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Jean Vatout, Catalogue historique et descriptif des tableaux appartenans à S.A.S. Mgr. le duc d'Orléans

Comme la Galerie lithographiée de son altesse royale monseigneur le duc d'Orléans, publiée par Vatout et Quénot, le Catalogue historique et descriptif des tableaux appartenans à S.A.S. Mgr. le duc d'Orléans, où le seul nom de Vatout figure en page de titre, est un inventaire des collections de peinture du futur roi Louis-Philippe. Mais cette version du catalogue ne comprend pas d'illustration, et elle a été imprimée en quatre volumes, de 1823 à 18261.

Les trois premiers volumes sont réservés aux portraits et ne comportent guère de citations : les personnalités représentées font l'objet d'une présentation biographique. En revanche, dans le dernier volume, consacré aux “tableaux-sujets”, Vatout change de stratégie et s'en explique ainsi : “La [collection] offrant une grande variété dans les tableaux, j'ai essayé de reproduire cette même variété dans le texte. À cet effet, j'ai tantôt évoqué la muse de nos anciens poètes, tantôt invoqué celle des écrivains qui de nos jours honorent le plus le jeune parnasse français. J'espère que les lecteurs me sauront gré d'avoir mis sous leurs yeux cette sorte de mosaïque littéraire2.”

Les vers que Delille consacre à la mer, dans le chant 3 de L'Homme des champs, ne sont pas ici associés à Isabey fils, comme dans la publication sœur, mais servent de commentaire à une marine d'un autre peintre, Théodore Gudin.

N° 42
Gudin

MARINE
1825

O mer, terrible mer, quel homme à ton aspect
Ne se sent pas saisi de crainte et de respect !
De quelle impression tu frappas mon enfance !
Mais alors je ne vis que ton espace immense ;
Combien l'homme et ses arts t'agrandissent encor !
Là, le génie humain prit son plus noble essor.
Tous ces nombreux vaisseaux, suspendus sur ces ondes,
Sont le nœud des états, les courriers des deux mondes.
Comme elle, à son aspect, vos pensers sont profonds.
Tantôt vous demandez à ces gouffres sans fonds
Les débris disparus des nations guerrières,
Leur or, leurs bataillons, et leurs flottes entières.
Tantôt avec Linnée, enfoncés sous les eaux,
Vous cherchez ces forêts de fucus, de roseaux,
De la Flore des mers invisible héritage,
Qui ne viennent à nous qu'apportés par l'orage ;
Éponges, polypiers, madrépores, coraux,
Des insectes des mers miraculeux travaux.
Que de fleuves obscurs y dérobent leur source !
Que de fleuves fameux y terminent leur course !
Tantôt, avec effroi, vous y suivez de l'œil
Ces monstres qui de loin semblent un vaste écueil :
Souvent avec Buffon vos yeux viennent y lire
Les révolutions de ce bruyant empire,
Ses courans, ses reflux, ces grands événemens
Qui de l'axe incliné suivent les mouvemens ;
Tous ces volcans éteints qui, du sein de la terre.
Jadis allaient aux cieux défier le tonnerre ;
Ceux dont le foyer brûle, au sein des flots amers;
Ceux dont la voûte ardente est la base des mers,
Et qui, peut-être un jour, sur les eaux écumantes,
Vomiront des rochers et des îles fumantes.
Peindrai-je ces vieux caps, sur les ondes pendans,
Ces golfes qu'à leur tour rongent les flots grondans ;
Ces monts ensevelis sous ces voûtes obscures,
Les Alpes d'autrefois, et les Alpes futures,
Tandis que ces vallons, ces monts que voit le jour,
Dans les profondes eaux vont rentrer à leur tour ?
Echanges éternels de la terre et de l'onde.
Qui semblent lentement se disputer le monde !
Ainsi l'ancre s'attache où paissaient les troupeaux ;
Ainsi roulent les chars où voguaient des vaisseaux ;
Et le monde vieilli par la mer qui voyage,
Dans l'abîme des temps s'en va cacher son âge.

                              J. Delille3.

À part des variantes orthographiques mineures, le texte utilisé par Vatout est identique à celui employé pour Isabey fils. Même si le Catalogue historique et descriptif de 1826 rend hommage à Delille en lui empruntant d'autres extraits encore4, le morceau sur la mer apparaît ainsi comme un fragment de texte disponible, sans grand effort, pour accompagner toute scène de mer.

Vers concernés : chant 3, vers 225-268.

Nous n'avons pas identifié avec certitude l'œuvre correspondant à cette entrée du catalogue. Il pourrait s'agir des Côtes de Normandie, toile lithographiée, sans indication de date, dans la même série de publications que la peinture d'Isabey, où elle est toutefois accompagnée de vers de Lamartine. Mais cette série inclut une autre marine de Gudin, Gros temps, à laquelle une ode de Le Brun sert de commentaire. Et au moins une autre “marine” de Gudin appartenant aux collections de Louis-Philippe, Le Tréport, a été conservée. Nous reproduisons donc ces trois œuvres ci-dessous, à titre indicatif :



     Théodore Gudin, Côtes de Normandie (date inconnue5).




     Théodore Gudin, Gros temps (date inconnue6).




     Théodore Gudin, Le Tréport (huile sur toile, date inconnue7).

Si la destination des vers sur la mer varie entre les deux catalogues, il n'en va pas de même de ceux sur les hautes montagnes. L'entrée correspondant à Michallon utilise le même texte que la Galerie lithographiée…, où l'image est reproduite.

N° 61
Michallon

VUE DES GLACIERS DE GRINDELWALD,
DANS LE CANTON DE BERNE

          De neiges, de glaçons entassemens énormes,
          Du temple des frimas colonnades informes,
          Prismes éblouissans dont les pans azurés
          Défiant le soleil dont ils sont colorés,
          Peignent de pourpre et d’or leur éclatante masse,
          Tandis que, triomphant sur son trône de glace,
          L’hiver s’enorgueillit de voir l’astre du jour
          Embellir son palais et décorer sa cour.
                    (J. Delille.)


Le vallon de Grindelwald offre un de ces speclacles qui étonnent à la fois et charment les regards ; il semble réunir toutes les saisons dans le même temps, tous les climats dans le même lieu8. […]

Vers concernés : chant 3, vers 343-350.

  • Accès à la numérisation du texte : HathiTrust.

Auteur de la page — Hugues Marchal 2017/03/01 19:20


1 Le titre change à partir du deuxième volume, pour devenir Notices historiques sur les tableaux de la galerie de S.A.R. Mgr. le duc d'Orléans.
2 Jean Vatout, “Avis aux lecteurs”, Notices historiques sur les tableaux de la galerie de S.A.R. Mgr. le duc d'Orléans, t. IV, Paris, imp. Gauttier-Laguionie, 1826, n. p.
3 Id., p. 127-128.
4 Le volume cite le chant 4 de L'Homme des champs (p. 210), la traduction du Paradis perdu (p. 48-51), L'Imagination (p. 60) et Les Jardins (p. 349 et 406).
5 Reproduction tirée de la Galerie lithographiée de son altesse royale monseigneur le duc d'Orléans, dédiée a son altesse royale madame la duchesse d'Orléans, publiée par MM. J. Vatout & J.P. Quénot, Paris, impr. de C. Motte, lith. de S.A.R.M. le duc d'Orléans, [1824-1829], n. p. – lien direct : HathiTrust. Le titre Côtes de Normandie apparaît sous la lithographie, tandis que le texte d'accompagnement utilise le terme de Marine et associe à l'image les “Adieux à la mer” de Lamartine.
6 Id. – lien direct : HathiTrust. Le titre Gros Temps apparaît sous la lithographie, tandis que le texte d'accompagnement utilise la formule Marine. Gros temps, et associe à l'image une ode de Le Brun, “Le Vaisseau”.
7 Œuvre reproduite et présentée dans Laurie Marty de Cambiaire, Regards sur la nature : une collection privée, Paris, Marty de Cambiaire Fine Art, 2013, p. 24-25, lien.
8 Id., p. 173.