Cette traduction anglaise de L’Homme des champs est publiée à Londres dès 1801, avec un titre – The Rural Philosopher – qui place le poème de Delille dans la lignée des “philosophes” des Lumières1, et l’ajout d’un sous-titre – a didactic poem – qui le rattache plus fermement au genre didactique que l’original français2.
Même si Delille se trouve encore à Londres en 1801, Maunde ne donne aucune indication sur d'éventuels échanges avec lui.
Maunde ne prend la parole que dans une dédicace et un bref avertissement liminaires.
Dans le premier texte, il dédie son travail au juriste, parlementaire et écrivain James Bland Burgess (1752-1824), qu’il salue comme “a warm patron of literature, a poet of eminence and a skilful agriculturist3”.
L’avertissement est essentiellement un appel à l’indulgence, pour un texte que Maunde présente comme sa première tentative de traduction. Mais ce propos présente deux autres remarques dignes d’intérêt. D’une part, Maunde fait de la poésie didactique un genre particulièrement aride, et dès lors difficile à traduire. D’autre part, il souligne que certaines parties de L’Homme des champs sont en elles-mêmes des imitations de “certains de nos meilleurs poètes britanniques”, de sorte que sa traduction doit rivaliser, non seulement avec l’œuvre française, mais avec le souvenir que ses lecteurs auront des passages de Pope, Goldsmith, Thomson, etc., que Delille a transposés :
The translation of Poetry from one language into another, at the best of times an arduous undertaking, has been here in some instances peculiarly such. Independently that didactic poems are of all others the dullest, and consequently requiring much labour to make them, in any degree, pleasing, the Translator has found in the original of the following work whole passages literally taken from some of the best of our British Poets ; as from Pope's Windsor Forest, Goldsmith's Deserted Village, Denham's Cooper's Hill, Thomson's Seasons, and Shenstone's Schoolmistress, in the first Canto ; and in the fourth again from Pope's Essays on Criticism. For these passages, therefore, the Translator must request the Critic's indulgence ; in all others he by no means wishes to deprecate a candid and impartial examination ; but rather desires that, after this, his first attempt, he may have certain beacons held out to him by the hand of skill and experience, by which he may hereafter learn to direct his course, if again he should venture upon a similar voyage4.
Maunde traduit avec application tous les éléments de l’édition de 1800 et, dans les quatre chants, il opte pour des décassyllabes à rimes suivies. Or cette forme très contraignante, quoiqu’elle semble proche de l’alexandrin français, constitue en anglais un choix plus conservateur et surtout très artificiel, puisque la métrique anglaise ne compte pas des syllabes mais des pieds, dont le repérage est fondé sur la répartition des accents et des longueurs vocaliques. Ce cadre métrique ne permet guère à Maunde de transposer pour un public anglais les jeux rythmiques et sonores de l’original, alors même qu’il le force à altérer ponctuellement le contenu et le sens du texte. Le résultat est donc assez terne, d’autant que le traducteur semble ne pas avoir toujours compris le texte d’origine – ce que noteront certains des comptes rendus que son travail suscite dans la presse.
On peut en juger en examinant la manière dont Maunde rend le morceau très admiré relatif au grain de sable (chant 3, vers 201-220) :
Yet ere we quit the mountain and the plain,
Of broken marble take the lightest grain ;
In rich memorial from its veins are shewn
The varied ages that its form has known ;
Rais'd from deposits of the living world,
By Ruin's self 'twas into being hurl'd.
To shape its form, cemented by the tide,
What races fell, what generations died !
How long the sea upon its substance press'd !
How oft the waves have roll'd it in their breast !
Of old, descending to his steepy bed,
The ocean left it on the mountains’ head ;
Again the tempest to the ocean bore,
Again the ocean threw it on the shore,
In change succeeding change ; thus worn by age,
It stood the billows' and the whirlwinds' rage.
The rise of worlds within this marble read ;
This marble was a rock ; the rock a seed,
Offspring of time, of sea, of air, and land,
Modest coeval of these mountains grand5 !
La traduction semble s’attacher à ne pas dépasser le nombre de vers original. Mais malgré sa tentative de conserver a minima les anaphores présentes dans le texte source, Maunde ne parvient pas à reproduire sa musicalité (ainsi, le jeu allitératif employé dans “Composé des dépôts de l’empire animé” disparaît entièrement dans “Rais'd from deposits of the living world”). Là où Delille débute par la transition « Mais, sans quitter vos monts et vos vallons chéris », pour souligner que la nature la plus modeste peut offrir des aperçus aussi sublimes que les plus hauts reliefs, Maunde élimine le possessif et traduit, plus platement et à la limite du contre-sens, par « Yet ere we quit the mountain and the plain » (c’est-à-dire mais avant de quitter la montagne et la plaine). Plus loin, sa quête de densité le conduit à rendre « Ce marbre fut un roc, ce roc n’est plus qu’un grain » par un vers où l’absence de reprise du verbe au présent (« This marble was a rock ; the rock a seed ») et la traduction de grain par seed rend le propos incompréhensible (retraduit, le vers donnerait “Ce marbre fut un roc ; ce roc une graine”). Enfin, le dernier vers, “L’histoire de ce grain est l’histoire du monde”, qui sert de pointe au passage, est éliminé.
Les notes en prose sont mieux loties que les vers. Maunde ne procède qu'à quelques simplifications mineures. Il ne conserve pas les indications signalant que certaines remarques sont dues à Delille (ainsi, la mention « Note de l’auteur » qui clôt les notes 21 et 22 dans l’original n’est pas traduite). Il fusionne le contenu des notes 26 à 28, qui est bien repris mais ne forme plus qu’une seule entrée. Plus loin, alors que la note française 31, “C’est la tortue ou le tatou”, marque une hésitation du commentateur face à la périphrase qui évoque un animal “dont la coquille est arrondie en voûte”, la version de Maunde ne garde que la première option et tranche : “This is the tortoise6”. Enfin, la note 8, où Delille avertit qu’un de ses vers imite un autre écrivain, est effacée, puisque l’emprunt n’est plus sensible dans une traduction.
En matière de paratexte, la seule innovation importante de Maunde consiste à introduire, en haut de chaque page de vers, un titre détaillant les contenus abordés par Delille, ce qui, pour le chant 3, donne la liste suivante :
La traduction de Maunde a fait l'objet de plusieurs recensions. Elles signalent l'intérêt de la critique anglaise pour L'Homme des champs et elles ont pu être l'occasion de nouveaux commentaires sur le poème de Delille :
Le texte lui-même a par ailleurs connu une certaine fortune éditoriale :
Dès 1804, une nouvelle édition en fut publiée aux États-Unis7, et une annonce de libraire parue en 1806 dans le Monthly Magazine permet d'établir que deux formats distincts du texte, “small paper” ou “fine paper”, circulèrent en Grande-Bretagne8.
Enfin, l'intégralité de la traduction fut reprise en 1856 dans une anthologie américaine de poèmes évoquant la campagne, The Rural Poetry of the English Language.
Auteur de la page — Hugues Marchal 2017/04/29 15:55
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/07 10:18