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Pihan de La Forest, Essai sur la vie et les oeuvres de M. S. F. Schoell

Maximilian Samson Friedrich Schöll (1766-1833), appelé en France Maximilien-Samson-Frédéric Schoell, naquit près de Sarrebruck et étudia à Strasbourg, avant de travailler à Bâle pour la maison Decker, qui publia L'Homme des champs en coopération avec les Levrault. Après le retrait de Decker, qui se sépare de son antenne bâloise vers 1803 pour se concentrer sur ses activités berlinoises, Schoell reprit l'antenne bâloise et continua l'association avec les Levrault, en particulier pour leurs éditions de Delille. Par la suite, il se fit connaître comme historien et assuma diverses fonctions diplomatiques.

Dans cette biographie du personnage1, non datée mais extraite d'un ouvrage de Schoell paru en 18332, Pihan de La Forest lui accorde un rôle majeur dans l'acquisition du texte de Delille et dans sa commercialisation ; mais cette version n'est guère crédible. Certes, Schoell joua probablement un rôle significatif dans la gestion de l'impression et de la mise en vente de L'Homme des champs, mais d'après tout les témoignages, c'est les Levrault qui prirent initialement contact avec Delille pour cette publication, et quand le poète gagna Bâle à la mi-septembre 1796 pour achever son manuscrit et le remettre à Decker, le contrat avait déjà été discuté de longue date. Pihan de La Forest fait encore moins sens lorsqu'il affirme que le livre fut près en un mois, le même automne, puisque l'impression prit en réalité plus de trois ans.

Il faut donc voir dans ce récit tout à fait fictif un signe du renom que L'Homme des champs conservait après 1830. Faire de Schoell le responsable de la parution du poème renforce la dimension hagiographique du texte.

[Au mois d'août 1796, Schoell] se maria et s'établit définitivement [à Bâle, qui] servait, à cette époque, de centre au commerce littéraire entre la France et la plus grande partie de l'Allemagne. Là, se rencontraient des hommes de tous les pays, de toutes les nations, de tous les états. M. SCHOELL, placé de nouveau à la tête d'une librairie et d'une imprimerie considérable, se vit bientôt en rapport avec les personnes les plus distinguées dans les différens partis, et trouvait dans ces relations un dédom-magement, une heureuse compensation aux soucis, aux difficultés dont est accompagné l'état d'imprimeur. Emigrés et républicains fréquentaient sa maison. Laissant sur le seuil de sa porte les ressentimens, les divisions, les haines qu'enfante l'esprit de parti, des hommes d'opinions politiques les plus opposées s'entretenaient chez lui de sciences, de littérature, et oubliaient, dans ces pacifiques conversations, que quelques jours plus tard ils pouvaient se rencontrer sur le champ de bataille, dans les rangs ennemis.

Vers le même temps, un jour quittant le village de Lorraine3 où il vivait caché et dans un état voisin de la pauvreté, un homme se présente à M. SCHOELL ; avant de se faire connaître, ouvrant au hasard le manuscrit qu'il tenait, il dit :

     Salut, pompeux Jura, terrible Montanvert,
De neiges, de glaçons entassemens énormes,
Du temple des frimas colonnades informes,
Prismes éblouissans, dont les pans azurés,
Défiant le soleil dont ils sont colorés,
Peignent de pourpre et d'or leur éclatante masse,
Tandis que, triomphant sur son trône de glace,
L'hiver s'enorgueillit de voir l'astre du jour
Embellir son palais et décorer sa cour.
Non, jamais, au milieu de ces grands phénomènes,
De ces tableaux touchans, de ces terribles scènes ,
L'imagination ne laisse dans ces lieux
Ou languir la pensée ou reposer les yeux.
     Malheureux cependant les mortels téméraires
Qui viennent visiter ces horreurs solitaires,
Si par un bruit prudent, de tous ces noirs frimas
Leurs tubes enflammés n'interrogent l'amas !
Souvent un grand effet naît d'une faible cause\ ;
Souvent sur ces hauteurs l'oiseau qui se repose
Détache un grain de neige ; à ce léger fardeau
Des grains dont il s'accroît se joint le poids nouveau ;
La neige autour de lui rapidement s'amasse ;
De moment en moment il augmente sa masse :
L'air en tremble, et soudain, s'écroulant à la fois,
Des hivers entassés l'épouvantable poids
Bondit de roc en roc\ ; roule de cime en cime,
Et de sa chute immense ébranle au loin l'abîme :
Les hameaux sont détruits et les bois emportés ;
On cherche en vain la place où furent les cités,
Et sous le vent lointain de ces Alpes qui tombent,
Avant d'être frappés les voyageurs succombent.
Ainsi quand des excès suivis d'excès nouveaux
D'un Etat par degrés ont préparé les maux,
De malheur en malheur sa chute se consomme :
Tyr n'est plus, Thèbes meurt, et les yeux cherchent Rome
O France, ô ma patrie ! ô séjour de douleurs !
Mes yeux à ces pensers se sont mouillée de pleurs.

Le poète n'eut pas besoin de nommer l'abbé DELILLE ; à ces nobles et mélancoliques accens, à ces souvenirs de patrie, le savant typographe le reconnut ; et, un mois après, ses presses s'honoraient d'avoir les premières publié le poème de l'Homme des champs4.

Vers concernés : chant 3, vers 342-378.

Accès à la numérisation du texte : Gallica.


Auteur de la page — Hugues Marchal 2019/05/30 18:25


1 Ange-Augustin-Thomas Pihan de La Forest, Essai sur la vie et les oeuvres de M. S. F. Schoell, Paris, A. Pihan de La Forest, s. d. [1833].
2 Le texte apparaît sous le titre “Notice historique sur la vie de M. S. F. Schoell” en tête de Maximilien-Samson-Frédéric Schoell, Cours d'histoire des états européens, t. 40, vol. 4, Paris, l'auteur, Pihan de la Forest et Gide, 1833.
3 Saint-Dié, dans les Vosges, où Delille s'était installé en 1795.
4 Id., p. 15-17.