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Le Dictionnaire de leçons et exemples de littérature chrétienne en prose et en vers, préparé par François Pérennès et publié en 1864, remplit la double fonction d'une anthologie à usage pédagogique et d'un florilège de la littérature française édifiante. La page de titre en détaille les objectifs : il s'agit d'“un choix immense et varié de morceaux” empruntés aux prosateurs et aux poètes, destiné à illustrer tous les aspects du christianisme. Comptant deux tomes, l'ouvrage fait partie de la dernière édition de l'Encyclopédie théologique (1855-1866) de Jacques-Paul Migne, une gigantesque somme en 66 volumes de la théologie, de l'histoire et de la culture chrétiennes.
Le second tome, consacré à la poésie, commence par une histoire de la poésie chrétienne. Dans celle-ci, Delille est présenté comme “un des premiers poëtes1” à avoir modifié les formes de la mythologie gréco-romaine en faveur d'une inspiration plus chrétienne. Les morceaux cités des poètes se voient attribuer des titres apocryphes, en fonction des thèmes qu'ils abordent, et sont classés dans l'ordre alphabétique de ces titres sans autre commentaire de l'éditeur. Citer les poètes modernes implique toutefois des précautions dans le choix des passages et des coupes à y faire, de manière à éviter les vers licencieux, ce à quoi Pérennès est attentif à l'égard de Delille.
Pérennès, qui cite plusieurs œuvres de Delille, ne reproduit qu'un passage du troisième chant de L'Homme des champs, mais c'est l'un des plus fréquemment cités dans les anthologies du XIXe siècle : le récit de l'herborisation.
Herborisation.
Le jour vient, et la troupe arrive au rendez-vous.
Ce ne sont point ici de ces guerres barbares
Où les accents du cor et le bruit des fanfares
Epouvantent de loin les hôtes des forêts.
Paissez, jeunes chevreuils ; sous vos ombrages frais,
Oiseaux, ne craignez rien : ces chasses innocentes
Ont pour objet les fleurs, les arbres et les plantes,
Et des prés, et des bois, et des champs, et des monts,
Le portefeuille avide attend déjà les dons.
On part : l'air du matin, la fraîcheur de l'aurore,
Appellent à l'envi les disciples de Flore.
Jussieu marche à leur tête ; il parcourt avec eux
Du règne végétal les nourrissons nombreux.
Pour tenter son savoir, quelquefois leur malice
De plusieurs végétaux compose un tout factice.
Le sage l'aperçoit, sourit avec bonté,
Et rend à chaque plant son débris emprunté.
Chacun dans sa recherche à l'envi se signale :
Etamine, pistil, et corolle, et pétale,
On interroge tout. Parmi ces végétaux,
Les uns vous sont connus, d'autres vous sont nouveaux ;
Vous voyez les premiers avec reconnaissance,
Vous voyez les seconds des yeux de l'espérance ;
L'un est un vieil ami qu'on aime à retrouver,
L'autre est un inconnu que l'on doit éprouver,
Et quel plaisir encor, lorsque des objets rares,
Dont le sol, le climat, et le ciel sont avares,
Rendus par votre attente encor plus précieux,
Par un heureux hasard se montrent à vos yeux !…
Mais le besoin commande : un champêtre repas,
Pour ranimer leur force a suspendu leurs pas ;
C'est au bord des ruisseaux, des sources, des cascades ;
Bacchus se rafraîchit dans les eux des Naïades.
Des arbres pour lambris, pour tableaux l'horizon,
Les oiseaux pour concerts, pour table le gazon ;
Le laitage, les œufs, l'abricot, la cerise,
Et la fraise des bois que leurs mains ont conquise,
Voilà leurs simples mets : grâce à leurs doux travaux
Leur appétit insulte à tout l'art des Méots.
. . . . . . . . . . . . . .
Leurs discours ne sont pas tous ces riens si vantés,
Par la mode introduits, par la mode emportés,
Mais la grandeur de Dieu, mais sa bonté féconde,
La nature immortelle et les secrets du monde.
La troupe enfin se lève : on vole de nouveau
Des bois à la prairie, et des champs au coteau,
Et le soir, dans l'herbier, dont les feuilles sont prêtes,
Chacun vient en triomphe apporter ses conquêtes.
Delille2.
Vers concernés : chant 3, vers 410-438, 445-454 et 457-464
Sans craindre de rompre l'alternance des rimes masculines et féminines, Pérennès s'autorise ici deux coupes marquées par des points de suspension. La première concerne les vers 439 à 444 (la pervenche découverte par Rousseau) et la seconde un distique, les vers 455 à 456. Ces coupes peuvent être qualifiées de “pudiques” : les vers supprimés mentionnent respectivement la “maîtresse” que Rousseau “adore” (v. 444) et l'éternelle beauté de la déesse Cybèle. Ces éléments auront été jugés trop charnels pour trouver leur place dans une anthologie chrétienne.
Auteur de la page — Timothée Léchot 2018/09/26 19:41
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/16 22:54