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"Variété" (Le Nouvelliste littéraire)

Le Nouvelliste littéraire des sciences et des arts publie dès le 3 août 1800, sous le titre “Variété. Sur l'abbé Delille1“, un compte rendu de L'Homme des champs, qui occupe 6 des 8 pages de la livraison. Mais en raison de sa date précoce, cette recension, très positive, tient encore fortement de l'annonce de parution, voire de la réclame.

Le rédacteur anonyme commence par faire de la sortie du poème un événement exceptionnel : maître unique de la poésie nationale, Delille la restaure tout en promettant une salve de productions nouvelles.

Pour toute variété j'annoncerai aujourd'hui à mes lecteurs que je vais leur offrir un ouvrage, tel qu'il n'en ont pas vu depuis long-temps ; un ouvrage qui loin de ressembler à toutes ces productions platement orgueilleuses dont nous sommes inondés, nous retrace les plus beaux jours de notre littératures. Il n'est pas mort, cet harmonieux Delille, qui seul et sans rivaux soutient depuis tant d'années la gloire de la poésie française ; et avant de nous être ravi, il ranime sa voix, comme l'oiseau de Chaonie, et ses chants n'en sont que plus mélodieux. C'étoit peu pour lui d'avoir enrichi notre langue de la traduction des Géorgiques, qui a eu quatorze éditions, et du poeme des jardins que nous savons par cœur, il a recueilli toutes ses forces au milieu des horreurs de notre révolution pour nous donner des idées douces, et nous consoler. Avant de nous charmer par son poëme sur l'imagination, avant de nous transporter par son Enéide, et de nous mettre dans le cas de ne plus envier à l'Italie son Annibal Caro, et à l'Angleterre son Dryden, il nous envoye aujourd'hui des bords du Rhin ses Géorgiques françaises pour prélude de ses dernières merveilles. Ah ! le ciel ne veut pas encore nous rayer du nombre des nations aimables, puisqu'il nous laisse le poëte des grâces, de l'élégance et du bon goût. Je vous salue donc, ô Virgile de la France, l'honneur de l'Auvergne, et le vrai modèle de notre littérature2.

Le rédacteur, indiquant le plan de son article, poursuit en déclarant : “Il y a trois choses dans ce travail précieux, la préface, le poëme, les notes3. La première partie est une glose de la préface de Delille, et c'est à cette occasion qu'apparaît la seule mention du chant 3, dont le journaliste se contente d'indiquer qu'il est “consacré à l'observateur naturaliste4”. Si l'examen des vers proprement dits passe par de longues citations, celles-ci sont en effet puisées dans les trois autres chants. À l'issue de ce parcours, le rédacteur continue à suivre les indications de Delille, car il insiste sur le fait que le poète innove en stimulant une “sensibilité” pour des objets non humains. Il observe : “Cette sensibilité ne vaut-elle pas mille fois mieux que la fastidieuse et sèche métaphysique qui morfond tous nos versificateurs modernes et tous leurs lecteurs5 ?”. Quant à l'examen des notes, il est surtout l'occasion d'en souligner le style et la franchise, sans aucune allusion aux plus scientifiques d'entre elles :

Elles sont pleines d'instruction et de goût, et cela n'est pas étonnant ; car non seulement l'abbé Delille et Laharpe sont aujourd'hui les deux seuls littérateurs qui connoissent à fond les grands auteurs de la Grèce et de Rome, uniques sources de la belle poésie et de la véritable éloquence, mais ils sont encore les seuls qui aient pu se perfectionner dans la meilleure compagnie. Aussi, quelle différence, bon dieu, entre leur ton, et celui de nos merveilleux actuels de tout âge et de toute espèce, qui se croyent des héros pendant que ces deux derniers romains restent cachés !
L'abbé Delille indique tous les auteurs qu'il a imités, Horace, Pope, Denham, Roucher, Vanière, St-Lambert, Thompson, Goldsmith6.

En somme, tout se passe comme si le rédacteur tenait à relever les éléments rattachant L'Homme des champs à une tradition pré-révolutionnaire et fortement classique, contre les poètes plus jeunes, de sorte que la dimension scientifique du texte, que Delille désigne comme fortement novatrice, est occultée.

Les dernières lignes sont occupées par la reprise du catalogue des formats et tarifs.

Accès à la numérisation du texte : Gallica.


Auteur de la page — Hugues Marchal 2017/05/14 15:42


1 Anonyme, “Variété. Sur l”abbé Delille”, Le Nouvelliste littéraire des sciences et des arts, n° 108, 15 thermidor an VIII (3 août 1800), p. 1-6.
2 Id., p. 1
3 Ibid.
4 Id., p. 2.
5 Id., p. 5
6 Id., p. 6.