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Jouard, Quelques observations pratiques, importantes et curieuses, sur la vaccine

L'efficacité et les dangers de la vaccine, pratique d'inoculation mise au point au XVIIIe siècle par l'Anglais Jenner pour préserver des effets de la petite vérole, firent l'objet jusqu'au début du siècle suivant d'un intense débat, tant parmi les médecins qu'auprès du grand public. Cette polémique tint aux rumeurs d'un danger associé à cette pratique, mais aussi, plus profondément, à l'impossibilité, pour la science de l'époque, de proposer un modèle capable d'expliquer l'action préventive d'une soumission volontaire à un ferment de maladie (le pus suintant du pis des vaches affectées par une autre forme de la maladie1).

L'essai du médecin Gabriel Jouard, Quelques observations pratiques, importantes et curieuses, sur la vaccine, en particulier, et sur l'art de guérir en général (1803) s'inscrit dans ce cadre. Jouard compile une série d'informations souhaitant avant tout dénoncer de faux bruits, mais il ne livre pas à proprement parler un traité savant. Le propos est plus volontiers anecdotique et surtout satirique.

Le chant 3 de L'Homme des champs est cité, sans mention d'auteur, dans une note, à la fin du volume, au détour d'une interminable phrase dans laquelle Jouard persiffle les contempteurs de la vaccine. Il compare leurs réticences aux craintes plus ou moins infondées qui ont accueilli nombre d'autres propositions de réforme, elles-mêmes inégalement valables. La plupart des segments de cette énumération sont complétés par des notes comparables, qui éclairent l'allusion en puisant des vers ou des citations chez d'autres auteurs, mais nous ne les reproduisons pas pour ne pas alourdir l'extrait.

Cette idée [l'intuition de Jenner] valait bien, par exemple, celle qui naguères a troublé tant de cerveaux, l'idée de réduire toute la terre à un nombre déterminé d'habitans ; tous ses habitans à la même obéissance ; toutes les lois au même principe ; toutes les connaissances à la même restriction ; tous les génies à la même sphère ; toutes les ames à la même coërcion ; toutes les consciences à la même règle ; toutes les religions aux mêmes dogmes ; tous les dogmes à la même simplicité ; tous les cœurs aux mêmes contractions ; toutes les imaginations à la même série de pensées ; tous les caractères aux mêmes passions ; toutes les passions au même dégré ; toutes les vertus au même type ; toutes les mœurs aux mêmes formes ; tous les desirs au même vœu ; toutes les langues au même style ; tous les sentimens à la méme expression ; tous les entendemens à la même logique ; tous les esprits à la même manière de voir ; toutes les têtes au même niveau ; tous les rangs à la même ligne ; […] tous les organes au même nombre et au même genre de sensations ; tous les tempéramens au même régime ; tous les sols à la même production (3) ; toutes les fortunes à la même masse ; toutes les comptabilités à la même économie ; tous les intérêts au même accommodement, etc. etc.

(3) Pendant un temps ce fut des pommes de terre. Bientôt, dans toutes les saisons, on aurait pu dire, sans exagération poétique :

      Et la terre sans fruits, sans fleurs et sans verdure,
      Pleure en habits de deuil sa riante parure2.

Le recours à Delille renforce le ton railleur et moqueur de la phrase, par le caractère incongru du rapprochement ainsi opéré entre deux vers conçu pour peindre un paysage sublime et la perspective d'une monoculture de la pomme de terre.


Vers concerné : chant 3, vers 131-132.

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Auteur de la page — Hugues Marchal 2017/05/13 15:10


1 Pour des précisions sur la distinction entre inoculation et vaccine, et un panorama des implications épistémologiques et littéraires de ce débat, voir Catriona Seth, Les Rois aussi en mouraient. Les Lumières en lutte contre la petite vérole, Paris, Desjonquères, 2008.
2 Gabriel Jouard, Quelques observations pratiques, importantes et curieuses, sur la vaccine, en particulier, et sur l'art de guérir en général…, Paris, Delalain fils, An I-1803, p. 206-211.