La traduction en langue allemande de Müller de 1801, Der Landmann, suscite une critique mitigée, anonyme, dans la Neue Bibliothek der schönen Wissenschaften und der freyen Künste1. Fait notable, dans le périodique cet article suit immédiatement une recension, elle-même critique, de l'original.
Même si le journaliste avoue que Müller fait preuve d'esprit, il déplore une perte de la signification et reproche à sa traduction malheureuse une versification maladroite. Il suppose donc que Müller a réalisé ce travail dans un délai trop court.
Comme tous les extraits des vers de Delille convoqués dans les pages précédentes sont présentés en français, sans traduction en allemand, il semble que le journaliste estime que ses lecteurs allemands maîtrisent certainement le français à un haut niveau. Dans ce sens, sa critique de la traduction de Müller s'adresse elle-même à un public érudit, qui saura comparer l'original et sa transposition par Müller.
Dans un registre similaire à son compte rendu de L'Homme des champs de Delille, l'auteur manifeste peu d'enthousiasme : la traduction ne mérite pas d'“applaudissements inconditionnés2”. Certes, Müller a travaillé avec “esprit et amour”, mais il n'arrive pas à rivaliser avec l'original. La traduction crée, d'une part, une perte de sens, due à un manque de précision3. D'autre part, Müller ne semble pas avoir réussi une transposition cohérente de la versification et des figures. Faute de reproduire les antithèses souvent présentes à l'intérieur des alexandrins, ses vers perdent de leur force, néanmoins présente en français.
Afin d'étayer ce jugement, l'auteur choisit de citer sa transposition de la description des Alpes et des effets néfastes des avalanches – un texte qu'il avait déjà donné, en français, dans l'article portant sur l'œuvre de Delille. Les vers originaux ne sont donc pas repris.
Die Beschreibung der Alpengegend, die wir oben im Original mitgetheilt haben, mag hier zur Probe stehn4 :
Hier, noch bescheiden aus der Wiege tretend,
Schleicht furchtsam hin ein Bach in dünnen Fäden,
Und dort stürzt schäumend sich mit wildem Toben
herab der Wasserfall. - hier scherzt der Zephyr,
Dort tobt der Nordsturm : da erblicket ihr
vereint Vulkan und Weinberg', und der Donner
mischt sein Gebrüll zum Ton der Hirtenflöte.
Hier dehnt ein muntres Thal sich fruchtbar hin,
Und dort starr'n Felsen erdelos empor,
Der alten Welt Gebeine ; ihren Fuss
Bedeckt der Frühling und ihr Haupt der Winter.
Dich grüsst mein Lied furchtbarer Montanverts,
Prachtvoller Jura, ungeheure Schichten
Von Schnee und Eis, formlose Säulenreihen
Des Wintertempels ! schimmernde Prismaten,
Die, spottend selbst der Sonne, die sie färbt,
Durch Gold und Purpur ihren Glanz erhöhen !
Indess, auf seinem Eisthron triumphirend,
Der Winter stolz sich freut, wie das Gestirn
Des Tag's verschönert seines Hofes Sitz5 !
Den ebenfalls oben angeführten Schluss der Beschreibung des Ruins, welchen die Lavinen bisweilen in Alpengegenden hervorbringen, hat der deutsche Übersetzer so nachgebildet6 :
Es sinken Dörfer, Wälder stürzen nieder,
Und grosser Städte Platz sucht man umsonst.
Ja selbst der ferne Wind der sinkenden
Gebirge stürzt den Wandrer ungetroffen
Darnieder. So erzeugen Greuel immer
Durch neue Greu'l gemehret stufenweis
Des Staates Elend, bis von Unglück sinkend
Zu Unglück nun sein Sturz vollendet ist !
Wo sucht der Blick jetzt Thrus, Theben, Rom !
O Frankreich ! Vaterland ; du Wohnplatz bittrer Schmerzen,
Mein Auge weint dir zu aus gramerfüllten Herzen7.
L'exemple n'est pas mal choisi. À la différence du texte de Delille, ces vers ne riment pas et les antithèses récurrentes de l'original sont étalées sur plusieurs vers, de sorte que Müller n'arrive pas à reproduire la richesse poétique de son modèle. Ainsi, le distique
Vous y voyez unis des volcans, des vergers,
Et l'echo du tonnere, et l'echo des bergers ;
devient
[…] da erblicket ihr
vereint Vulkan und Weinberg', und der Donner
mischt sein Gebrüll zum Ton der Hirtenflöte.
Müller mobilise donc presque trois vers et surtout, il élimine les allitérations “vous”, “voyez”, “volcans” et “vergers”. En outre, alors que chez Delille, l'écho est quasiment matérialisé et du coup rendu palpable par la répétition du mot, Müller ignore ce jeu et efface jusqu'au concept d'écho, en parlant d'un “mugissement” (Gebrüll) du tonnerre, qui, selon lui, se rajoute au “son” de la flûte du berger.