C., "Leçon de littérature donnée à une première division" (L'Abeille)
Présentation du texte
Ce modèle de leçon paraît en 1862, en trois livraisons, dans la section de “didactique” de la revue pédagogique belge L'Abeille1.
Comme l'indique le sous-titre de l'article, “Explication au point de vue littéraire du morceau intitulé : l'Herborisation (Traité de littérature.) – Description (Delille)”, l'auteur, un certain C., renvoie ses lecteurs, des enseignants, à un manuel où trouver le texte commenté – qui correspond à un extrait du chant 3 de L'Homme des champs.
En guise d'introduction, C. donne une brève biographie de Delille, précisant qu'il a “spécialement cultivé le genre descriptif et a surtout célébré la beauté, la magnificence de la nature”. Puis il indique que l'extrait vient des “Géorgiques françaises, où [Delille] chante, avec toutes les grâces de la poésie, la beauté, les agréments de la campagne et de ses travaux”. Il donne ensuite une définition de l'herborisation ; enfin, il invite à examiner comment “l'imagination féconde a su tirer parti de ce fait si simple, pour présenter au lecteur un agréable tableau”, ainsi que l'art qui entre dans “le choix des détails qui devaient l'animer et l'embellir2”.
Le pédagogue livre alors une explication du texte qui en redonne tous les éléments, mais en les segmentant au fil d'un commentaire linéaire. Son plan distingue trois parties simples, à “l'ordre naturel” : “Réunion et départ, – promenade en elle-même […], – retour3”.
Citation
Le propos s'adresse à des élèves fictifs, et les remarques mêlent glose éclaircissante, commentaires de lexique, de grammaire ou de style, précisions scientifiques, etc.
Nous n'en donnons qu'un exemple.
Le jour vient, et la troupe arrive au rendez-vous.
Voilà la réunion et quand elle a lieu. Un seul vers suffit à l'écrivain pour nous le dire, et nous comprenons qu'il ne s'étende pas longuement sur celle circonstance qui, sans contredit, n'est qu'accessoire : le fait principal étant la promenade elle-même.
Le jour vient, il commence à faire clair, jour signifiant ici la douce clarté que le soleil répand lorsqu'il commence à venir sur l'horizon, ou qu'il s'y trouve depuis peu. C'est l'heure convenue pour la réunion. Rendez-vous est un mot composé dont les éléments font connaître, d'une manière parfaite, la signification du lout. (Rendez, impératif, vous, pronom, complément direct.) C'est proprement une sorte de convocation que se font deux ou plusieurs personnes qui, à un moment donné, veulent se réunir dans un lieu déterminé. Par extension, il s'entend, comme ici, du lieu même où l'on doit s'attendre, se réunir. Troupe réveille déjà l'idée de réunion. Pour la concilier avec celle de rendez-vous, on peut dire que là les jeunes botanistes rejoignent celui qui doit diriger celte expédition pacifique, ou même que la troupe désigne ceux qui doivent la former et que l'auteur considère arrivant de plusieurs côtés, mais plus ou moins en même temps.
Cette idée de troupe et de rendez-vous fait penser à la grande chasse pour laquelle on se réunit et dès le point du jour. Delille s'empresse d'en détourner les vues du lecteur ; mais, par là même, il tient celui-ci dans une sorte d'attente, il excite son intérêt sur le but de cette réunion.
Ce ne sont point ici de ces guerres barbares
Où les accents du cor et le bruit des fanfares
Epouvantent de loin les hôtes des forêts.
Remarquez ici une de ces nombreuses périphrases que nous présente la poésie aux tournures expressives et élégantes. Celle-ci apprend au lecteur, s'il les ignore, ou les lui rappelle, s'il les connaît, certains usages de la grande chasse.
De ces guerres barbares. La manière dont le poète nomme et qualifie la poursuite du gibier ne doit pas nous faire présager qu'il la condamnait ; loin de là, il l'a chantée, il l'a ornée de tous les charmes que sa riche et brillante imagination pouvait y rattacher. Ce n'est pas à dire pourtant qu'elle ne présente quelque chose de cruel, de barbare même.
Où exprimant plus particulièrement l'idée de localité convient mieux que dans lesquelles qui ne se rencontre que très-rarement en poésie.
Les accents du cor, dans le langage des poètes, désignent les sons que l'on tire du cor. Les fanfares sont des sortes d'airs courts et brillants qui s'exécutent par des trompettes, et qui ont quelque chose de gai et de martial. On donne souvent ce nom aux airs que l'on joue au lancer du cerf. Rarement harmonieuses, presque toujours bruyantes, elles effraient de loin les hôtes des forêts. Dans leur épouvante, ces animaux paisibles confient leur salut à la rapidité de leur course ou de leur vol. Les chasseurs, placés du côté opposé à celui d'où part le bruit, les attendent, leurs chiens les poursuivent, et souvent ils tombent sous les plombs meurtriers des uns ou sous la dent des autres.
Épouvanter, c'est répandre l'épouvante. L'épouvante est une grande et soudaine peur causée par quelque chose d'imprévu, et a ceci de particulier qu'elle jette le trouble dans l'esprit, le bouleverse : elle nous fait fuir tout éperdus, ne sachant où nous allons.
Hôtes des forêts. En poésie, hôtes se prend souvent pour habitants. Cette périphrase désigne donc les habitants, les animaux des forêts. L'auteur préfère forêts à bois, parce que les forêts ont quelque chose de plus touffu, de plus sombre, de plus sauvage et surtout de plus étendu que les bois : rien d'étonnant dès lors que le gibier s'y multiplie plus rapidement et qu'on l'y chasse plus particulièrement4.
D'autres remarques sont de nature historique (on explique qui est Jussieu), botanique (on rappelle aux élèves le sens des mots pistil, étamine, corolle et pétale, ainsi que la fonction ou la place de ces organes), etc.
Vers concernés : chant 3, vers 410-440 et 445-464.
Les vers 441-444 ne sont ni reproduits, ni commentés, ce qui suggère que le manuel de référence les évitaient lui-même, censurant l'allusion de Delille à un amant et à sa maitresse… C. en tous cas les connaissait, car il propose d'indiquer aux élèves que Rousseau “aimait passionnément la pervenche”, et de leur décrire cette petite plante.