieu est à leur tête ; il parcourt avec eux,
Du règne végétal les nourrissons nombreux.
Pour tenter son savoir, quelquefois leur malice
De plusieurs végétaux compose un tout factice ;
Le sage l'aperçoit, sourit avec bonté,
Et rend à chaque plant son débris emprunté.
Chacun dans sa recherche à l'envi se signale:
Étamine, pistil, et corolle et pétale,
On Interroge tout. Parmi ces végétaux,
Les uns vous sont connus, d'autres vous sont nouveaux :
Vous voyez les premiers avec reconnaissance,
Vous voyez les seconds des yeux de l'espérance ;
L'un est un vieil ami qu'on aime à retrouver,
L'autre est un inconnu que l'on doit éprouver.
Et quel plaisir encor lorsque des objets rares,
Dont le sol, le climat et le ciel sont avares,
Rendus par votre attente encor plus précieux
Par un heureux hasard se montrent à vos yeux !
Voyez quand la pervenche, en nos champs ignorée,
Offre à Rousseau sa fleur si longtemps désirée !
La pervenche! grand Dieu ! la pervenche ! soudain
Il la couve des yeux, il y porte la main,
Saisit sa douce proie : avec moins de tendresse
L'amant voit, reconnaît, adore sa maîtresse5.
Croyez-vous madame que ces vers soient ignorés ? non, mais les plaisirs qu'ils enseignent ne satisfont que l'âme, et c'est aux plaisirs des sens que les poëtes du jour nous ont appris à demander le bonheur6.
Les remarques que Jacquemart formule à propos des vers cités sont intéressantes à plus d'un titre. Premièrement, il met l'accent sur la capacité de la poésie delillienne à peindre divinement la beauté de la nature. La jeune femme est censée regarder le paysage tout en écoutant l'extrait de L'Homme des champs, chargé de transcender l'émotion directe procurée par la nature. La lecture de Delille apparaît ainsi complémentaire au plaisir ressenti lors d'un contact authentique avec la nature, ce qui tranche avec l'image diffusée par Chaussard d'une poésie delillienne en total décalage avec l'objet qu'elle prétend décrire. Ensuite, Jacquemart note que ces vers jouissent encore d'une grande popularité. L'œuvre delillienne semble toujours dans les mémoires en 1840. Enfin, Jacquemart fait de Delille le modèle d'une poésie spiritualiste s'opposant selon lui aux poètes de l'époque, trop portés sur les plaisirs des sens.
Vers concernés : chant 3, vers 395-444.
Liens externes
Accès à la numérisation du texte : Google Books.
Auteur de la page — Nicolas Leblanc 2017/04/02 14:17