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[Réception de Malesherbes à l'Académie] (Correspondance littéraire)

La séance de réception de Malesherbes à l'Académie française, le 16 février 1775, fait l'objet d'un long compte rendu dans la Correspondance littéraire du même mois. Non signé, l'article pourrait être de Grimm, dont la présence à Paris à cette date est attestée.

Après avoir évoqué le discours de Malesherbes et la réponse que lui adresse l'abbé de Radonvilliers, le gazetier raconte la fin de la séance et indique que Delille, académicien depuis 1774, a alors lu une partie d'un ouvrage encore inédit – où l'on reconnaît le futur Homme des champs. L'œuvre était donc assez avancée pour que le poète puisse la soumettre au public vingt-cinq ans avant sa parution. En l'état de nos recherches, il s'agit de la première diffusion orale du poème et le commentaire qu'en donne la Correspondance littéraire montre comment de telles lectures ont pu susciter à la fois une première réception critique du texte et la diffusion écrite de certains de ses vers.

La Correspondance littéraire indique que Delille a lu les deux derniers chants du poème, mais les détails donnés ne permettent pas d'affirmer que le chant 3, tel qu'il apparaît dans la version finale, ait été inclus. Les indications été extraits donnés semblent en effet relever des chants 1, 2 ou 4 du texte définitif, ce qui suggère, soit que Delille a modifié l'ordre par la suite, soit que l'auteur de l'article a mal compris ses explications.

     M. l'abbé Delille, après ces Discours, nous a lu les deux derniers chants d'un Poème sur les plaisirs de la vie champêtre, l'art de peindre la nature envers et celui d'en jouir. L'art de l'embellir sera le sujet de son premier chant, qui n'est pas encore fini. Cet ouvrage a paru manquer d'idées, d'ensemble\ ; la marche n'en est pas assez poétique, et par-là même assez peu intéressante\ ; mais les détails en sont charmans, plusieurs tableaux d'une grande richesse, et des vers d'une facture admirable. On a beaucoup disputé sur ces deux-ci\ : •

     Je veux qu'un tendre ami, peuplant ma solitude,
     M'enlève doucement aux douceurs de l'étude.

     L'expression peuplant, à force de vouloir être énergique, pourrait bien n'être ni juste ni agréable\ ; doucement aux douceurs sent la recherche et la manière1.

     La présence de M. le duc de Choiseul a fait applaudir à deux reprises le vers

     Choiseul est agricole, et Voltaire est fermier.

     Mais la distinction de l'agricole et du fermier2 n'en est pas pour cela plus ingénieuse3.

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Auteur de la page — Hugues Marchal 2017/03/01 13:32


1 Dans la version finale du poème, les vers commentés ici apparaissent dans le chant 1, sous la forme “Mais c’est peu des beaux lieux, des beaux jours, de l’étude\ ; / Je veux que l’amitié, peuplant ma solitude, / Me donne ses plaisirs et partage les miens”. Les discussions auxquelles fait allusion l'article l'auront donc conduit à renoncer à la séquence “doucement aux douceurs”, mais non à l'image d'un unique ami suffisant à faire “peuple” (une idée qui fera la fortune du vers de Lamartine, “Un seul être vous manque et tout est dépeuplé”).
2 Le vers, absent du poème final, semble se rattacher par son thème au chant 2, consacré aux plaisirs de l'agriculteur (sens, ici, du mot agricole). Mais l'alexandrin fit couler beaucoup d'encre. Voltaire l'évoque avec quelque ironie le 23 mars 775, dans une lettre au chevalier de Lisle\ : “J'ai beaucoup d'obligation à monsieur l'abbé qui porte votre nom, d'avoir dit\ : Choiseul est agricole et Voltaire est fermier. Il semble, par ce vers, que je sois le fermier de M. le duc de Choiseul. Plût à Dieu que je le fusse […]. Je tiens la condition de son fermier pour une des meilleures de ce monde, et je l'aimerais beaucoup mieux que celle de fermier-général”. Puis le même Voltaire fait circuler à la fin de la même année une épître qu'il attribue à un certain Laffichard et où il regrette\ : “Le bonheur nous appelle, et fuit devant nos pas\ : / Sous le dais, sous le chaume, il trompe notre vie. / C'est en vain qu'on a dit en pleine académie\ : / Choiseul est agricole, et Voltaire est fermier\ ; / L'art qui nourrit le monde est un méchant métier” (Le Temps présent, poème reproduit dans Œuvres complètes de Voltaire, Paris, Garnier, vol.\ 10, p.\ 207-208).
3 Correspondance littéraire, philosophique et critique… [février 1775], Troisième partie, t.\ I, Paris, Buisson, 1813, p.\ 47-48.