nessais

N. de Saint-Claude, Essais

Opuscule d'une quarantaine de pages, les Essais (1822) sont l'œuvre d'un auteur non identifié, Saint-Claude ne constituant pas un patronyme, mais un renvoi au bourg jurassien du même nom, si l'on s'appuie sur les nombreuses allusions à cette région contenues dans ce recueil. Bref récit de voyage en vers, épîtres ou petits messages rimés, les poèmes rassemblés sont hétéroclites, mais typiques de l'œuvre d'un “poète de société”.

Delille se voit consacrer un poème intitulé simplement “Sur Delille”, composé en octosyllabes et occupant cinq pages, soit une taille relativement longue par comparaison aux autres textes. L'auteur y salue le poète mort en 1813, en brossant un portrait général de son caractère et de son génie, tout en prenant soin de faire allusion à ces principales œuvres – dont L'Homme des champs, cité trois fois en notes.

          SUR DELILLE


Jeune, sa muse le couronne
Des premières fleurs du printemps1,
Et bientôt la France s'étonne
De ses triomphes éclatants.
De mille obstacles il se joue :
A sa voix l'oiseau de Mantoue2,
A la douleur abandonné,
Reprend son vol, et vers la Seine,
Près de la nymphe souveraine,
Fixe son séjour fortuné.


Notre langue est une orgueilleuse,
Disent les savants tour à tour,
Et la jeune capricieuse
N'aime que grandeur et qu'amour :
Parmi les ris toujours folâtre ,
Héroïque et fière au théâtre,
Elle est muette dans les champs,
Et devant l'églogue naïve
Cache sa pauvreté craintive
Sous ses plus riches ornements.


Des auteurs qu'elle désespère
Tels sont les profanes discours :
Delille vient, et la sévère,
Pour lui sait changer ses atours.
Simple, fraîche, aimable, ingénue.
Brillant d'une grâce inconnue,
Des champs elle peint les travaux ;
Et dans ses transports poétiques
Le traducteur des Géorgiques
L'enrichit de trésors nouveaux.


Sans doute elle est toujours rebelle
Pour qui rampe au sacré vallon ;
Mais jamais fut-elle infidèle
Au vrai favori d'Apollon ?
Voyez la superbe soumise
A Delille qui la maîtrise
Au gré d'un pinceau délicat,
De ses richesses abondantes,
Sous mille couleurs différentes,
Prodiguer la pompe et l'éclat ! […]


De douleur son ame est navrée3…..
Il fuit sur des bords inconnus,
Emportant sa lyre sacrée
Et son génie et ses vertus.
Combien de fois la douce image
De ces lieux chers à son jeune âge
Fixa ses regards attendris !
Souvent, des vallons helvétiques,
Interrompant ses chants rustiques,
Il s'élançoit vers son pays4.


Il se flétrit l'homme vulgaire
Au souffle glacé du malheur,
Mais le sage que rien n'altère
Conserve toujours sa grandeur.
Au gré d'Apollon qui l'inspire
Le poète reprend sa lyre
Et prélude à de nouveaux chants ;
Et sa muse, fière exilée5,
Loin de la France désolée
Forme des accords plus touchants. […]


Allez sur sa tombe funèbre
Reprendre sa lyre célèbre,
Jeunes poètes, courez tous :
Sachez qu'un hommage stérile,
Loin d'honorer le Grand Delille,
N'exciteroit que son courroux6.

Vers concernés (cités dans la note 4) : chant 3, vers 377-378

Accès à la numérisation du texte : Gallica.


Auteur de la page — Hugues Marchal 2017/11/11 18:04
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/18 14:30


1 NDA : “Ses palmes académiques.”
2 Surnom traditionnel de Virgile, dont N. évoque deux strophes plus bas les Géorgiques, traduites par Delille.
3 NDA : “Trop courte illusion ! délices chimériques ! / De mon triste pays les troubles politiques / M'ont laissé, pour tout bien, mes agrestes pipeaux. / Adieu mes fleurs ! adieu mes fruits et mes troupeaux ! (L'HOMME DES CHAMPS, Chant 2e.)”
4 NDA : “Ô France ! Ô ma patrie ! ô séjour de douleurs ! / Mes yeux, à ces pensers, se sont mouillés de pleurs. (L'HOMME DES CHAMPS, Chant 3e.)”
5 NDA : “Vous-donc qui prétendiez, profanant ma retraite, / En intrigant d'état transformer un poète, / Epargnez à ma muse un regard indiscret, / De son heureux loisir respectez le secret. (Ibid, Chant 2e.)”
6 N. de Saint-Claude, “Sur Delille”, Essais, Saint-Claude, imp. de Énard, 1822, p. 23-27.