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Müller (trad.), Der Landmann: ein Gedicht in vier Gesängen nach Delille

Cette traduction allemande par Karl Ludwig Methusalem Müller est publiée dès 1801, dans un laps de temps relativement court après la parution de l'original en 1800. Comme le titre en allemand - Der Landmann: ein Gedicht in vier Gesängen nach Delille - l'indique déjà, les vers sont traduits d'après Delille, ce qui, conjugué avec les brefs délais de composition, peut expliquer la différence la plus saillante entre l'original et la version de Müller : il opte pour des vers ïambiques non rimés1.

Müller ne retient que la première partie du titre (il efface l'alternative “Géorgiques françaises”). Son travail débute avec un poème de son cru, suivi d'une traduction partielle des notes des quatre chants. Ceux-ci ne sont présentés qu'ensuite. La préface de Delille est en revanche éliminée.

Le poème composé par Müller prend une place importante, puisqu'il précède sa traduction proprement dite. Comme l'extrait suivant l'illustre, le traducteur commence par y célébrer la capacité de la nature à calmer et inspirer l'esprit humain, puis il formule le souhait de transmettre à ses lecteurs allemands des vers d'une séduction comparable à ceux de Delille. Cependant, cet avant-propos met d'emblée les faiblesses du projet à nu : à l'opposée de l'orignal, le style du traducteur manque d'éléments homophoniques et de figures de styles, et sa syntaxe est lourde.

Wer unerschüttert durch die Meinung Wanken,
Der Neigung, die der Prunk nur auf sich zieht,
Gern aus so dürftger Menschheit engen Schranken
Zu dir, Natur! du Immergleiche, flieht,
Der wird es wohl der edlen Muse danken,
Wenn Sie in sanftem, wohllautreichem Lied
Des Landes Bild von ihm vorüber führet,
Schön durch des Ideales Reiz verzieret.
[…]
O möchten, wie Delille's Tön' erklingen,
So süss auch mein' in deutsche Herzen dringen2.

Sans surprise, les faiblesses de ces vers introductifs, par ailleurs relevées dans la recension de l'ouvrage parue en 1802 dans la Neue allgemeine deutsche Bibliothek, vont se retrouver dans la traduction.

À titre d'exemple, la fin du passage célèbre sur le grain de sable (chant 3, vers 217-220) est ainsi rendue par Müller :

Zuletzt ein niedrer Zeitgenosse jener
Erhabnen Berge ward zum Fels der Marmor,
Der nun ein Körnchen ist, doch dieses Körnchen,
Der Zeit, der Luft, der Erd' und Fluthen Kind,
Fasst in der seinen auch der Welt Geschichte3.

Si l'on confronte cette traduction à l'original, on s'aperçoit que Müller ne parvient pas à la même concision que Delille. Là où ce dernier écrit : “Enfin, de ces grands monts humble contemporain”, Müller emploie en effet deux vers : “Zuletzt ein niedrer Zeitgenosse jener / Erhabnen Berge war zum Fels der Marmor”.

De plus, le traducteur fait disparaître des figures spectaculaires. Le chiasme “Ce marbre fut un roc, ce roc n'est plus qu'un grain” est perdu au profit d'une simple répétition du mot “Körnchen”. Même phénomène dans le dernier vers de l'extrait, où le parallélisme “L'histoire de ce grain est l'histoire du monde” n'est pas reproduit.

Peu soucieuse d'homophonie, tant par l'abandon de la rime qu'au sein des vers, et, de manière assez générale, insuffisamment attentive aux effets de style déployés par Delille, la traduction se présente donc, de manière générale, comme un texte nettement plus pauvre que l'original, poétiquement parlant.

L'ouvrage de Müller est l'une des rares traductions accompagnées de gravures. Comme les trois autres chants, le chant 3 s'ouvre sur un bandeau représentant un paysage rural relativement banal4 :

Sans lien manifeste avec le thème du chant, même si l'on y voit une étendue d'eau5, l'image est la seule à ne pas être accompagnée de la mention de son créateur. Mais elle paraît appartenir, comme les trois autres, à une série datée de “Berlin, 1795” : il ne s'agit donc pas d'une commission originale, mais de réemplois.

La traduction de Müller est signalée dès janvier 1801 par le Monthly Magazine, qui la range parmi les faits notables de la foire au livre de Leipzig. C'est aussi l'occasion de souligner le vif succès commercial du poème original, qui, à en croire le périodique anglais, a eu outre-Rhin un “écoulement incroyablement rapide” : “MÜLLER, of Leipsic, has transfused into German iambics the celebrated “Georgiques,” of Delille ; the twelve editions of which in French had in Germany likewise an incredibly rapid sale6”.

Même s'il a servi de base à un ouvrage pédagogique de Boulard, l'Essai de traduction interlinéaire (Paris, Fuchs, 1802), le travail de Müller n'a pas forcément favorisé la diffusion de L'Homme des champs en terres germanophones, car il a fait l'objet d'une réception assez critique, dont témoignent les deux recensions en langue allemande parues peu après sa publication :

Lorsqu'en 1822 Döring publiera une nouvelle traduction, particulièrement réussie, on comprend donc qu'un journaliste ait pu la présenter comme la première traduction "complète" de L'Homme des champs.

  • Accès à la numérisation du texte : SLUB.

Auteur de la page — Franziska Blaser 2017/09/21 17:19
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/07 10:25


1 À l'exception des vers terminant chaque chant.
2 “Celui qui, écartant sans trembler les fluctuations de l’opinion et de la mode que la pompe seule attire, se libère des barrières étroites de la mince humanité et se réfugie près de toi, immuable Nature ! celui-là pourra remercier la noble muse qui lui aura présenté, en un chant paisible et mélodieux, une peinture des champs magnifiquement ornée du charme de l’idéal. […] Puissent mes mots, aussi sonores que ceux de Delille, pénétrer avec la même douceur dans les cœurs allemands” (nous traduisons). Karl Ludwig Methusalem Müller, Der Landmann, Leipzig, Salomo Linke, 1801, n. p.
3 Id., p. 137.
4 Id., p. 121.
5 La gravure choisie pour le chant 4, figurant un bâtiment incendié, aurait pu faire plus directement écho aux catastrophes peintes dans le chant 3.
6 “Sketch of the principal works sold at the last Leipzig fair”, The Monthly Magazine, “Supplementary number”, 1er janvier 1801, p. 627, lien.