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Achille Comte, "Histoire naturelle […] l'argonaute" (Magasin universel)

Comte, qui publie régulièrement des textes de zoologie populaire dans Le Magasin universel, propose en janvier 1837 un article sur l'argonaute dont l'introduction donne une place considérable à Delille. Évoquant le rôle social et les formes que doit prendre la vulgarisation, Comte fait du poète un grand écrivain et un modèle pour la diffusion des connaissances scientifiques.

L'ouverture de l'article offre une longue apologie de Delille. S'élevant contre les railleurs modernes du poète, Comte cite avec éloge les deux peintures qu'il a données de l'argonaute, dans Les Trois Règnes de la nature et dans L'Homme des champs :

     Parmi les animaux dont l'histoire a le plus vivement intéressé les naturalistes de tous les temps et de tous les pays, il en est un qui est toujours resté au-dessus de tout ce qu'on pouvait en dire ; c'est l'argonaute. Avant d'avoir été décrit par les savants, cet animal était déjà chanté par les poètes ; il était révéré par les hommes, qui croyaient lui devoir l'art de la navigation, et ses manœuvres ingénieuses étaient racontées avec enthousiasme, soit en vers élégants, soit en style non moins harmonieux que des vers. Delille, si méprisé des rêveurs à nacelle1, ce poëte que ces messieurs relèguent avec tant de dédain dans la stérile catégorie des faiseurs de vers, et dont ils croient abattre le talent en l'appelant du nom de poésie descriptive, notre Delille, en un mot, ne pouvait pas oublier l'argonaute dans sa savante description des Règnes de la nature, poëme brillant et élevé, où les sciences de fait ne rencontrent pas d'erreur grave, et que les écrivains naturalistes devraient parfois prendre pour modèle.
     Après avoir passé en revue les animaux qui peuplent la surface de la terre, traversent les airs, s'enfoncent sous le sol ou s'agitent au sein de tous les corps organisés, Delille arrive à ceux dont la présence anime les eaux. L'un, dit-il,

     L'un en casque brillant est sorti de son moule ;
     L'autre en vis tortueuse élégamment se roule ;
     L'autre de l'araignée a la forme et le nom ;
     Un autre imite aux yeux la trompe ou le clairon ;
     Là c'est une massue, ailleurs une thiare [sic] ;
     Celui-ci d'un long peigne offre l'aspect bizarre ;
     L'autre en boite de nacre est joint à son rocher ;
     Cet autre est un vaisseau, dont le petit nocher
     (Son instinct pour boussole, et son art pour étoile)
     Est lui-même le mât, le pilote et la voile.
     Un autre, moins heureux, sous un toit emprunté
     Est contraint de cacher sa triste nudité,
     Et contre ses rivaux dispute une coquille2.

     Il parle ailleurs (Géorgiques françaises) de :

     La grue au haut des airs naviguant sans boussole ;
     Le nautile sur l'eau dirigeant sa gondole…

     Or, il faut le reconnaître, de pareilles observations ne perdent rien à être traduites en langage fleuri, et l'histoire naturelle serait plus répandue dans les connaissances humaines, si les savants avaient daigné rendre ses abords moins âpres et sa langue moins pédantesque.
     On ne peut assez le répéter, la plupart des gens du monde, même parmi ceux qui ont puisé des connaissances littéraires dans une éducation libérale, confondent l'histoire naturelle avec la médecine ou la pharmacie, et ne voient jamais dans celui qui l'étudie qu'un homme occupé de la recherche des remèdes. Ce reproche, que Rousseau faisait à ses contemporains relativement à l'étude des plantes, et qui diminuait à ses yeux le charme de la botanique, peut être également appliqué à toutes les branches de la science de la nature.
     Quoi qu'il en soit, comme quelques portes sont ouvertes aux sciences pour entrer dans le monde, et puisque l'esprit du public semble vouloir se familiariser avec les mystères de la science, nous tenterons l'histoire de quelques-unes de ces admirables productions de la nature, qui, de nos jours, sont le patrimoine des savants, et que, dans des temps reculés, tous les hommes étaient appelés à étudier et à connaître3.

Vers concernés : chant 3, vers 527-528.

Comte inverse l'ordre des deux vers qu'il tire de L'Homme des champs. Néanmoins, son respect pour “notre” Delille est manifeste. Non seulement ses vers sont “savant[s]” et exacts, assure le naturaliste, mais son texte “brillant et élevé” est porté par un “enthousiasme” tangible et communicatif. Surtout, son projet de rendre les sciences mieux connues reste pleinement d'actualité, puisque la modernité persiste à faire des “admirables productions de la nature” le “patrimoine” exclusif des spécialistes.

Accès à la numérisation du texte : Gallica.


Auteur de la page — Hugues Marchal 2017/05/14 22:54


1 Citation approximative de la dédicace composée par Musset pour La Coupe et les lèvres : “Mais je hais les pleurards, les rêveurs à nacelles, / […] Cette engeance sans nom, qui ne peut faire un pas / Sans s’inonder de vers, de pleurs, et d’agendas”.
2 Comme il l'a indiqué plus haut, Comte emprunte aux Trois Règnes ce catalogue animaux marins à coquille
3 Achille Comte, “Histoire naturelle : Animal et coquille de l'argonaute”, Le Magasin universel, t. 4, n° 17, janvier 1837, p. 134-135.