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Littérature viatique

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Parmi les œuvres qui mentionnent L’homme des champs de Jacques Delille il y a de nombreux écrits viatiques, à savoir des récits de voyage aussi bien que des guides et de la littérature pittoresque. Cela n’est guère étonnant étant donné que le tourisme voit un développement significatif au cours du 19ème siècle 1. L’homme des champs n’est pas le seul ouvrage de Delille à être cité dans des écrits viatiques. Au contraire, il semble que ce genre littéraire tende à privilégier les Épitres sur les Voyages, L’imagination ou encore Les trois règnes.

C’est au 19ème siècle que les écrits viatiques deviennent davantage variés car ils se partagent en écrits scientifiques en forme de protocoles objectifs et écrits littéraires qui mettent en avant la dramatisation de la nature et le pathos de la représentation 2. Nous avons repéré surtout des écrits en langue française, anglaise et allemande. Ces ouvrages peuvent être organisés en ouvrages de vulgarisation et en ouvrages de littérature pittoresque.

Ecrits de vulgarisation

Les ouvrages de vulgarisation s’inscrivent dans une lignée longue et importante qui commence par Hérodote et passe par Marco Polo et Montaigne. Les journaux de voyage à but scientifique sont nombreux. Voués à la fois à l’instruction personnelle et à la propagation de connaissances scientifiques (c’est-à-dire historiques, botaniques, géologiques, géographiques) ces ouvrages se présentent souvent sous forme épistolaire (Montémont), en récit articulé en étapes du voyage (Palassou) ou encore en récit historique (Ménéval). Les voyageurs sont dans la plupart des cas des savants.

Dans la préface à son ouvrage Voyages aux Alpes et en Italie, Montémont, « auteur des Lettres sur l'astronomie et d'une Histoire universelle des voyages et traducteur de Walter-Scott 3», écrit à propos de la figure du voyageur savant :

C'est de même que les voyageurs, animés du désir de connaître tout ce qui est digne de l'être et de secouer les préjugés, entreprennent des conquêtes scientifiques, morales ou littéraires. Ils explorent les contrées voisines ou éloignées de leur pays natal, étudient les mœurs et coutumes des peuples, observent les beautés de la nature, la diversité des lieux, et rapportent de leurs voyages les descriptions souvent les plus intéressantes. C'est ainsi que, sans les visiter soi-même, on acquiert la connaissance de mille contrées et de leurs habitants, et qu'on se fait une juste idée de leurs richesses et de leurs avantages4.

C'est dans les voyages , dit le poète persan Kaschefi, que l'on voit quantité de choses merveilleuses et que l'on acquiert de l'expérience. » Voyager, c'est apprendre; et, en frottant son caractère contre celui des autres, on le rend souple et poli 5.

Le voyage est, pour l’homme savant, une source de connaissance scientifique qui est ensuite divulguée par le récit viatique que le savant lui-même compose d’après ses expériences.

Dans les écrits de vulgarisation les citations de L’homme des champs de Delille semblent tous viser le même but, à savoir l’illustration poétique d’un phénomène naturel, comme Palassou et Sternberg l’explicitent dans leurs ouvrages . Palassou :

La nature se montre tellement avare de toutes les productions propres a soulager la vue , qu'elle offre le Pic du Midi entièrement stérile et nu, depuis sa base jusqu'au sommet : il semble que M. Delille ait eu l'intention d'en présenter l'affreux tableau, dans les vers suivans :

      Voyez-vous ce Mont chauve, depouille de terre ;
      A qui fait l'Aquilon une eternelle guerre ;
      L'Olympe pluvieux, de son front escarpé ;
      Detachant le limon , par les eaux detrempé ,
      L'emporta dans les champs et de sa cime nue;
      Laissa les noirs sommets, se perdre dans la nue.
      L'œil s'affiige a l'aspect de ces rochers hideux 6.

Dans se passage Palassou se sert de ces vers de Delille afin d’illustrer un leitmotiv récurrent depuis l’Antiquité dans la littérature de voyages alpins : celui du locus horribilis ici présenté grâce à Delille sous la forme d’un véritable « tableau » littéraire. En plus que le caractère descriptif, le paysage des montagnes rocheuses assume, par le biais des vers de Delille, un caractère inquiétant qui reflète la position du sujet face au paysage (« L’œil s’afflige à l’aspect de ces rochers hideux »), ce qui, comme on le verra, peut en quelque sorte rapprocher les écrits de vulgarisation de la littérature pittoresque issue de l’imaginaire romantique 7. De même, dans un passage de Sternberg, la poésie de Delille vient illustrer sous forme d’image – comme Sternberg le remarque explicitement – l’émerveillement face à l’antiquité de la terre provoqué par la contemplation de la stratification géologique.

Et quand on […] voit […] des coquillages très bien conservés […] alors une image du monde primitif devient assez claire […] et les beaux vers de l’Abbé Delille s’imposent involontairement à notre mémoire

      En voyant du passé ces sublimes images
      Ces grands foyers éteints dans des Siécles divers,
      Des mers sur des Volcans, des Volcans sur des mers,
      Vers l’antique Chaos notre ame est repoussée,
      Et des ages sans fin pesent sur la pensée. 8

Ecrits pittoresques

« Quelles montagnes plus pittoresques et plus variées que les Alpes! 9 »

A côté des écrits de vulgarisation, de multiples écrits relevant de la littérature pittoresque citent volontiers Delille. Bien qu’il ne soit toujours possible de distinguer nettement, au sein de la littérature viatique, les écrits de vulgarisation des écrits pittoresques, ces derniers mettent tout particulièrement l’accent sur l’intérêt esthétique plutôt que scientifique du paysage décrit. Le Romantisme et son développement au cours du 19ème siècle donnent lieu à une littérature qui jette une lumière nouvelle sur les paysages et leurs descriptions. Quittant l’universel du classicisme, la littérature pittoresque met l’accent sur l’extraordinaire, l’étonnant et le mystique. 10 Les citations de L’homme des champs vont de pair avec la description (et même des dessins, comme par exemple dans l’ouvrage de Beattie intitulé La Suisse pittoresque) de phénomènes et de curiosités de la nature. Parfois les vers de Delille fonctionnent comme « mise en parole de la nature », d’autres fois ils incarnent le moment pittoresque lui-même, car Delille, « en privilégiant l'harmonie imitative, “si nécessaire à la poésie pittoresque”, […] associe la poésie descriptive non seulement à la peinture, mais aussi à la musique, plus exactement, à la musique descriptive qui, au moyen de sons imitatifs, cherche à faire comprendre ce qu'elle exprime 11. » Nous pourrions même affirmer que Delille n’est pas seulement un poète pittoresque mais également un théoricien du pittoresque, étant donné qu’avec ses Jardins il aborde l’un des thèmes clés du pittoresque anglais. Il en va de même pour l’intérêt qu’il porte sur le curieux notamment dans L’homme des champs, qui influencera Sternberg entre autres. L’esthétique pittoresque est en effet à l’origine de l’œuvre de Delille et il n’est donc pas étonnant que la littérature viatique ayant comme but une mise en scène des phénomènes extraordinaires de la nature se serve de cette œuvre afin de les exprimer.

Les extraits les plus cités

Certains passages de L’homme des champs jouissent d’une réception plus importante que d’autres. Dans la littérature viatique ce sont surtout les passages portant sur les montagnes qui semblent avoir charmé les auteurs. Le passage 3, 342–354 est cité huit fois 12. Il s’agit en effet d’un des passages qui condensent au mieux le pittoresque en tant qu’expression du contraste entre la beauté de et l’effroi pour la nature, ce qui renvoie à la notion romantique du sublime.

Ouvrages concernés


1 cf. James Buzard, « The Grand Tour and after (1660–1840) », dans: Peter Hulme (éd.), The Cambridge Companion to Travel Writing, Cambridge 2002, p. 42.
2 cf. Claude Reichler, Roland Ruffieux (éd.) Le voyage en Suisse, Anthologie des voyageurs français et européens de la Renaissance au XXe siècle, Robert Laffont, Paris, 1998, p. 9.
3 Montémont, Voyage aux Alpes et en Italie, Arthus Bertrand, Paris, 1860, frontispice.
4 ibid. p. 3.
5 ibid. p. 4.
6 Palassou, Description des Voyages de S.A.R. Madame, Duchesse d'Angoulème dans les Pyrénées, pendant le mois de juillet 1823, Imprimerie de Vignancour, Pau, 1825, p.117.
7 cf. Reichler/ Ruffieux, op. cit., p.5
8 Caspar Sternberg, Reise durch Tyrol und die Oesterreichischen Provinzen Italiens im Frühjahr 1804, Regensburg, impr. H. F. A. Augustin, 1806, p.\ 71.
9 Montémont,op.cit., p. 5.
10 Jean Canu, “Littérature et Géographie” dans: PMLA Vol. 48, No. 3 (1933) p. 926.
11 Wil Munsters, La Poétique du pittoresque en France de 1700 à 1830, Droz, Genève, 1991, p. 128.
12 Ceci est le résultat d’une première recherche. Une analyse plus approfondie sera susceptible de repérer d’autres occurrences.