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Rôle prescriptif des manuels et dictionnaires

Les anthologies et dans une moindre mesure les dictionnaires sont responsables d'une part massive des citations du poème, au sein d'ouvrages. Mais les auteurs de ces livres de référence ont-ils aussi influencé les autres citateurs\ ? Autrement dit, les passages qu'ils ont pré-sélectionnés sont-ils également surreprésentés dans le reste du corpus\ ?

La réponse pourrait sembler d'avance évidente. Les dictionnaires sont un outil commode pour tout auteur cherchant une citation susceptible d'entrer en résonance thématique avec son propos, ou de l'orner. Quand aux anthologies et manuels scolaires, ils ancrent durablement des morceaux choisis dans les mémoires. On s'attendrait donc à ce que les choix des lexicologues et pédagogues aient guidé une partie au moins des reprises, et plus ce phénomène serait observable, plus on pourrait douter que le chant/ 3 ait été effectivement lu par les créateurs des textes qui lui empruntent des vers.

Pour explorer cette hypothèse, on a regroupé toutes les reprises présentes dans les dictionnaires, anthologies et manuels, puis calculé, pour chaque vers, la date médiane de ses citations (autrement dit, la date jusqu'à laquelle 50% des reprises avaient lieu). Les occurrences concernées ont ainsi pu être réparties, vers par vers, en deux groupes, de citations dites “précoces” et “tardives”. La date médiane enregistrée pour chaque vers a permis de diviser ses reprises dans d'autres types d'ouvrages en deux groupes similaires, bornés par la même année de bascule.

Si le choix des auteurs dictionnaires, anthologies et manuels guidaient fortement ceux des autres auteurs, les vers qu'ils ont sélectionnés jusqu'à une date médiane devraient être plus fortement représentés dans le reste des textes postérieurs à cette date. Or les comparaisons ainsi permises ne dégagent aucune tendance nette en ce sens.

Les citations “précoces” de vers par les dictionnaires ou manuels et leurs reprises ultérieures dans d'autres types d'ouvrages :

Dans nombre de cas, particulièrement pour le premier tiers du poème, des vers retenus par les ouvrages de référence sont complètement ignorés par les auteurs de reprises ultérieures.

Détail 1 (v. 199-268)

Dans d'autres cas, et notamment pour le second tiers du texte, des pics de citations hors du corpus des ouvrages de référence correspondent en revanche à des vers déjà retenus plus tôt par ces derniers.

Détail 2 (v. 409-440)

Reste qu'on ne peut parler d'une quelconque corrélation, à ce niveau global. L'absence de régularité invalide l'hypothèse d'une action prescriptive forte.

Assiste-t-on dans ce cas à un phénomène inverse, au fil duquel c'est la fréquence des citations enregistrées dans d'autres textes qui guiderait le choix des anthologistes, pédagogues et lexicographes\ ? Il est possible d'en juger en opérant la comparaison inverse. Un vers abondamment cité dans ces textes, jusqu'à la date médiane dictée par l'examen des ouvrages de référence, tend-il à être ensuite enregistré de manière privilégié par les manuels ou dictionnaires\ ?

Les citations “tardives” de vers par les dictionnaires ou manuels et leur présence antérieure dans d'autres types d'ouvrages :

De nouveau, l'absence de corrélation est flagrante. De façon massive, dans les premier et dernier tiers du poème, des vers très fortement cités dans la production discursive antérieure sont comparativement largement ignorés des ouvrages de référence ultérieurs à la date médiane retenue pour ces vers. L'accueil réservé à la fin du poème est ainsi nettement “effacé” par les anthologies et dictionnaires.

Détail 3 (v. 579-650) :

On ne peut donc faire des ouvrages de référence une forme d'enregistrement des prédilections générales – ce qui n'allait pas de soi pour les anthologies. En outre, les zones du poème où l'investissement de ces ouvrages tend à mimer le comportement antérieur du reste du corpus sont les mêmes que celle où l'on avait pu constater la convergence inverse (voir ci-dessus, détail 2), comme le montre le comparatif pour les v. 410-424 ou 447-464.

Détail 4 (v. 409-464) :

Or ce dernier constat force à invalider totalement l'idée d'une tendance du corpus général à citer des vers après ou d'après leur reprise dans les ouvrages de référence. Dès lors que certains des vers les plus reproduits dans les manuels et anthologies avant leur date médiane s'avèrent aussi très représentés, avant cette même date médiane, dans le reste du corpus, il est impossible de conclure que la consultation de ces productions lexicographiques et pédagogiques ait pu dicter les sélections présentes dans les autres textes. Le phénomène a pu intervenir de manière marginale, mais il n'est en aucun cas généralisable.


Auteur de la page - — Hugues Marchal 2020/11/25 19:15