Publiée en 1839 chez un éditeur dont le catalogue compte de nombreux ouvrages chrétiens, la Botanique à l'usage de la jeunesse connaît de nombreuses éditions au fil du siècle. Son auteur, Mme Bonnat, se présente comme la supérieure d'un pensionnat catholique et non comme une spécialiste de botanique. Elle justifie cette entreprise de vulgarisation dans une adresse préliminaire à ses élèves, qui mêle étroitement connaissance de la nature et édification religieuse, et qui fait de l'étude des plantes une distraction heureuse et aimable, au regard de disciplines comme la grammaire ou les mathématiques :
Devenue pour vous une nouvelle mère, et chargée de vous enseigner la route du bonheur, j'ai cru répondre aux vues de la Providence en vous développant ses bienfaits, en vous faisant remarquer que tous les objets créés doivent nous ramener vers Dieu, et que nous trouvons de véritables jouissances à en admirer les moindres particularités. Mon intention n'est cependant pas de vous offrir un traité de morale, encore moins de vous effrayer par une étude scientifique, que vous accueilleriez mal au milieu des difficultés grammaticales qui déjà vous fatiguent. Je ne me propose que de vous distraire utilement, et de faire succéder à la triste analyse et au sérieux problème un extrait de la science la plus intéressante pour votre âge, de celle qui vous offre des fleurs à cultiver, des fruits à recueillir.
Ces NOTIONS DE BOTANIQUE ne sont point le résultat de mon expérience ; j'aurais craint de vous égarer en suivant mes propres lumières ; j'ai préféré suivre celle des maîtres qui m'ont devancé [sic], et j'aime à leur en faire hommage. Il serait trop long d'énumérer ici tout ce que j'ai emprunté aux auteurs que j'ai consultés ; je ne pourrai pas le faire davantage dans le cours de ces notes, ayant entremêlé leurs pensées ; mais je me fais un devoir de vous indiquer leurs ouvrages1 ; et lorsque vous saurez apprécier le charme d'une étude qui nous ouvre un livre universel et nous procure sans cesse de nouvelles jouissances, vous pourrez, selon les localités et vos dispositions particulières, consulter ces hommes savants, et recueillir près d'eux des trésors de connaissances aussi précieuses qu'agréables2.
Selon un procédé fréquent au 19e siècle, le volume se divise en deux parties principales.
La pédagogue puise dans le chant 3 de L'Homme des champs une longue citation relative à l'herborisation, qu'elle ne place pas dans sa section “Botanique littéraire”, mais au seuil de sa section “Botanique amusante”, de sorte que ces vers font transition entre les deux parties de l'ouvrage.
BOTANIQUE AMUSANTE.
Le Bouquet.
Toutes les leçons un peu graves sont terminées, mes jeunes amies ; je ne veux plus vous offrir que des fleurs, en couronner vos fronts et récompenser par là votre application et vos succès. […] Cueillez-les donc, chères élèves, jouissez des trésors qu'un tendre Père met à votre disposition ; tressez des guirlandes, choisissez vos couronnes ; mais veillez surtout à ce que ces dernières ne se flétrissent pas entre vos mains.
Pour moi, qui vais bientôt quitter la plume et renoncer au plaisir de vous instruire, je veux, avant de vous dire adieu, vous donner aussi mon bouquet. Je l'offre à chacune de vous et désire que l'Auteur de la nature trouve imprimés dans vos cœurs la candeur du lis, la beauté de la rose, la constance de l'immortelle, la simplicité de l'églantine, les agréments de l'œillet, et surtout la modestie de la violette.
–
L'Herborisation.
Le jour vient, et la troupe arrive au rendez-vous.
Ce ne sont point ici de ces guerres barbares
Où les accents du cor et le bruit des fanfares
Epouvantent de loin les hôtes des forêts.
Paissez, jeunes chevreuils, sous vos ombrages frais ;
Oiseaux, ne craignez rien ; ces chasses innocentes
Ont pour objets les fleurs, les arbres et les plantes ;
Et des près et des bois, et des champs et des monts,
Le portefeuille avide attend déjà les dons.
On part : l'air du matin, la fraîcheur de l'aurore,
Appellent à l'envi les disciples de Flore.
Jussieu marche à leur tête ; il parcourt avec eux
Du règne végétal les nourrissons nombreux.
Pour tenter leur savoir, quelquefois leur malice,
De plusieurs végétaux compose un tout factice.
Le sage l'aperçoit, sourit avec bonté,
Et rend à chaque plant son débris emprunté.
Chacun dans sa recherche à l'envi se signale ;
Etamine, pistil, et corolle, et pétale,
On interroge tout. Parmi ces végétaux,
Les uns vous sont connus ; d'autres vous sont nouveaux
Vous voyez les premiers avec reconnaissance ;
Vous voyez les seconds des yeux de l'espérance.
L'un est un vieil ami qu'on aime à retrouver ;
L'autre est un inconnu que l'on doit éprouver.
Et quel plaisir encor, lorsque des objets rares,
Dont le sol, le climat et le ciel sont avares,
Rendus par votre attente encore plus précieux,
Par un heureux hasard se montrent à vos yeux !
……………………………………
Mais le besoin commande un champêtre repas
Pour ranimer leur force, et suspendre leurs pas.
C'est au bord des ruisseaux, des sources, des cascades ;
Bacchus se rafraîchit dans les eaux des Naïades.
Des arbres pour lambris, pour tableaux l'horizon,
Les oiseaux pour concerts, pour table le gazon.
Le laitage, les œufs, l'abricot, la cerise,
Et la fraise des bois, que leurs mains ont conquise.
Voilà leurs simples mets ; grâce à leurs doux travaux,
Leur appétit insulte à tout l'art des Méots.
On fête, on chante Flore et l'antique Cybèle,
Eternellement jeune, éternellement belle.
Leurs discours ne sont pas tous ces riens si vantés,
Par la mode introduits, par la mode emportés ;
Mais la grandeur d'un Dieu, mais sa bonté féconde,
La nature immortelle et les secrets du monde.
La troupe enfin se lève ; on vole de nouveau
Des bois à la prairie et des champs au coteau ;
Et le soir, dans l'herbier, dont les feuilles sont prêtes,
Chacun vient en triomphe apporter ses conquêtes.
Delille.
L'Herbier.
Au premier coup-d'œil rien ne paraît facile comme la conservation des plantes desséchées ; et cependant rien n'est plus rare que de trouver un herbier en bon état. Il exige beaucoup de soins, non-seulement pour son arrangement, mais encore pour le préserver des attaques des insectes destructeurs. L'amateur ne doit jamais se lasser de le visiter et de réparer tous les mois au moins les dégâts qu'ils pourraient y avoir faits3.
Vers concernés : chant 3, vers 410-438 et 445-464.
La coupure pratiquée par Mme Bonnat révèle son souci des bonnes mœurs : les sept vers omis, qui correspondent à l'évocation de la pervenche de Rousseau, se terminent par une allusion aux amours d'un amant pour sa maîtresse, allusion dont la conservation aurait été impensable dans un traité d'éducation chrétienne…
Lefort publiera plus tard une version remaniée de cet ouvrage, Le Jeune Botaniste, où, comme le titre l'indique, Bonnat s'adresse cette fois aux enfants des deux sexes. Très condensé, ce petit volume ne conserve guère que les sections de botanique “littéraire” et “amusante” de l'original, et, sans doute pour des raisons de taille, les vers de Delille n'y figurent plus.