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Boulard, Essai de traduction interlinéaire

Dans son Essai de traduction interlinéaire des cinq langues, hollandaise, allemande, danoise, suédoise, et hébraïque (1802), Boulard présente divers textes étrangers, accompagnés d'une traduction mot à mot en français, intercalée entre chaque vers. Son projet est essentiellement didactique, comme il l'indique au seuil de son avertissement :

L'utilité de l'étude soit des langues étrangères, soit des langues anciennes, est généralement reconnue. Il est donc nécessaire de faciliter les moyens d'acquérir ce genre de connaissances. Ce motif m'a incité à rassembler et publier plusieurs traductions de différentes langues1.

L'ouvrage articule six sections :

  • les Distiques de Caton sont donnés en vers latin, puis français et enfin hollandais, ces derniers seuls faisant l'objet d'une glose interlinéaire en français ;
  • la traduction allemande de L'Homme des champs par Müller (1801) est à son tour reproduite, dépourvue de tout paratexte en prose et avec une traduction interlinéaire qui ne restitue pas l'original, mais propose en français un mot à mot du texte allemand ;
  • une traduction danoise des Fables de Lessing, donnée là encore sans l'original allemand, et glosée en français, est curieusement intercalée entre le premier chant du texte de Delille et les trois suivants ;
  • une traduction suédoise des odes d'Anacréon prend la suite du poème de Delille, avec, de nouveau, uniquement la version suédoise et sa glose interlinéaire en français ;
  • puis les Conseils d'un père à son fils de Muret sont proposés en vers français, latins et allemands – ces derniers seuls faisant l'objet du mot-à-mot ;
  • enfin, plusieurs psaumes et cantiques en hébreux font l'objet d'une glose française.

Dans l'avertissement initial, Boulard rappelle que “la traduction de l'Homme des champs en vers iambes […] a paru à Lepisick, chez Linke, en 18012”. Il la juge “en général, très-fidelle. Le nombre des vers est à peu près le même que dans le poème original, dont le premier chant contient 786 vers, le second 704, le troisième 650, et le quatrième 5023”.

Puis il justifie ainsi la place accordée au poème de Delille :

Ce poème, malgré ses imperfections, est encore l'un des plus beaux monuments de notre poésie dans le genre didactique. L'auteur y excelle dans la partie descriptive ; et la partie morale lui fait honneur. J'engage à relire les vers contre l'usage de jouer la comédie en société, le bel éloge d'un bon curé, les vers contre le suicide et les prostituées, dans le quatrième chant, enfin [les] excellents Conseils, qui sont vers la fin du premier chant [et] le morceau sur l'apothicairerie des maisons de campagne4.

Après ces louanges, Boulard formule toutefois une série de remarques plus critiques : il ne faudrait pas “louer et citer” autant Rousseau, puisqu'on a fait “des reproches bien graves à ce philosophe moderne5”, qui n'a rien d'un modèle de bienfaisance ; le portrait railleur du maître d'école sous-estime le rôle important des enseignants ; la description de Paris est trop sombre, la capitale étant également le berceau des talents et un lieu de charité. En conclusion, Boulard motive ces réserves, concentrées sur certains vers, en expliquant :

Je crois entrer dans les vues bienfaisantes de notre illustre poète, en avertissant du mauvais usage que malheureusement on peut faire de ces passages, où la précision des vers et la marche rapide de la poésie, ne lui ont pas permis de développer assez ses idées. Chaque vers d'un poète supérieur peut avoir une grande influence, et j'espère qu'il voudra bien regarder comme une marque d'estime et de respect, la liberté que je prends de lui exposer ici ces réflexions. Ce poète célèbre a la gloire de n'avoir jamais rien écrit ni contre la religion, ni contre les mœurs, ni contre aucun individu6.

Il ressort clairement de ces considérations que la visée pédagogique de la compilation est autant linguistique que morale. Mais cet éloge du caractère de Delille est aussi à rapprocher de la polémique qui a commencé à faire rage, dès 1802, sur la publication prochaine de La Pitié, poème où une partie de la critique accusait Delille, alors toujours exilé à Londres, de traîtrise envers la Révolution et sa patrie. Cette dimension défensive est confirmée par le contenu du dernier des trois petits poèmes de son cru que Boulard place à la fin de son avertissement7. Le poète y est présenté comme un des fleurons de l'ancienne Université, désormais désorganisée :

Voici la manière dont se présente la fin du passage sur le grain de marbre du chant 38 :


Auteurs de la page — Franziska Blaser 2017/04/03 09:35 et Hugues Marchal 2019/06/09 16:19
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/15 21:37


1 Antoine-Marie-Henri Boulard, Essai de traduction interlinéaire des cinq langues, hollandaise, allemande, danoise, suédoise, et hébraïque, Paris, Fuchs, 1802, p.v.
2 Ib., p.vi.
3 Ibid.
4 Ibid. Boulard renvoie ainsi à des segments des chants 1 et 4.
5 Id., p. vii.
6 Id., p. viii-ix.
7 Id., p. xii.
8 Id., p. 204.