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Impact des pré-publications

Trois groupes distincts de vers, tirés du chant 3, ont été diffusés dans la presse avant la parution de la première édition (août 1800) :

  • En 1789, les vers 340 et 343-350, décrivant les sommets enneigés, sont cités sous une forme légèrement différente de la version finalement publiée dans un article du Journal de la ville et des provinces.
  • En 1797, les vers 201-220, sur le grain de sable, sont inclus dans un article de Böttiger, abondamment repris par d'autres titres de presse.
  • En juin 1800, les vers 445-460, qui dépeignent le repas des botanistes, sont divulgués par Decker, dans un périodique allemand.

Dans les trois cas, les extraits sont identifiés comme notables. Le rédacteur anonyme du Journal de la ville et des provinces offre en effet le passage sur les montagnes comme un exemple, formule employée à deux reprises, des “beaux vers” que Delille venait de lire au Collège de France ; Böttiger présente pour sa part les vers sur le grain de sable comme un “sublime passage” ; enfin Decker fait connaître, dans un but de réclame, les lignes qui ont été choisies comme sujet de la gravure associée au chant 3. Il s'agit donc de trois extraits désignés précocement à l'admiration des lecteurs et qui pourraient sembler, dès lors, avoir guidé les dynamiques ultérieures de reprises.

Pour en juger, il faut écarter l'extrait de 1800, trop proche de la mise en vente du poème entier pour être pris en compte.

Une fois parus, les vers de 1789 et de 1797 ont fait l'objet d'une attention très inégale, différence immédiatement sensible lorsqu'on compare le nombre d'occurrences de ces deux blocs distincts de vers.

Citations des vers 201-220, 340 et 343-350 avant 1800 :

Diffusées quelques mois après la prise de la Bastille, les lignes sur les sommets enneigés (bloc de droite) ne peuvent guère alors rivaliser avec l'actualité politique. Sans surprise, elles ne trouvent aucun relais dans le reste de la presse et connaissent une seule reprise, tardive et très partielle : en 1798, Jean-Baptise Say intègre un fragment du premier vers à sa traduction du Nouveau Voyage en Suisse d'Helen Maria Williams. En revanche, le passage sur le grain de sable (bloc de gauche) est intégralement reproduit, dès la parution du texte de Böttiger, dans la plupart des périodiques qui se font l'écho de ce long article, venu donner des nouvelles très attendues de Delille, alors exilé à Bâle.

Le passage sur le grain de sable, dont les vers sont en moyenne cités 8 fois entre 1797 et 1799, fait ensuite constamment l'objet d'une sorte d'évitement. À une exception près, ce nombre ne sera jamais atteint de nouveau par la suite, dans aucune des tranches temporelles retenues, bien qu'elles soient plus étendues que cette brève période de trois ans.

Reprises des vers 201-220, par période :

Dans les cinq ans qui séparent la parution du poème intégral et l'édition de sa version augmentée (1800-1805), les vers reçoivent peu d'échos, notamment dans les comptes rendus du poème entier. Sans doute perçus comme déjà trop connus pour être cités avec intérêt, ils sont bien moins investis que d'autres segments (le v. 200, extérieur à l'extrait, en offre un exemple). Or cette désaffection perdure jusqu'à la mort de Delille, en 1813, puis elle persiste de manière extrêmement nette, jusqu'au milieu du siècle, pour les 16 premiers vers de la séquence. Durant quelque quarante ans (1814 à 1850), les V. 205 à 208 font l'objet de deux reprises, les autres disparaissent entièrement (v. 201-204 et 209-216). Seuls les 4 derniers vers de la séquence (v. 217-220) connaissent des reprises plus marquées, s'autonomisant ainsi par rapport au reste de la séquence. Enfin, la seconde partie du siècle confirmera ce redécoupage du notable. La séquence entière est de nouveau entièrement citée, mais la préférence continue à se porter sur les mêmes vers conclusifs. Dans toute période prise en compte, c'est même le vers final qui se distingue, puisqu'il est le seul à connaître, en une occasion, plus de citations qu'en 1797-1799.

Le sort réservé au passage sur les sommets enneigés est très différent.

Reprises des vers 340 et 343-350, par période :

Ici, la (faible) diffusion des vers avant parution n'a aucun impact négatif sur leur circulation ultérieure. Le vers 340, cité à deux reprises avant 1800, n'en est pas moins repris huit fois dans les cinq ans qui suivent. De plus, de 1806 à 1813, période de moindre reprise que la précédente, le découpage effectué avant parution est respecté : le v. 341, non cité, était déjà absent du Journal de la ville et des provinces. Surtout, la séquence connaît une circulation massive durant la tranche suivante (1814-1850) et cet investissement est globalement maintenu après 1851, même si l'intérêt tend à se déporter vers l'avant de la séquence.

Les deux séquences connues avant 1800 comptent indéniablement parmi les segments les plus cités du texte, toutes périodes cumulées (graphique jaune). Mais le destin opposé des deux passages ne permet pas de conclure que la circulation pré-éditoriale de certains vers a conduit à les mettre durablement en valeur.

  • D'autres passages ont connu une fortune accrue.
  • La séquence sur le grain de sable perd sa viralité première dès la parution du poème intégral : elle restera admirée, mais sa célébrité antérieure n'a pas eu d'effet boule de neige sur ses reprises, en particulier dans les premiers années de circulation du texte entier. Si elle persiste à se détacher du tout, c'est surtout grâce à “l'avance” prise avant 1800.
  • Quant aux vers sur les sommets enneigés, ils en sont venus à se distinguer plus tard, après la mort de Delille.

Globalement, si on considère, de manière neutre, que Böttiger et le journaliste de 1789 avaient l'un et l'autre repéré des séquences particulièrement réussies, celle qui le plus bénéficié de reprises durables est celle qui s'était le moins ébruitée au départ.

Place des deux séquences dans le profil global du texte :


Auteur de la page — Hugues Marchal 2020/11/10 21:41