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Recueil de poésies et de morceaux choisis de J. Delille

À l'automne 1800, peu après la sortie de la première édition de L'Homme des champs, le libraire parisien Giguet, assisté sans doute de Michaud, procure un Recueil de poésies et de morceaux choisis de J. Delille qui inclut plusieurs textes inédits du poète. L'ouvrage joue un rôle important dans l'histoire du texte pour trois raisons\ :

  • il imprime des vers qui avaient été censurés dans le quatrième chant de L'Homme des champs, mais qui avait déjà circulé,
  • il inclut, outre des vers en hommage à Delille, plusieurs des critiques déjà parues dans la presse au sujet du poème, ce qui conduit à la reproduction des vers et jugements contenus dans ces recensions,
  • il les commente, produisant un contre-discours.

Nous ne prendrons en compte ici qu'un texte anonyme intitulé “Quelques observations sur la critique de Ginguené”, qui fait suite à la reprise partielle de l'article que ce dernier avait consacré au poème dans la Décade philosophique. Cette réponse1 attirera à son tour une réponse ironique, cette fois sous la plume de Clément.

L'anonyme reprend point par point la plupart des réserves de Ginguené, en suivant son plan conforme à l'ordre de lecture du poème. Le chant 3 est donc abordé après les deux précédents. Le texte s'adresse directement à Ginguené et les passages qui lui sont empruntés sont composés en italiques\ :

Sans faire grace au début du troisième chant (seulement parce qu'il est moins heureux que celui du second), vous soulignez avec soin le vers\ :

Venez, le vrai génie est celui des Buffons.

Et plus bas, censurant le reproche que d'après tout les naturalistes, Delille fait à ce grand homme, d'avoir trop peu vu la nature par lui-même, vous vous demandez, comment donc, pour expliquer cette même nature, le vrai génie peut être le sien ? Comment donc (vous demanderons-nous à notre tour), n'avez-vous point apperçu que le génie des Buffon ne signifie point le génie de Buffon en particulier, mais celui des naturalistes en général\ ; et que l'auteur de l'histoire naturelle peut d'ailleurs avoir été moins bon observateur que grand écrivain et grand génie\ ?
Vous faites une querelle à Delille d'un vers plaisant\ :

               Sur ces rimeurs si fades,
De qui les vers usés ont vieilli leurs Naïades.

Et vous observez qu'il a lui-même placé les naïades dans ses vers. Rangeriez-vous par hasard l'auteur des Jardins sur la même ligne que les rimeurs dont il parle\ ?
Dans le troisième chant comme dans le premier, vous avez pris le soin de refaire le plan de Delille, et vous lui conseillez une prosopopée, où Buffon expliquerait lui-même son systême. Eh\ ! bon Dieu, qu'auriez-vous dit, si Delille eût fait cette prosopopée, vous, qui ne lui pardonnez même pas, à l'aspect des montagnes , de se rappeler les Alpes de la Suisse\ ? et de s'écrier:

Salut\ ! pompeux Jura\ ! etc. etc.

Que dire de cette plaisanterie si juste et si piquante, à propos des trois règnes réunis dans un cabinet d histoire naturelle, et, selon l'expression de Delille, étonnez d'être ensemble. Puisqu ils doivent être, comme vous le dites, depuis long-tems revenus de leur surprise, nous allons être bien honteux d avoir jusqu'ici si sottement admiré le vers où Voltaire nous peint les trois pouvoirs de l'Angleterre, depuis six cents ans

…. Etonnés du nœud qui les rassemble.

Votre humeur contre le poète s'est étendue jusques sur la fidelle compagne de sa solitude, sur sa chatte Raton. Oh\ ! dans ces tems affreux, où l'homme ne voyoit plus dans l'homme qu'un étranger, souvent même qu'un ennemi, quel être sensible n'a pas quelquefois cherché dans les animaux, compagnons de notre vie, l'attachement et la fidélité qu'il ne trouvoit plus dans son semblable. Malheureux le cœur froid, qui peut lire ces vers de Delile, et n'être pas attendri2\ !

Vers concernés : chant 3, vers 46, 271-272, 342, 484 et 635.


L'anonyme revient un peu plus loin sur les remarques que Ginguené avait placées à la fin de son compte rendu, et de nouveau, les choix du chant 3 sont défendus, à propos d'une proximité possible entre un des vers sur Buffon et un vers antérieur de Lebrun. Ginguené est en effet accusé de manière à peine voilée de céder à un esprit de clique\ :

[…] ressassant un reproche que Delille lui-même craint d'avoir encouru, vous semblez l'accuser d'avoir, dans ce vers sur Buffon,

Eleva sept fanaux sur l'Océan des âges,

imité, avec connoissance de cause, cet autre vers de le Brun, peut-être moins admirable,

A posé sept flambeaux sur la route du Tems,

profitant ainsi, par un sentiment sans doute amical, de l'occasion de louer le poëte présent, aux dépens du poëte absent3.

Vers concernés : chant 3, vers 176 et note 8.


Auteur de la page — Hugues Marchal 2019/04/29 10:52


1 Anonyme, “Quelques observations sur la critique de Ginguené”, in Recueil de poésies et de morceaux choisis de J. Delille, Paris, Giguet, 1800, p.\ 273-284.
2 Id., p.\ 279-282.
3 Id., p.\ 283-284.