kraanelitterature

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kraanelitterature [2019/06/27 13:33] Hugues Marchalkraanelitterature [2023/04/01 12:06] (Version actuelle) – [Des vers hommages] Hugues Marchal
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 ===== Présentation de l'œuvre ===== ===== Présentation de l'œuvre =====
  
-//La Littérature française// est un "poëme en quatre chants" du Hollandais Jan Hendrik Kraanepublié à Leyde en 1804. Ce **panorama critique et historique versifié** contient un **hommage appuyé à Delille**, « nouvel Amphion » revenu en France pour y restaurer l’harmonie sociale et les lettres[(Voir Jan Hendrik Kraane, //La Littérature française, poëme en quatre chants//, Leyde, Murray, 1804, p.103-107.)]. Surtout, l'auteur néerlandais se targue fièrement, dans sa préface, de l'aval du poète, à qui il a soumis son œuvre. Quoique ce dernier y émette aussi des réserves sur le peu de novation des "idées", Kraane cite une lettre, non datée, dans laquelle Delille le félicite pour la correction de son expression:+//La Littérature française// est un "poëme en quatre chants", composé en français par le Hollandais [[kraane|Jan Hendrik Kraane]] et publié à Leyde en 1804. Ce **panorama critique et historique versifié** contient un **hommage appuyé à Delille**, "nouvel Amphionrevenu en France pour y restaurer l’harmonie sociale et les lettres[(Voir Jan Hendrik Kraane, //La Littérature française, poëme en quatre chants//, Leyde, Murray, 1804, p. 103-107.)]. Surtout, l'auteur néerlandais se targue fièrement, dans sa préface, de l'aval du poète, à qui il a soumis son œuvre. Quoique ce dernier y émette aussi des réserves sur le peu de novation des "idées", Kraane cite une lettre, non datée, dans laquelle Delille le félicite pour la correction de son expression(nbsp):
  
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 Monsieur, Monsieur,
-\\ J’ai été privé du plaisir de lire moi-même votre ouvrage par la perte presqu'entière de ma vue: ce même inconvénient me prive également de l’avantage de vous répondre moi-même: j’ai employé la main de l’amitié. J’ai entendu avec intérêt la lecture de votre ouvrage; je vous en parlerai avec franchise. Celui de mes amis avec qui j’ai fait cette lecture a été surpris, comme moi, de la correction & de la pureté de votre stile. Ainsi vous êtes sûr du choix de vos expressions & de vos tournures; peut-être celui des idées n'est-il pas aussi heureux. Mon ami les aurait voulu quelquefois plus piquantes & plus neuves: j’oserais aussi desirer dans l’exécution totale un peu plus de mouvement. Pardonnez, Monsieur! une franchise que vous avez réclamée. Cette modestie ne vous honore pas moins que vos vers; en poésie comme en religion, c'est celui qui cherche la vérité qui fait son salut. Recevez, je vous prie, l’expression de ma reconnoissance & de l’estime bien sincère avec lesquelles j’ai l’honneur d’être,+\\ J’ai été privé du plaisir de lire moi-même votre ouvrage par la perte presqu'entière de ma vue(nbsp): ce même inconvénient me prive également de l’avantage de vous répondre moi-même(nbsp): j’ai employé la main de l’amitié. J’ai entendu avec intérêt la lecture de votre ouvrage(nbsp); je vous en parlerai avec franchise. Celui de mes amis avec qui j’ai fait cette lecture a été surpris, comme moi, de la correction & de la pureté de votre stile. Ainsi vous êtes sûr du choix de vos expressions & de vos tournures(nbsp); peut-être celui des idées n'est-il pas aussi heureux. Mon ami les aurait voulu quelquefois plus piquantes & plus neuves(nbsp): j’oserais aussi desirer dans l’exécution totale un peu plus de mouvement. Pardonnez, Monsieur(nbsp)! une franchise que vous avez réclamée. Cette modestie ne vous honore pas moins que vos vers(nbsp); en poésie comme en religion, c'est celui qui cherche la vérité qui fait son salut. Recevez, je vous prie, l’expression de ma reconnoissance & de l’estime bien sincère avec lesquelles j’ai l’honneur d’être,
 \\ Monsieur, \\ Monsieur,
-\\ Votre très-humble & très-obéissant Serviteur[(//Id//., p. !!vi-vii!!.)]+\\ Votre très-humble & très-obéissant Serviteur[(//Id//., p. !!vi-vii!!. Kraane reviendra sur cet épisode dans un opuscule justificatif sur son poème : "M. Delille a répété plusieurs fois à celui de mes amis, qui lui a présenté mon ouvrage, & me l'a écrit, qu'il était étonné de la correction de mon style" (J. H. Kr[aane], //Amende honorable, pour le poëme ridicule, amphigourique, fade, […] etc., intitulé La Littérature française//, Leyde, 1804, p. 6).)].
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-Deux autres éléments renforcent les liens entre Kraane et Delille. D'une part, Kraane **attaque violemment son compatriote Bilderdijk**, auteur un an plus tôt d'une [[bilderdijkhetbuitenleven|traduction]] de //L'Homme des champs// remplie de remarques peu amènes pour ce texte et son auteur. D'autre part, les vers mêmes de Kraane incluent des **reprises de certains vers du même poème français**.+Deux autres éléments renforcent les liens entre Kraane et Delille. D'une part, son œuvre même inclut des **reprises de certains vers du même poème français**. D'autre part, il **attaque violemment son compatriote Bilderdijk**, auteur un an plus tôt d'une [[bilderdijkhetbuitenleven|traduction]] de //L'Homme des champs// remplie de remarques peu amènes pour ce texte et son auteur. 
      
 ===== Des vers hommages ===== ===== Des vers hommages =====
  
-Dans son éloge en vers de Delille, qui ouvre le dernier chant du poème, Kraane l'apostrophe comme "[s]on maître" en mimant un des tours de //L'Homme des champs//[(Sa formule "Ô Delille! ô mon maître!" (p.103) est un calque d'une expression du chant4 de //L'Homme des champs//, "Ô Virgile! ô mon maître!")]. Puis il procède à **plusieurs emprunts explicites**. Il cite, entre guillemets et en italiques, en l'adaptant légèrement, un vers du premier chant[("//Qui fait aimer les champs fait aimer les vertus//" (p.105), là où Delille écrit "la vertu".)] et il indique à Delille, employant un autre extrait, marqué cette fois seulement par des italiques:+Dans son éloge en vers de Delille, qui ouvre le dernier chant du poème, Kraane l'apostrophe comme "[s]on maître" en mimant un des tours de //L'Homme des champs//[(Sa formule "Ô Delille(nbsp)! ô mon maître(nbsp)!" (//La Littérature française//, p.(nbsp)103) est un calque d'une expression du chant(nbsp)4 de //L'Homme des champs//, "Ô Virgile(nbsp)! ô mon maître(nbsp)!")]. Puis il procède à **plusieurs emprunts explicites**. Il cite, entre guillemets et en italiques, en l'adaptant légèrement, un vers du premier chant[("//Qui fait aimer les champs fait aimer les vertus//" (p.(nbsp)105), là où Delille écrit "la vertu".)] et il indique à Delille, employant un autre extrait, marqué cette fois seulement par des italiques(nbsp):
  
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 Tantôt le Dieu des mers frappant l'humide masse, Tantôt le Dieu des mers frappant l'humide masse,
 \\ Et des flots bondissants écartant la surface, \\ Et des flots bondissants écartant la surface,
-\\ S'empresse de te voir… tu lui dis ses secrets (*)+\\ S'empresse de te voir… tu lui dis ses secrets (*)(nbsp)
-\\ Comment à ses horreurs il mêle ses bienfaits+\\ Comment à ses horreurs il mêle ses bienfaits(nbsp)
-\\ Comment il bouleverse & partage les mondes;+\\ Comment il bouleverse & partage les mondes(nbsp);
 \\ Comme il bâtit les monts, //lents ouvrages des ondes//. […] \\ Comme il bâtit les monts, //lents ouvrages des ondes//. […]
  
-(*) Voyez le troisième chant des Géorgiques françaises[(//Id//, p. 105-106.)].+(*) Voyez le troisième chant des Géorgiques françaises[(//Id//., p. 105-106.)].
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-Vers concernés : [[chant3#v316|chant 3, vers 316]].+Vers concernés : [[chant3#v316|chant 3, vers 316]]
  
 Le tour est à nouveau légèrement adapté, puisque Delille écrit "de l'onde". Le tour est à nouveau légèrement adapté, puisque Delille écrit "de l'onde".
  
-Un sondage révèle toutefois la présence ultérieure, sous la plume de Kraane, d'**au moins un emprunt non signalé** au chant\ 3 //L'Homme des champs//. En effet, alors que le poète hollandais s'interroge, de manière assez satirique, sur les errances d'un homologue français vieillissant, qu'il ne nomme pas, mais qui est Mercier[(La note 9 le confirme.)], une formule de Delille sur le sublime des vestiges devient un appel à respecter le grand âge[(//Id//., p. 122.)]:+Un sondage révèle toutefois la présence ultérieure, sous la plume de Kraane, d'**au moins un emprunt non signalé** au chant\ 3 //L'Homme des champs//. En effet, alors que le poète hollandais s'interroge, de manière assez satirique, sur les errances d'un homologue français vieillissant, Mercier[(La note 9 le confirme.)], une formule de Delille sur le sublime des vestiges devient un appel à respecter le grand âge[(//Id//., p. 122.)](nbsp):
  
 {{::kraane.png?500|}} {{::kraane.png?500|}}
  
-Vers concernés : [[chant3#v036|chant 3, vers 36]].+Vers concernés : [[chant3#v036|chant 3, vers 36]]
  
 Ici, le vers "Des ravages du temps…" est directement tiré du texte de Delille. Vu les éléments exposés plus haut, il faut à notre sens aborder cette reprise comme un autre hommage, et non un plagiat. Si Kraane en change le sens en modifiant le contexte, il table probablement sur l'aptitude de ses lecteurs à y reconnaître **un jeu intertextuel**. Ici, le vers "Des ravages du temps…" est directement tiré du texte de Delille. Vu les éléments exposés plus haut, il faut à notre sens aborder cette reprise comme un autre hommage, et non un plagiat. Si Kraane en change le sens en modifiant le contexte, il table probablement sur l'aptitude de ses lecteurs à y reconnaître **un jeu intertextuel**.
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 Kraane avoue d'abord s'interroger vainement sur les motifs qui ont poussé ce dernier à traduire le texte, et à nourrir par ce biais son propre "renom[(//Id.//, p. 223.)]", si l'original lui semblait si mauvais. Kraane avoue d'abord s'interroger vainement sur les motifs qui ont poussé ce dernier à traduire le texte, et à nourrir par ce biais son propre "renom[(//Id.//, p. 223.)]", si l'original lui semblait si mauvais.
  
-Puis, écartant les critiques de Bilderdijk sur le plan, au motif que cette organisation avait déjà été discutée en France, il déplore le ton moqueur de son compatriote, auteur **dans ses notes** de multiples "petits coups de patte[(//Id.//, p. 224.)]" qui ne méritent pas moins d'ironie. Kraane salue ainsi le "génie" qui a permis au Hollandais de se juger digne d'évaluer le style de Delille, position "ridicule[(//Ibid.//)]". Il raille la manière dont certains vers innocents lui offrent l'occasion, en note, de "dire des grossièretés" à tous les Français[(//Id.//, p. 225.)] et il moque l'acharnement du "dévot traducteur" à trouver chez Delille des blasphèmes, tout en laissant libre cours à "son aigreur & sa jalousie[(//Id.//, p. 230.)]", pour entasser "critiques misérables", "chicanes insignifiantes" et "plaisanteries déplacées[(//Id.//, p. 235.)]". Kraane termine donc ce premier parcours en se félicitant que Delille ne lise pas le hollandais, pour l'honneur de ses compatriotes qui jouissent encore "d'une bonne réputation chez l'étranger au sujet de [leur] urbanité & de [leur] politesse", mais tomberaient "dans le plus grand discrédit, si tout le monde savait à quel point de démence est chez [eux] la démangeaison d'être impunément insolent, & l'envie extrême de critiquer tout, tant bien que mal[(//Id.//, p. 235-236.)]".+Puis, écartant les critiques de Bilderdijk sur le plan, au motif que cette organisation avait déjà été discutée en France, il déplore le ton moqueur de son compatriote, auteur **dans ses notes** de multiples "petits coups de patte[(//Id.//, p. 224.)]" qui ne méritent pas moins d'ironie. Kraane salue ainsi le "génie" qui a permis à un Hollandais de censurer le style de Delille, position "ridicule[(//Ibid.//)]". Il raille la manière dont certains vers innocents lui ont offert l'occasion, en note, de "dire des grossièretés" à tous les Français[(//Id.//, p. 225.)] et il moque l'acharnement du "dévot traducteur" à trouver chez Delille des blasphèmes, tout en laissant libre cours à "son aigreur & sa jalousie[(//Id.//, p. 230.)]", pour entasser "critiques misérables", "chicanes insignifiantes" et "plaisanteries déplacées[(//Id.//, p. 235.)]". Kraane termine donc ce premier parcours en se félicitant que Delille ne lise pas le hollandais, pour l'honneur de ses compatriotes qui jouissent encore "d'une bonne réputation chez l'étranger au sujet de [leur] urbanité & de [leur] politesse", mais tomberaient "dans le plus grand discrédit, si tout le monde savait à quel point de démence est chez [eux] la démangeaison d'être impunément insolent, & l'envie extrême de critiquer tout, tant bien que mal[(//Id.//, p. 235-236.)]".
  
-Puis Kraane examine **le travail même de la traduction**, où Bilderdijk, sous prétexte de "corrige[r]" l'original, l'altère profondément et, selon luiréduit des passages charmants à des platitudes. Apostrophant son compatriote, Kraane lui soumet un exemple tiré du chant\ 3, en retraduisant vers le français la version de Bilderdijk :+Puis Kraane examine **le travail même de la traduction**, où Bilderdijk, sous prétexte de "corrige[r]" l'original, l'altère selon lui profondément et réduit des passages charmants à des platitudes. Apostrophant son compatriote, Kraane lui soumet un exemple tiré du chant\ 3, en retraduisant vers le français la version de Bilderdijk :
  
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 \\ Le chat guète, s'approche & tombe sur sa proie. \\ Le chat guète, s'approche & tombe sur sa proie.
  
-Vous avez beau dire //facit indignation versus//, tout lecteur impartial sera indigné contre un traducteur qui prend à tâche de falsifier & de gâter les meilleurs morceaux de son original. En effet, n'y a-t-il pas beaucoup d'esprit à mettre le chat en action pour déparer une comparaison qui est très-jolie, & pour critiquer? C'est bien ici le cas de s'écrier, jusqu'où l'orgueil ne nous emporte-t-il pas quand il ne tient plus de mesure[(//Id//., p. 236-237.)]!+Vous avez beau dire //facit indignatio versus//, tout lecteur impartial sera indigné contre un traducteur qui prend à tâche de falsifier & de gâter les meilleurs morceaux de son original. En effet, n'y a-t-il pas beaucoup d'esprit à mettre le chat en action pour déparer une comparaison qui est très-jolie, & pour critiquer(nbsp)? C'est bien ici le cas de s'écrier, jusqu'où l'orgueil ne nous emporte-t-il pas quand il ne tient plus de mesure[(//Id//., p. 236-237.)](nbsp)!
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-Vers concernés : [[chant3#v443|chant 3, vers 443-444]].+Vers concernés : [[chant3#v443|chant 3, vers 443-444]]
  
-Kraane finit alors par le travail de Bilderdijk au passage sur un parterre fleuri d'un serpent qui y aurait laissé "partout les empreintes du fiel qui le rongeait[(//Id//., p. 238.)]"+Cette substitution est également pointée du doigt dans le compte rendu du travail de Bilderdijk publié, en 1803, dans les [[crveldelingbuitenlevenvaderlansche|Algemeene vaderlandsche letter-oefeningen]](nbsp); mais Kraane se montre plus virulent dans ses expressions. Pour lui, Bilderdijk a passé sur le texte de Delille comme un serpent qui y aurait glissé sur un parterre fleuri en laissant "partout les empreintes du fiel qui le rongeait[(//Id//., p. 238.)]"
  
-En conclusion, il affirme regretter d'avoir dû mener une telle charge, au motif que, tous ces éléments mis à part, Bilderdijk a fourni des vers parfaits, faisant honneur à sa langue. Aussi achève-t-il en déclarant son "enthousiasme pour le poète Bilderdijk et [s]on indignation contre le critique Bilderdijk[(//Id//., p. 239.)]".+En **conclusion**, il affirme regretter d'avoir dû mener une telle charge, au motif que, tous ces éléments mis à part, Bilderdijk a fourni des vers parfaits, faisant honneur à sa langue. Aussi achève-t-il en déclarant son "enthousiasme pour le poète Bilderdyk et [s]on indignation contre le critique Bilderdyk[(//Id//., p. 239.)]". 
 +===== Lien externe =====
  
-===== Liens externes ===== +Accès à la numérisation du texte : [[https://books.google.ch/books?id=IM-e074nnFUC|Google Books]].
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-Accès à la numérisation du texte : [[https://books.google.ch/books?id=IM-e074nnFUC|GoogleBooks]].+
  
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 Auteur de la page    --- //[[hugues.marchal@unibas.ch|Hugues Marchal]] 2019/06/27 13:30// Auteur de la page    --- //[[hugues.marchal@unibas.ch|Hugues Marchal]] 2019/06/27 13:30//
 +\\ Relecture --- //[[morgane.tironi@stud.unibas.ch|Morgane Tironi]] 2022/08/18 14:17//