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Catel, iconographie du chant 3 dans l'édition de 1805

Après avoir fait appel à Guérin pour illustrer la première édition courante, en 1800, puis l'édition in-quarto de 1802, les libraires Decker et Levrault se sont tournés vers un autre artiste, le Prussien Catel, pour réaliser le programme iconographique de l'édition augmentée de 1805, au format in-8°, que nous suivons ici.

Ce programme est d'une richesse tout à fait inhabituelle, pour deux raisons distinctes.

D'une part, certains exemplaires du tirage de 1805 proposent des gravures colorées manuellement. C'est dans cette version (non accessible dans les bibliothèques en ligne1) que nous les reproduisons ici, les planches figurant sur la page principale du site provenant d'un exemplaire aux gravures traditionnelles.

D'autre part, Catel a réalisé un total de treize dessins : un frontispice général, quatre frontispices, destinés aux quatre chants, et enfin, huit bandeaux de moindre format. Ces derniers prennent place en haut des pages dédiées, à l'argument (qui est ajouté au texte à partir de cette édition seulement) et aux premiers vers de chaque chant. Autrement dit, le lecteur dispose de trois images distinctes pour chacune des sections du poème, et ces dernières l'acceuillent, en masse pourrait-on dire, au seuil des chants. En effet, le frontispice vient se placer en page de gauche, en face d'une belle page portant systématiquement une mention du type “L'Homme des champs. – Troisième chant.”, sur deux lignes séparées par un trait et en capitales, puis l'ouvrage offre, aux deux pages suivantes, les deux bandeaux, protégés (dans le cas des exemplaires en couleurs) par une serpente – soit, pour notre chant, ce dispositif :

Un tel choix frappe, car une édition proposant quatre frontispices constitue déjà un tirage de luxe, comme le montre l'exemple de l'in-quarto. Il se combine à la possibilité d'acquérir les versions colorées et au prestige de l'imprimeur qui a réalisé les tirages du texte – Didot – pour faire de l'ouvrage de 1805 un objet éditorial remarquable.

Plusieurs graveurs allemands ont travaillé sur les dessins fournis par Catel : Christian Haldenwang (1770-1831), Karl Ludwig Buchhorn (1770-1856), Heinrich Guttenberg (1749-1818) et Mayer, de Berlin.

Les archives de la maison Levrault permettent de dater assez précisément la réalisation de cet ensemble. Le 23 novembre 1801, Decker écrit à ses associés, au détour de remarques sur différents projets d'édition liés à Delille : “je proteste contre tous les artistes de Paris à l’exception de Moreau pour le dessin. Ce que je vous ai fait voir des graveurs allemands, vous prouve assez qu’ils sont supérieurs à ceux de Paris.” Puis, le 10 janvier 1802, il envoie un nouveau pli, indiquant : “Voici trois nouvelles gravures de l’Homme des champs. […] la gravure en est un peu plus faible que celle des 4 de Haldenwang. Les dessins sont très beaux. J’attends journellement les 4 dernières vignettes gravées par Haldenwang.” On dispose ainsi d'un terminus ad quem très ferme : Catel a forcément créé ses dessins, au plus tard, en 1801, et la gravure, assurée en Allemagne à l'initiative du libraire bâlois, a eu lieu entre 1801 (date figurant à côté de la signature de Mayer sur certaines planches) et début 1802, la dernière lettre signalant que sept des treize planches étaient terminées le 10 janvier2.

Le sujet traité par Catel diffère des deux passages exploités par Guérin. Là où ce dernier a successivement représenté deux scènes liées aux vers sur l'herborisation, le jeune dessinateur prussien met en scène un passage situé au début du chant : l'évocation de la catastrophe durant laquelle un village a été détruit par une inondation torrentielle (v. 87-102). Toutefois, il ne peint pas l'événement même, mais le moment où “l'ermite du lieu” en fait le “long récit” . Et aucun vers n'est cité, car cette légende est donnée par l'argument même, comme pour les deux autres images.

Le bandeau de gauche renvoie aux lignes sur le thermalisme (v. 279-298) et, à nouveau, la fidélité de Catel au texte frappe. Sur une surface restreinte, il présente en effet de très nombreuses figures, en plaçant au premier plan les “vieillards éclopés” et, à l'arrière-plan, “un jeune essaim”.

Le bandeau de droite se rattache au “Souvenir à Raton, chatte de l’auteur”, qui occupe les ultimes lignes du chant (v. 633-650), mais Catel a soin d'y inclure nombre d'animaux empaillés, objets des vers antérieurs. Quant au poète, il figure de dos, le visage à peine distinguable, soit que Catel n'ait pas souhaité prendre le risque de représenter Delille sans l'avoir vu, soit que cette position serve à redoubler l'effet de congé lié à la clôture du chant, soit enfin qu'il ait voulu mimer la manière dont ces derniers vers, en forme de confidence, cherchent à donner au lecteur l'impression d'accéder à l'intimité de l'écrivain, de le surprendre à sa table de travail.

  • Il n'existe pas de reproduction en ligne des exemplaires à planches colorées.

Auteur de la page — Hugues Marchal 2020/06/25 19:08


1 Nous utilisons un exemplaire tiré d'une collection particulière.
2 Nous ne détaillons pas les raisons qui ont conduit les libraires à reporter durant encore trois ans la mise en circulation de l'édition augmentée, ce point n'étant pas pertinent ici. L'un des facteurs de ce retard fut le désengagement de Decker, qui rompit son association avec les Levrault fin 1802.