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Berlepsch, Les Alpes : descriptions et récits

Publié en 1861, l'ouvrage d'Hermann Alexander von Berlepsch, Die Alpen, in Natur- und Lebensbildern est un succès de librairie traduit dès 1862 en anglais, puis en 1868 en français, sous le titre Les Alpes : descriptions et récits. Comme l'indique le titre allemand, qui signifie littéralement “Les Alpes, par images de la nature et des mœurs”, le texte de Berlepsch s'y combine à des illustrations dues à E. Rittmeyer, dont le nombre varie selon les éditions.

Dans la version originale, Berlepsch cite régulièrement des vers, souvent en épigraphe ou à la fin de ses chapitres. Dans cet ouvrage tenant à la fois de la vulgarisation et de la littérature, ces extraits servent à la fois à orner le propos, scander la prose explicative et établir le statut d'objet culturel des paysages évoqués. Mais aucune des deux traductions ne les conserve. Toutefois, alors que la plupart de ces pauses disparaissent entièrement de l'édition anglaise, les éditeurs de la version française, font le choix de leur substituer des vers eux-mêmes tirés d'auteurs francophones, et notamment de Delille.

Albanis-Beaumont cite le troisième chant de L'Homme des champs lorsqu'il évoque le panorama formé par les chaînes de montagnes. Les vers de Delille servent à la fois d'illustration et de caution à son propos, qui insiste sur le sublime d'un tel paysage.

     Si, vaincu par la curiosité, le voyageur naturaliste parvient, à force de fatigues, de peines, et de dangers, à se trouver au soleil levant sur une de ces hautes piques des Alpes, combien n'en est-il pas dédommagé par l'agréable surprise et l'admiration que lui cause le sublime tableau que la nature semble graduellement dérouler sous ses yeux, comme pour lui ménager la sensation qu'il doit éprouver, et l'excès de son enthousiasme\ ! Ses yeux se portent d'abord avec une espece d'effroi sur une suite de précipices affreux, de vallées profondes et étroites où s'engouffrent avec fracas et impétuosité des torrents, dont les eaux, couvertes d'écume argentée, offrent un contraste agréable avec la couleur foncée des sapins et des méleses qui couvrent les flancs abruptes [sic] des montagnes latérales\ ; tandis que sa vue portée un peu plus loin, se promene délicieusement sur une succession de riantes collines et de charmants vallons, qui, à l'abri des vents du nord, offrent l'aspect de la végétation la plus active\ ; il apperçoit aussi une foule de petits hameaux épars çà et là, entourés de riches vignobles et d'agréables vergers\ : mais ce qui captive encore plus son attention, c'est ce passage graduel de la végétation la plus luxurieuse et prolifique, à la nature éteinte, s'il m'est permis de me servir de cette expression, où des glaciers immenses s'étendent à perte de vue, et forment avec les pyramides de granit, qui s'élevent majestueusement au-dessus de leur surface, le labyrinthe le plus vaste et le plus sublime, dont l'ensemble rappelle ces charmants vers du poëme sur l'Helvétie\ :

     « Salut, pompeux Jura, terrible Montanvert,
     « De neige et de glaçons entassements énormes,
     « Du temple des frimas colonnades informes,
     « Prismes éblouissants, dont les pans azurés,
     « Défiant le soleil dont ils sont colorés,
     « Peignent de pourpre et d'or leur éclatante masse\ ;
     « Tandis que, triomphant sur son trône de glace,
     « L'hiver s'enorgueillit de voir l'astre du jour
     « Embellir son palais et composer sa cour. »

     Le passage de la nature active à la nature éteinte est en plusieurs endroits si soudain, qu'à peine l'image riante et délicieuse que ces premiers objets ont laissée dans la rétine de l'œil a-t-elle frappé l'ame du spectateur, qu'elle est spontanément effacée par un nouveau tableau qui se présente à ses yeux, où sont peints avec les couleurs les plus fortes et les plus vraies les frimas glacés du Groënland, et les âpres déserts du nord de la Sibérie1.

Vers concernés : chant 3, vers 342-350.

Delille n'est pas nommé. Deux ans après sa parution, Albanis-Beaumont semble donc considérer que L'Homme des champs est assez célèbre pour que l'auteur des vers n'ait pas à être cité, ni même le titre du poème. Ce dernier est remplacé par une curieuse périphrase, “poëme sur l'Helvétie”, qui semble assigner au texte source un nouveau thème dominant, la Suisse – une substitution qui suggère que, pour nombre de lecteurs, l'exil de Delille a pu conduire à traiter ses vers sur les Alpes comme un hommage aux seules régions suisses (alors qu'une partie de ce massif, comme du Jura, était déjà française).

Le dernier paragraphe a l'intérêt de faire de la nature montagneuse un espace caractérisé par la brusque juxtaposition d'aspects aux effets opposés. Selon Albanis-Beaumont, le passage des “image[s] riante[s] et délicieuse[s]” aux sites “âpr[es]” où la “nature [paraît] éteinte” a lieu “soudainement” – un constat qui pourrait justifier la pratique de Delille, amateur de contrastes similaires.

Les autres volumes ne comportent pas de renvoi notre poète, sauf lorsque l'auteur, dressant une liste succincte des personnalités célèbres de la région, évoque l'écrivain et éditeur “Michaud, l'ami de Jacques Delille2”.

Accès à la numérisation du texte : Gallica.


Auteur de la page — Hugues Marchal 2017/05/12 18:04


1 Id., p. 83-84.
2 Id., partie\ 1, t.\ 2, 1802, p.\ 347.