L'imprimeur et l'éditeur bâlois Decker maîtrisant le marché des publications germanophones annonce en juin 1800 aux lecteurs allemands en place privilégiée - il s'agit du premier article du journal - l'imminente publication du prochain chef d'œuvre de Delille, L'Homme des champs1. Cela indique le grand intérêt que suscitent les travaux de Delille et fournit des informations précieuses quant à la réception des œuvres de Delille en langue allemande. Depuis trois ans, le public a pu jeter des coups d'œil dans le texte à travers des extraits du poème et, accentué par la publication retardée, les attentes grandissent. Cependant, le repoussement de la publication a permis au poète d'améliorer davantage ses vers, ce que souligne l'éditeur.
Comme c'est une véritable annonce, Decker explique aux lecteurs les différents éditions à paraître: à part d'une “Prachtausgabe”, une édition de luxe accompagnée de quatre cuivres pour le prix de vingt reichsthalers (rthls.)2, onze différentes publications sont en cours d'élaboration. Decker précise toutes les différentes éditions ainsi que leurs prix respectifs. Ainsi, les publications in-octavo grand coûtent de trois à cinq rthls., celles in-octavo petit de 18 groschen (gr.) à quatre rthls. et les éditions en 18 sont abordables de 16 gr. à quatre rthls. et 12 gr. Cette large panoplie en éditions variées indique les attentes élevées de Decker quant à une forte demande des lecteurs par rapport aux vers de Delille. Cette offre abondante s'explique aussi par une zone de diffusion très large, car Decker compte couvrir l'Allemagne, le Nord et la Suisse. Ces régions constituent donc un marché économique très intéressant pour l'éditeur et ceci d'autant plus à cause d'une partie du public visé, les émigrés de la France dont une grande partie se trouve alors dans la région de Hambourg.
En tant que bon vendeur, Decker met en valeur l'édition de luxe qui sera accompagné de quatre cuivres, chacun illustrant un chant3. En fait, Decker identifie les beaux vers de chaque chant afin de séduire les lecteurs-acheteurs. Le fait que l'éditeur choisit la citation la plus longue pour le troisième chant ne semble pas être dû au hasard. Plutôt, il essaie de convaincre son public avec le fameux passage-clé de l'herborisation avec la participation de Jussieu4. D'ailleurs, Decker calme les lecteurs attendants l'édition de luxe qui sera finalisée qu'en fin d'année 1800 en leur offrant des autres éditions gratis, prêtes auparavant et bon marché.
Afin d'expliquer aux lecteurs la gravure en cuivre accompagnant l'édition luxueuse, ces vers du chant trois suivent la description de l'image. Ce passage illustre l'exercice de la botanique et il est connu sous son titre inofficiel d'herborisation.
3. Jussieu, welcher nach einer botanischen Excursion mit seinen Schülern im Walde das Mittagsmahl verzehrt.
Mais le besoin commande: un champêtre repas.
Pour ranimer leur force, a suspendu leurs pas;
C'est au bord des ruisseaux, des sources, des cascades.
Bacchus se rafraîchit dans les eaux des Nayades.
Des arbres pour lambris, pour tableaux l'horizon,
Les oiseaux pour concert, pour table le gazon!
Le laitage, les oeufs, l'abricot, la cerise,
et la fraise des bois, que leurs mains ont conquise,
Voilà leurs simples mets: grâce à leurs doux travaux,
Leur appétit insulte à tout l'art des Méots.
On fête, on chante Flore, et l'antique Cybèle,
Eternellement jeune, éternellement belle.
Leurs discours ne sont pas tous ces riens si vantés,
Par la mode introduits, par la mode emportés;
Mais la grandeur d'un Dieu, mais sa bonté féconde,
La nature immortelle et les secrets du monde5.
Cet extrait est quasiment identique au texte de l'édition de 1805 ce qui semble évident car on se trouve peu de temps avant la première publication en 1800. Decker semble avoir choisi cet extrait pour annoncer L'Homme des champs pour sa grande qualité poétique capable à séduire les lecteurs-acheteurs.
Vers concernés : chant 3, vers 445-460
Auteur de la page — Franziska Blaser 2017/05/28 22:43