peltierparis

Ceci est une ancienne révision du document !


Peltier, Paris pendant l'année 1800

Paris pendant l'année 1800 (1800) est le vingt-huitième volume d'une longue série qui rassemble des publications mensuelles à propos d'événements culturels et politiques survenus à Paris. Publié par le journaliste Jean-Gabriel Peltier, alors en exil à Londres, il s'adresse avant tout aux émigrés français, les informant sur l'actualité de leur pays d'origine, tout en affichant une ligne éditoriale anti-révolutionnaire, puis anti-bonapartiste1. Quatre articles du recueil sont consacrés à L'Homme des champs, certains n'hésitant pas à citer de longs passages. En effet, Peltier précise qu'ils sont plus particulièrement destinés à ses compatriotes émigrés dans les colonies et qui ne peuvent, de ce fait, que difficilement se procurer le poème 2.

Dans cet article d'analyse littéraire, Peltier ne cache pas son enthousiasme devant le chant 3 de L'Homme des champs: “Si nous osons juger avec sévérité la fin du second chant, en revanche nous avouons que nous manquons d'expressions pour rendre la surprise et l'admiration que la totalité du troisième chant nous a causées. C'est un des plus beaux discours de Buffon sur la théorie de la terre, traduit et commenté dans les plus beaux vers que la langue ait pu produire”3.

Nous nous contenterons de trois citations pour ce chant.

     Effets des volcans. Catastrophe d'Herculanum.

     C’est ici que la lave en longs torrens coula ;
     Voici le lit profond où le fleuve roula,
     Et plus loin à longs flots sa masse répandue
     Se refroidit soudain et resta suspendue.
     Dans ce désastre affreux quels fleuves ont tari !
     Quels sommets ont croulé, quels peuples ont péri !
     Les vieux âges l’ont su, l’âge présent l’ignore ;
     Mais de ce grand fléau la terreur dure encore.
     Un jour, peut-être, un jour, les peuples de ces lieux
     Que l’horrible volcan inonda de ses feux,
     Heurtant avec le soc des restes de murailles,
     Découvriront ce gouffre, et, creusant ses entrailles,
     Contempleront au loin avec étonnement
     Des hommes et des arts ce profond monument ;
     Cet aspect si nouveau des demeures antiques ;
     Ces cirques, ces palais, ces temples, ces portiques ;
     Ces gymnases du sage autrefois fréquentés,
     D’hommes qui semblent vivre encor tout habités :
     Simulacres légers, prêts à tomber en poudre,
     Tous gardant l’attitude où les surprit la foudre ;
     L’un enlevant son fils, l’autre emportant son or,
     Cet autre ses écrits, son plus riche trésor ;
     Celui-ci dans ses mains tient son dieu tutélaire ;
     L’autre, non moins pieux, s’est chargé de son père ;
     L’autre, paré de fleurs et la coupe à la main,
     A vu sa dernière heure et son dernier festin4.

Vers concernés : chant 3, vers 149-174

La deuxième citation suit immédiatement la première dans le texte.

                    Eaux minérales.

     Dirai-je ces ruisseaux, ces sources, ces fontaines,
     Qui de nos corps souffrans adoucissent les peines ?
     Là, de votre canton doux et tristes tableaux,
     La joie et la douleur, les plaisirs et les maux,
     Vous font chaque printemps leur visite annuelle :
     Là, mêlant leur gaîté, leur plainte mutuelle,
     Viennent de tous côtés, exacts au rendez-vous,
     Des vieillards éclopés, un jeune essaim de foux.
     Dans le même salon là viennent se confondre
     La belle vaporeuse et le triste hypocondre :
     Lise y vient de son teint rafraîchir les couleurs ;
     Le guerrier, de sa plaie adoucir les douleurs ;
     Le gourmand, de sa table expier les délices.
     Au dieu de la santé tous font leurs sacrifices.
     Tous, lassant de leurs maux valets, amis, voisins,
     Veulent être guéris, mais surtout être plaints.
     Le matin voit errer l’essaim mélancolique ;
     Le soir, le jeu, le bal, les festins, la musique,
     Mêlent à mille maux mille plaisirs divers :
     On croit voir l’Elysée au milieu des enfers5.

Vers concernés : chant 3, vers 279-298

Cette troisième citation suit, à son tour, immédiatement la deuxième.

          Description d'une Avalanche.

     Souvent un grand effet naît d’une faible cause.
     Souvent sur ces hauteurs l’oiseau qui se repose
     Détache un grain de neige. à ce léger fardeau
     Des grains dont il s’accroît se joint le poids nouveau ;
     La neige autour de lui rapidement s’amasse ;
     De moment en moment il augmente sa masse :
     L’air en tremble, et soudain, s’écroulant à la fois,
     Des hivers entassés l’épouvantable poids
     Bondit de roc en roc, roule de cime en cime,
     Et de sa chute immense ébranle au loin l’abyme.
     Les hameaux sont détruits, et les bois emportés ;
     On cherche en vain la place où furent les cités,
     Et sous le vent lointain de ces Alpes qui tombent,
     Avant d’être frappés, les voyageurs succombent.
     Ainsi quand des excès, suivis d’excès nouveaux,
     D’un état par degrés ont préparé les maux,
     De malheur en malheur sa chute se consomme ;
     Tyr n’est plus, Thèbes meurt, et les yeux cherchent Rome !
     O France, ô ma patrie ! ô séjour de douleurs !
     Mes yeux à ces pensers se sont mouillés de pleurs.

Que cette finale est touchante! quels yeux ne se remplissent pas en la lisant des mêmes larmes que l'auteur a répandues en la composant!6

Vers concernés : chant 3, vers 359-378

Cette citation apparaît dans un article différent, signé par un certain Fontanes. On note que l'auteur a choisi de sauter un passage de douze vers décrivant l'émotion ressentie lors de la cueillette.

     Et voulez-vous encore embellir le voyage ?
     Qu’une troupe d’amis avec vous le partage :
     La peine est plus légère et le plaisir plus doux.
     Le jour vient, et la troupe arrive au rendez-vous.
     Ce ne sont point ici de ces guerres barbares,
     Où les accens du cor et le bruit des fanfares
     Épouvantent de loin les hôtes des forêts.
     Paissez, jeunes chevreuils, sous vos ombrages frais ;
     Oiseaux, ne craignez rien : ces chasses innocentes
     Ont pour objet les fleurs, les arbres et les plantes ;
     Et des prés et des bois, et des champs et des monts
     Le porte-feuille avide attend déjà les dons.
     On part : l’air du matin, la fraîcheur de l’aurore
     Appellent à l’envi les disciples de Flore.
     Jussieu marche à leur tête ; il parcourt avec eux
     Du règne végétal les nourrissons nombreux.
     Pour tenter son savoir quelquefois leur malice
     De plusieurs végétaux compose un tout factice.
     Le sage l’aperçoit, sourit avec bonté,
     Et rend à chaque plant son débris emprunté.
     Chacun dans sa recherche à l’envi se signale ;
     Etamine, pistil, et corolle et pétale,
     On interroge tout. Parmi ces végétaux
     Les uns vous sont connus, d’autres vous sont nouveaux
     Vous voyez les premiers avec reconnoissance,
     Vous voyez les seconds des yeux de l’espérance ;
     …………………………………………
     Mais le besoin commande : un champêtre repas,
     Pour ranimer leur force, a suspendu leurs pas ;
     C’est au bord des ruisseaux, des sources, des cascades.
     Bacchus se rafraîchit dans les eaux des Nayades.
     Des arbres pour lambris, pour tableaux l’horison,
     Les oiseaux pour concert, pour table le gazon !
     Le laitage, les œufs, l’abricot, la cerise,
     Et la fraise des bois, que leurs mains ont conquise,
     Voilà leurs simples mets ; grâce à leurs doux travaux
     Leur appétit insulte à tout l’art des méots.
     On fête, on chante Flore et l’antique Cybèle,
     Eternellement jeune, éternellement belle.
     Leurs discours ne sont pas tous ces riens si vantés,
     Par la mode introduits, par la mode emportés ;
     Mais la grandeur d’un dieu, mais sa bonté féconde,
     La nature immortelle et les secrets du monde.
     La troupe enfin se lève ; on vole de nouveau
     Des bois à la prairie, et des champs au coteau ;
     Et le soir dans l’herbier, dont les feuilles sont prêtes,
     Chacun vient en triomphe apporter ses conquêtes7.

Vers concernés : chant 3, vers 407-464

Cette citation se trouve dans le même article que la précédente.

     Vous-mêmes dans ces lieux vous serez appelés,
     Vous le dernier degré de cette grande échelle,
     Vous, insectes sans nombre, ou volans ou sans aile,
     Qui rampez dans les champs, sucez les arbrisseaux,
     Tourbillonnez dans l’air, ou jouez sur les eaux.
          Là je place le ver, la nymphe, la chenille ;
     Son fils, beau parvenu, honteux de sa famille ;
     L’insecte de tout rang et de toutes couleurs,
     L’habitant de la fange, et les hôtes des fleurs ;
     Et ceux qui, se creusant un plus secret asile,
     Des tumeurs d’une feuille ont fait leur domicile ;
     Le ver rongeur des fruits, et le ver assassin,
     En rubans animés vivant dans notre sein.
     J’y veux voir de nos murs la tapissière agile,
     La mouche qui bâtit, et la mouche qui file ;
     Ceux qui d’un fil doré composent leur tombeau,
     Ceux dont l’amour dans l’ombre allume le flambeau ;
     L’insecte dont un an borne la destinée ;
     Celui qui naît, jouit et meurt dans la journée,
     Et dont la vie au moins n’a pas d’instans perdus.
     Vous tous, dans l’univers en foule répandus,
     Dont les races sans fin, sans fin se renouvellent,
     Insectes, paroissez, vos cartons vous appellent.
     Venez avec l’éclat de vos riches habits,
     Vos aigrettes, vos fleurs, vos perles, vos rubis,
     Et ces fourreaux brillans, et ces étuis fidèles,
     Dont l’écaille défend la gaze de vos ailes ;
     Ces prismes, ces miroirs, savamment travaillés ;
     Ces yeux qu’avec tant d’art la nature a taillés,
     Les uns semés sur vous en brillans microscopes,
     D’autres se déployant en de longs télescopes.
     Montrez-moi ces fuseaux, ces tarrières, ces dards,
     Armes de vos combats, instrumens de vos arts,
     Et les filets prudens de ces longues antennes,
     Qui sondent devant vous les routes incertaines.
     Que j’observe de près ces clairons, ces tambours,
     Signal de vos fureurs, signal de vos amours,
     Qui guidoient vos héros dans les champs de la gloire,
     Et sonnaient le danger, la charge et la victoire ;
     Enfin tous ces ressorts, organes merveilleux,
     Qui confondent des arts le savoir orgueilleux,
     Chefs-d’œuvres d’une main en merveilles féconde,
     Dont un seul prouve un dieu, dont un seul vaut un monde.

Il n'est presque pas un seul de ces vers qui n'offre un modèle d'élégance et de précision dans le genre technique, et qui ne soit une conquête pour la versification Française. Celui qui termine le morceau est sublime8.

Vers concernés : chant 3, vers 534-576

Accès à la numérisation du texte : GoogleBooks


Auteur de la page Sophie Christe 2017/04/04 19:51


1 Van Rinsveld, Bernard: «Une égyptomanie anti-bonapartiste: le journaliste Jean-Gabriel Peltier», Brepols Publishers online, consulté le 3 avril 2017, lien.
2 Peltier, Jean-Gabriel: «Paris pendant l’année 1800», Volume 28, T. Baylis, Hatton-Garden, 30 août 1800, p. 159.
3 Peltier, Jean-Gabriel: «Paris pendant l’année 1800», Volume 28, T. Baylis, Hatton-Garden, 30 août 1800, p. 151.
4 Jean-Gabriel Peltier, Paris pendant l'année 1800, Volume 28, Hatton-Garden, T. Baylis, 1800, p. 152.
5 Jean-Gabriel Peltier, Paris pendant l'année 1800, Volume 28, Hatton-Garden, T. Baylis, 1800, p. 153.
6 Jean-Gabriel Peltier, Paris pendant l'année 1800, Volume 28, Hatton-Garden, T. Baylis, 1800, pp. 153-154.
7 Jean-Gabriel Peltier, Paris pendant l'année 1800, Volume 28, Hatton-Garden, T. Baylis, 1800, pp. 290-291.
8 Jean-Gabriel Peltier, Paris pendant l'année 1800, Volume 28, Hatton-Garden, T. Baylis, 1800, pp. 292-293.