Vatout et Quénot (éd.), Galerie lithographiée de son altesse royale monseigneur le duc d'Orléans
Présentation de l'œuvre
La Galerie lithographiée de son altesse royale monseigneur le duc d'Orléans, dédiée a son altesse royale madame la duchesse d'Orléans, publiée par Vatout et Quénot, est un catalogue des collections de peinture du futur roi Louis-Philippe, diffusé en 50 livraisons, de 1824 à 1829. Chaque œuvre fait l'objet d'une lithographie, accompagnée d'un texte en prose et/ou en vers, souvent riche en citations. Beaucoup des toiles reproduites ont disparu lors du pillage du Palais-Royal, en 1848.
Henri Jacoubet, qui vit dans ces volumes un exemple précoce de “cette compénétration de la peinture et de la poésie qui donnera son caractère à la description romantique1”, a souligné le rôle qu'Alexandre Dumas a pu jouer dans leur composition. Or Delille y fait l'objet de plusieurs emprunts2.
Citation 1
Un extrait du chant 3 de L'Homme des champs sert d'unique commentaire à une marine d'Isabey fils, représentant des “Pêcheurs débarquant du poisson3”.
Les vers sont ainsi liés a posteriori à la représentation d'un motif assez différent de leur propre thème, l'exploration naturaliste des fonds marins.
MARINE.
—
Peint par Eugène Isabey fils.
Lithographié par M. Jaccottet.
—
O mer, terrible mer, quel homme à ton aspect
Ne se sent pas saisi de crainte et de respect !
De quelle impression tu frappas mon enfance !
Mais alors je ne vis que ton espace immense ;
Combien l'homme et ses arts t'agrandissent encor !
Là, le génie humain prit son plus noble essor.
Tous ces nombreux vaisseaux, suspendus sur ces ondes,
Sont le nœud des états, les courriers des deux mondes.
Comme elle, à son aspect, vos pensers sont profonds.
Tantôt vous demandez à ces gouffres sans fonds
Les débris disparus des nations guerrières,
Leur or, leurs bataillons, et leurs flottes entières.
Tantôt avec Linnée, enfoncés sous les eaux,
Vous cherchez ces forêts de fucus, de roseaux,
De la Flore des mers invisible héritage,
Qui ne viennent à nous qu'apportés par l'orage ;
Eponges, polypiers, madrépores, coraux,
Des insectes des mers miraculeux travaux.
Que de fleuves obscurs y dérobent leur source !
Que de fleuves fameux y terminent leur course !
Tantôt, avec effroi, vous y suivez de l'œil
Ces monstres qui de loin semblent un vaste écueil :
Souvent avec Buffon vos yeux viennent y lire
Les révolutions de ce bruyant empire,
Ses courants, ses reflux, ces grands événements
Qui de l'axe incliné suivent les mouvements ;
Tous ces volcans éteints qui, du sein de la terre.
Jadis allaient aux cieux défier le tonnerre ;
Ceux dont le foyer brûle, au sein des flots amers;
Ceux dont la voûte ardente est la base des mers,
Et qui, peut-être un jour, sur les eaux écumantes,
Vomiront des rochers et des îles fumantes.
Peindrai-je ces vieux caps, sur les ondes pendants,
Ces golfes qu'à leur tour rongent les flots grondants ;
Ces monts ensevelis sous ces voûtes obscures,
Les Alpes d'autrefois, et les Alpes futures ;
Tandis que ces vallons, ces monts que voit le jour,
Dans les profondes eaux vont rentrer à leur tour ?
Echanges éternels de la terre et de l'onde.
Qui semblent lentement se disputer le monde !
Ainsi l'ancre s'attache où paissaient les troupeaux,
Ainsi roulent les chars où voguaient des vaisseaux,
Et le monde vieilli par la mer qui voyage,
Dans l'abîme des temps s'en va cacher son âge.
J. Delille4.
En 1826, les mêmes vers sont associés par Vatout à un tableau différent, dans un autre inventaire de la collection.
Vers concernés : chant 3, vers 225-268.
Citation 2
Un autre extrait de L'Homme des champs fournit l'épigraphe du texte en prose qui accompagne la lithographie d'un paysage alpestre de Michallon, la Vue des glaciers de Grindelwald :
VUE
DES GLACIERS DE GRINDELWALD,
DANS LE CANTON DE BERNE
—
Peint par Michallon.
Lithographié par Deroy5.
—
De neiges, de glaçons entassemens énormes,
Du temple des frimas colonnades informes,
Prismes éblouissans dont les pans azurés
Défiant le soleil dont ils sont colorés,
Peignent de pourpre et d’or leur éclatante masse,
Tandis que, triomphant sur son trône de glace,
L’hiver s’enorgueillit de voir l’astre du jour
Embellir son palais et décorer sa cour.
(J. Delille.)
Le vallon de Grindelwald offre un de ces speclacles qui étonnent à la fois et charment les regards ; il semble réunir toutes les saisons dans le même temps, tous les climats dans le même lieu. Ici la nature est riante : des prés toujours verts sont peuplés de magnifiques troupeaux ; les coteaux sont décorés des plus jolis chalets ; tout respire la fraîcheur du printemps et l'abondance et la gaité ; là, la nature est sauvage et terrible ; des rochers inaccessibles, du haut desquels roulent avec fracas des torrents fangeux, des masses de neige, des pyramides de glace, de noirs sapins tourmentés par les orages, déploient, dans toute sa majestueuse horreur, le sombre appareil des hivers6. […]
La cohérence de l'association entre la toile et le poème est beaucoup plus forte que dans le cas de la marine d'Isabey. En effet, non seulement l'image représente cette fois le même type de milieu que les vers de Delille, mais Michallon partage son désir de minorer la place des figures humaines dans ses tableaux : songeant notamment à cette toile, Paul Marmottan remarquera à la fin du 19e siècle que le peintre “avait un tel talent pour le paysage, qu'il a pu rendre intéressante la peinture de différents sites sans avoir recours aux personnages qui les animent7”.
Vers concernés : chant 3, vers 343-350.
Liens externes
- Accès à la numérisation du texte pour Gudin : HathiTrust et
- lien direct à l'image : HathiTrust.
- Accès à la numérisation du texte pour Michallon : HathiTrust et
- lien direct à l'image : HathiTrust.
- Lien vers l'article de Jacoubet : Jstor.
Auteur de la page — Hugues Marchal 2017/04/22 20:58