chevalierfille

Chevalier, La Fille du pirate

La Fille du pirate, légende de la mer s'inscrit dans un cycle de romans de Henri-Émile Chevalier associés au Canada, où l'écrivain séjourna1. Quoiqu'on ait affaire à un roman d'aventures, il est évident que Chevalier fait de cette œuvre une occasion d'expérimentations littéraires. Certains chapitres sont composés de paragraphes très courts, proches du verset. D'autres incluent des jeux typographiques2. D'autres, enfin, s'ouvrent largement à des citations poétiques.

C'est dans une de ces sections, consacrée à l'approche puis au déchaînement d'une tempête nocturne, que Chevalier convoque quelques vers de L'Homme des champs.

La nuit est plus noire que l'aile du corbeau, plus affreuse qu'une légende allemande.

Vous entendez le craquement des vaisseaux qui s'entre-choquent, le grincement de leurs chaînes, le sifflement des rafales dans leurs agrès, et, par-dessus tout, le grondement rauque et formidable des éléments en furie.

Batelier, prends garde à ton esquif ; passant, prends garde à ta bourse : amis, hâtez-vous de rentrer au logis ; car la ruine, la désolation, la mort, planent de toute leur envergure sur la ville de Montréal,

Voyez, de l'ouragan c'est le cours furieux,
Terrible, il prend son vol, et dans des flots de poudre,
Part, conduisant la nuit, la tempête et la foudre3.

Vers concernés : chant 3, vers 122-124

Chevalier, qui modifie lègèrement le début du premier vers, n'indique aucune source. Mais il en va de même quand il reproduit, quelques lignes plus loin, des vers tirés du Corsair de Byron, qu'il cite en anglais et traduit en note. Dans les deux cas, les vers sont entourés de lignes en prose insistant sur la dimension auditive de la tempête (l'extrait du Corsair est ainsi introduit par le tour “Silence ! Écoutons”), comme si la poésie était chargée ici de reproduire le son des éléments naturels, avant que le bruit de la pluie ne soit comparé à des “applaudissements frénétiques” répondant à ce “chant” 4. Enfin, Chevalier procède à des effets de reprises marqués pour musicaliser sa propre prose : le paragraphe “Vous entendez le craquement des vaisseaux qui s'entre-choquent, le grincement de leurs chaînes, le sifflement des rafales dans leurs agrès, et, par-dessus tout, le grondement rauque et formidable des éléments en furie” revient, à l'identique, après les vers de Byron.

  • Accès à la numérisation du texte : Gallica.

Auteur de la page — Hugues Marchal 2020/07/24 12:02
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/18 15:41


1 Henri-Émile Chevalier, La Fille du pirate, légende de la mer, Paris, C. Lévy, 1878.
2 Une “ligne de points d'exclamation” est ainsi chargée d'exprimer “l'ébahissement des spectateurs”, id., p. 30.
3 Id., p. 172.
4 Id., p. 173.