"Sociétés littéraires" (Journal de la ville et des provinces)
Présentation du texte
Ce texte anonyme, paru le 19 novembre 1789 dans le Journal de la ville et des provinces, rend compte des séances de rentrée publiques que venaient de tenir les académies des “Belles-Lettres” et des Sciences, ainsi que le Collège de France1. C'est ce dernier événement, daté ici du 16 novembre (d'autres organes de presse donne la date du 15), qui fait l'objet du plus long traitement. Le rédacteur insiste sur le succès remporté par Delille, qui y a lu des fragments de L'Imagination, poème que ce dernier ne publiera qu'en 1806. Mais une partie des vers cités parmi ces extraits – et que le Journal de la ville et des provinces est le seul à reprendre – se trouvent en réalité dans le chant 3 de L'Homme des champs. Il semble donc qu'à la date de la lecture, Delille hésitait encore sur leur destination…
Citation
Le journaliste passe assez rapidement sur les deux séances académiques, puis il détaille le contenu de celle du Collège de France, en soulignant que Delille – fait usuel – y avait été convié à lire en dernier.
L’abondance des matières ne nous a pas permis de rendre compte de la rentrée de l’Académie des Belles-Lettres, & de celle des Sciences.
La première a tenu sa séance le 13 de ce mois. […] La rentrée de l’Académie des Sciences s’est faite le 14. […]
Le College Royal a fait aussi sa rentrée le 16 [sic] de ce même mois. M de la Lande a lu un mémoire sur un nouveau télescope d’Herschel, de 40 pieds de long. On aime à voir le plus célébré des astronomes français rendant hommage au premier astronome de l’Angleterre.
L’auteur du poème des Styles, M. l’abbé de Cournand, a lu un discours dont le sujet est très-beau & très-bien choisi. C’est l’influence de la liberté sur la littérature.
Enfin M. l’abbé de Lille a donné un grand éclat à cette séance en la terminant par quelques morceaux de son poème sur l’Imagination. Les vers sur Mesmer étoient déjà connus par deux lectures faites à l’académie françoise. Mais on ne peut se lasser d’une poésie aussi brillante & aussi ingénieuse.
Toutes les richesses de l’imagination seront déployées dans ce poème. Il justifiera son titre. Nous en avons entendu plusieurs fragments. Celui sur les poètes épiques est achevé. Le portrait de l’Arioste est plein de grâces & d’esprit ; celui de Milton plein d’énergie2.
On retrouvera les passages évoqués, ainsi que la plupart des vers que le rédacteur cite ensuite, dans L'Imagination. Il n'en va pas de même des derniers extraits qu'il fournit :
On nous saura gré de rapporter ces beaux vers sur l’aspect des montagnes.
C’est-là que reposaient sur leur base profonde
Ces grands rocs décharnés, vieux ossemens du monde.
Quel homme sensible à la poésie n’admirera l’expression pittoresque & sublime de ce dernier vers ? C’est-là que je voyais, continue ce poëte,
…. Sur la cime des monts
Croître neige sur neige, & glaçons sur glaçons ;
D'invincibles frimats, entassemens énormes,
Du temple des hivers colonnades informes,
Prismes éblouissans dont les pans azurés
Défiant le soleil dont ils sont colorés,
Peignent de pourpre & d’or leur éclatante masse ;
Tandis que, triomphant sur son trône de glace,
L’hiver s'enorgueillit de voir le dieu du jour
Embellir son palais & décorer sa cour3.
Il s'agit là d'une variante précoce du passage correspondant aux vers 339-350, et certains des premiers alexandrins seront entièrement retravaillés.
Vers concernés : chant 3, vers 340 et 343-350.
Le journaliste conclut son texte en rattachant à la présence de Delille le fait que le public était venu plus nombreux au Collège :
Au reste les beaux vers de M. l’abbé de Lille ont attiré un plus grand concours que l’académie des Sciences qui étoit presque déserte ainsi que l’académie des Belles-Lettres. On revient toujours aux beautés de sentiment & d’imagination. Quand l’édifice de la législation fera une fois établi, les beaux arts renaîtront en foule. On aura plus besoin que jamais du charme & des consolations qu’ils répandent fur la vie4.