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Dessiaux, Traité complet de versification française

Dans ce Traité complet de versification française, ou Grammaire poétique de la langue française1 (1840), Joseph Dessiaux cite et commente abondamment Delille pour illustrer ses indications et remarques. C'est que, comme l'explique une section portant sur les effets des “coupes pittoresques”, s'appuyant sur un extrait de la traduction des Géorgiques, Dessiaux considère le poète non seulement comme une autorité en matière de langue, mais aussi comme un maître en matière d'“effets”.

Nous avons vu, à l'article de l'enjambement, que le poète tire de cette violation même de la cadence des effets avantageux, en suspendant tout à coup la marche régulière de l'alexandrin par des coupes pittoresques. Tantôt l'écrivain excite l'attention du lecteur pour la satisfaire par une césure qui fait image au vers suivant ; tantôt d'un repos habilement ménagé, la phrase s'élance d'un vers sur l'autre pour produire un tableau frappant, ou vous pénétrer d'une émotion vive, que la prose ne nous ferait point éprouver. Voyons des exemples :

1°     Soudain le mont liquide élevé dans les airs
Retombe ; un noir limon bouillonne au fond des mers.
     (Delille, Géorgiques, III)

Rien n'est plus pittoresque assurément que cette chute du mont liquide, qui, élevé dans le premier vers, retombe tout à coup après le repos final. Delille avait au plus haut degré ces secrets de style. “C'était, dit La Harpe, la suite naturelle d'une longue et pénible lutte contre la perfection de Virgile, le plus grand maître de l'harmonie poétique2”.

Le chant 3 de L'Homme des champs est mobilisé à deux reprises.

D'abord au sujet de l'inversion du sujet du verbe :

Voyez-vous ce mont chauve et dépouillé de terre
A qui fait l'Aquilon une éternelle guerre1 ?
     (Le même, l'Homme des champs, III.)

1 Cette inversion hardie était d'autant plus nécessaire, que sans cela il y avait allitération : a qui l'aqui l'on fait3

Vers concernés : chant 3, vers 107-108.

Puis à propos des licences poétiques :

Il y a dans notre langue des substantifs qui manquent de singulier : tels sont pleurs, vêpres, ancêtres, prémices, appas, ténèbres, annales, broussailles, etc. Les poètes ont encore dérogé à cet usage dans certains cas. Il est des mots, tels que vêpres, entrailles, funérailles, ténèbres, etc., qu'on ne tentera certainement jamais d'employer à un autre nombre ; mais il y en a d'autres, comme ancêtres, broussailles, appas, etc., qui peuvent se mettre quelquefois au singulier en poésie. […]

Et l'hermite du lieu sur un décombre assis.
     (Delille, l'Homme des champs, III4.)

Vers concerné : chant 3, vers 101.

  • Accès à la numérisation du texte : Gallica.

Auteur de la page — Hugues Marchal 2019/06/27 15:19
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/15 22:27


1 Joseph Dessiaux, Traité complet de versification française, ou Grammaire poétique de la langue française, Paris, Vve Maire-Nyon, 1840.
2 Id., p. 108-109.
3 Id., p. 144.
4 Id., p. 196-197.