hommedesbois

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 //L'Homme des bois, ou l'homme des champs travesti//, est une longue **parodie** du poème de Delille, publiée dès 1801 par un auteur non identifié, qui signe des initiales [[ps|P. S.]] Cette réécriture « burlesque » et en octosyllabes suit pas à pas son modèle, pour en écorner jusqu’aux plus beaux morceaux. //L'Homme des bois, ou l'homme des champs travesti//, est une longue **parodie** du poème de Delille, publiée dès 1801 par un auteur non identifié, qui signe des initiales [[ps|P. S.]] Cette réécriture « burlesque » et en octosyllabes suit pas à pas son modèle, pour en écorner jusqu’aux plus beaux morceaux.
  
-Mais la préface montre que parodier peut constituer un **hommage**. L’auteur y justifie en effet sa démarche en arguant de l'immense succès de son modèle, et il attaque les critiques qui ont reproché à //L’Homme des champs// un manque de structure. N’est-ce pas un plan, demande-t-il, "que d’avoir pu réunir dans un cadre si étroit, tout ce que la poésie a d’enchanteur, tout ce que l’harmonie a de céleste[(//L’Homme des bois, ou L’Homme des champs travesti, poëme burlesque en quatre chants//, Paris, Barba, 1801, p.!!xxii!!.)]?" Le parodiste donne son propre travail comme gage de cette défense: "si jamais il fut difficile de répandre de la gaieté" sur un texte, estime-t-il, "c’est sans doute sur celui-ci, où tout est grand, sérieux et de la plus grande beauté", et où, "pour dix vers de défectueux, et quelque uniformité dans les tableaux champêtres", on trouve "mille choses charmantes qui rachettent ces légers défauts[(//Id//., p.\  !!xxiv!!.)]".+Mais la préface montre que parodier peut constituer un **hommage**. L’auteur y justifie en effet sa démarche en arguant de l'immense succès de son modèle, et il attaque les critiques qui ont reproché à //L’Homme des champs// un manque de structure. N’est-ce pas un plan, demande-t-il, "que d’avoir pu réunir dans un cadre si étroit, tout ce que la poésie a d’enchanteur, tout ce que l’harmonie a de céleste[(//L’Homme des bois, ou L’Homme des champs travesti, poëme burlesque en quatre chants//, Paris, Barba, 1801, p.(nbsp)!!xxii!!.)](nbsp)?" Le parodiste donne son propre travail comme gage de cette défense(nbsp): "si jamais il fut difficile de répandre de la gaieté" sur un texte, estime-t-il, "c’est sans doute sur celui-ci, où tout est grand, sérieux et de la plus grande beauté", et où, "pour dix vers de défectueux, et quelque uniformité dans les tableaux champêtres", on trouve "mille choses charmantes qui rachettent ces légers défauts[(//Id//., p.(nbsp)!!xxiv!!.)]".
  
 ===== Le chant 3 revisité ===== ===== Le chant 3 revisité =====
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 \\ [245] Pagès[(Il semble s’agir de [[pagesvixouze|François-Xavier Pagès de Vixouse]] (1745-1802).)] fera bien des romans, \\ [245] Pagès[(Il semble s’agir de [[pagesvixouze|François-Xavier Pagès de Vixouse]] (1745-1802).)] fera bien des romans,
 \\ Et la guerre bien des ravages;  \\ Et la guerre bien des ravages; 
-\\ Plus d’un Rapinat déhonté[(À la veille du Consulat, le commissaire des guerres Jean-Jacques Rapinat fut violemment mis en cause pour sa gestion des impôts imposés à la République hélvétique, alors envahie par les troupes révolutionnaires. Attaqué pour sa voracité par les écrivains locaux (Philippe-Sirice Bridel lui décocha l’épigramme "Le bon Suisse qu'on assassine / Voudrait, au moins, qu'on décidât / Si Rapinat vient de rapine / Ou rapine de Rapinat"), Rapinat fut accusé en 1799 d’avoir couvert le détournement d'une partie des seize millions de livres ainsi rassemblés, dans le cadre d’une campagne contre son beau-frère Jean François Reubell, figure clé du Directoire, que ce scandale força à la retraite.)], +\\ Plus d’un Rapinat déhonté[(À la veille du Consulat, le commissaire des guerres Jean-Jacques Rapinat fut violemment mis en cause pour sa gestion des impôts imposés à la République hélvétique, alors envahie par les troupes révolutionnaires. Attaqué pour sa voracité par les écrivains locaux (Philippe-Sirice Bridel lui décocha l’épigramme "Le bon Suisse qu'on assassine / Voudrait, au moins, qu'on décidât / Si Rapinat vient de rapine / Ou rapine de Rapinat"), Rapinat fut accusé en 1799 d’avoir couvert le détournement d'une partie des seize millions de livres ainsi rassemblées, dans le cadre d’une campagne contre son beau-frère Jean François Reubell, figure clé du Directoire, que ce scandale força à la retraite.)], 
 \\ Plus d’un satrape insatiable, \\ Plus d’un satrape insatiable,
 \\ Et plus d’un ministre vanté \\ Et plus d’un ministre vanté
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 \\ Ainsi, je vais changer d’objet : \\ Ainsi, je vais changer d’objet :
 \\ [390] Approuvez, sifflez mon projet, \\ [390] Approuvez, sifflez mon projet,
-\\ Je m’en bats l’œil et la croupière[(Le derrière.)];+\\ Je m’en bats l’œil et la croupière[(Le derrière.)](nbsp);
 \\ Chacun de nous fait ce qu’il peut, \\ Chacun de nous fait ce qu’il peut,
 \\ Et n’est pas en verve qui veut. \\ Et n’est pas en verve qui veut.
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 \\ Dérangeait par ses bonds divers, \\ Dérangeait par ses bonds divers,
 \\ Tantôt ma main, tantôt ma plume, \\ Tantôt ma main, tantôt ma plume,
-\\ [425] Et troublait l'ordre de ces vers[(//Id.//, p.59-82 (nous intégrons les errata indiqués dans le volume original).)].+\\ [425] Et troublait l'ordre de ces vers[(//Id.//, p.(nbsp)59-82 (nous intégrons les errata indiqués dans le volume original).)].
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 ===== Tableau de concordance ===== ===== Tableau de concordance =====
  
-//L'Homme des bois// suit fidèlement l'ordre du texte de Delille, tout en le condensant. La **réduction** la plus importante est très localisée: elle affecte la description des collections, que l'auteur anonyme ramène à une trentaine de vers, contre plus de cent cinquante alexandrins dans l'original.+//L'Homme des bois// suit fidèlement l'ordre du texte de Delille, tout en le condensant. La **réduction** la plus importante est très localisée(nbsp): elle affecte la description des collections, que l'auteur anonyme ramène à une trentaine de vers, contre plus de cent cinquante alexandrins dans l'original.
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 **Maintien de vers repères** **Maintien de vers repères**
  
-Comme toute parodie efficace, //L'Homme des bois// (HDB) suppose que son lecteur se souvienne bien de //L'Homme des champs// (HDC). Si l'auteur facilite ce jeu de mémoire en suivant l'ordre de l'original, il a aussi soin de **mimer étroitement certains vers clés**, en conservant souvent leurs rimes. On notera par exemple:+Comme toute parodie efficace, //L'Homme des bois// (HDB) suppose que son lecteur se souvienne bien de //L'Homme des champs// (HDC). Si l'auteur facilite ce jeu de mémoire en suivant l'ordre de l'original, il a aussi soin de **mimer étroitement certains vers clés**, en conservant souvent leurs rimes. On notera par exemple(nbsp):
  
   * "Besoin n’est d’un //double génie//" (HDB, 41) pour "Vous n’aurez point recours à ce //double génie//" (HDC, 43).   * "Besoin n’est d’un //double génie//" (HDB, 41) pour "Vous n’aurez point recours à ce //double génie//" (HDC, 43).
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 **Calembour et sexualisation** **Calembour et sexualisation**
  
-Le comique est **carnavalesque**. Buffon devient un "bouffon" (HDB, 43 et 166) et les conseils de Delille se font grivois. Quand //L'Homme des champs// invite son lecteur à se former en "sage" aux sciences contemporaines, afin d’accroître par ses "connaissances" les "jouissances" que procure la contemplation de la nature (HDC, 23-24), son imitateur reprend en effet la rime en donnant aux deux derniers mots un sens équivoque (//connaître// une personne prenant le sens de s'unir sexuellement avec elle). Le "mortel aimable, / […] Qui n’aime au monde que les champs, / Et donne le reste au diable"\ aura soin de conserver une maîtresse:+Le comique est **carnavalesque**. Buffon devient un "bouffon" (HDB, 43 et 166) et les conseils de Delille se font grivois. Quand //L'Homme des champs// invite son lecteur à se former en "sage" aux sciences contemporaines, afin d’accroître par ses "connaissances" les "jouissances" que procure la contemplation de la nature (HDC, 23-24), son imitateur reprend en effet la rime en donnant aux deux derniers mots un sens équivoque (//connaître// une personne prenant le sens de s'unir sexuellement avec elle). Le "mortel aimable, / […] Qui n’aime au monde que les champs, / Et donne le reste au diable"\ aura soin de conserver une maîtresse(nbsp):
  
 <tab>Munissez-vous d’une compagne <tab>Munissez-vous d’une compagne
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 **Exaspération de la disparate** **Exaspération de la disparate**
  
-La quête de la brièveté renforce l'artifice de nombreuses transitions et suscite des **rapprochements cocasses**, par lesquels l'humoriste cherche à "violer […] les lois du bon sens par des contrastes ridicules[(Id., p. !!xxv!!.)]". C'est le cas lorsque la course botanique s'unit soudain à la constitution du cabinet d'histoire naturelle: le locuteur compose un bouquet ou un panier où entrent d'abord le "chiendent" (HDC, 364), puis "L’agaric et le nénuphar" (367) et, par une sorte d'emballement vers l'absurde,+La quête de la brièveté renforce l'artifice de nombreuses transitions et suscite des **rapprochements cocasses**, par lesquels l'humoriste cherche à "violer […] les lois du bon sens par des contrastes ridicules[(Id., p. !!xxv!!.)]". C'est le cas lorsque la course botanique s'unit soudain à la constitution du cabinet d'histoire naturelle(nbsp): le locuteur compose un bouquet ou un panier où entrent d'abord le "chiendent" (HDC, 364), puis "L’agaric et le nénuphar" (367) et, par une sorte d'emballement vers l'absurde,
  
 <tab>Le silex, l’ours, le hérisson, <tab>Le silex, l’ours, le hérisson,
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 \\ <tab>Le sel, le soufre et le héron (371-376). \\ <tab>Le sel, le soufre et le héron (371-376).
  
-Autre exemple de coq-à-l'âne, la pervenche est célébrée, non pour sa beauté ou sa rareté, mais parce qu'elle ne figure pas au menu des Méots (357) – ce que l'original applique à l'humble repas des jeunes botaniste.+Autre exemple de coq-à-l'âne, la pervenche est célébrée, non pour sa beauté ou sa rareté, mais parce qu'elle ne figure pas au menu des Méots (357) – ce que l'original applique à l'humble repas des jeunes botanistes.
  
  
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 Les vers 371-376 sont aussi un pastiche des listes présentes dans le texte, et ce n'est pas le seul exemple de **railleries visant directement le style** de Delille. Ailleurs, l'auteur lui prête des rimes fausses, comme espiègles/siècles, mots soulignés par des italiques (HDB, 193-194). Il imite en les outrant ses jeux de rejets, comme dans "En roulant, il prend, il amasse / La neige (317-318). Les vers 371-376 sont aussi un pastiche des listes présentes dans le texte, et ce n'est pas le seul exemple de **railleries visant directement le style** de Delille. Ailleurs, l'auteur lui prête des rimes fausses, comme espiègles/siècles, mots soulignés par des italiques (HDB, 193-194). Il imite en les outrant ses jeux de rejets, comme dans "En roulant, il prend, il amasse / La neige (317-318).
  
-Il tourne par ailleurs certaines expressions ou idées en dérision, en y révélant des **potentialités comiques insoupçonnées**. Ainsi, Linné devient ici un homme-poisson, capable d'herboriser sous la mer:+Il tourne par ailleurs certaines expressions ou idées en dérision, en y révélant des **potentialités comiques insoupçonnées**. Ainsi, Linné devient ici un homme-poisson, capable d'herboriser sous la mer(nbsp):
  
 <tab>C’est là qu’enfoncé sous les eaux  <tab>C’est là qu’enfoncé sous les eaux 
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 Or l'original indique bien : "avec Linnée enfoncé sous les eaux, / Vous cherchez ces forêts de fucus, de roseaux" (HDC, 237-238)… Même effet, à la fin du texte, lorsque le parodiste note que le spectacle des animaux empaillés "pour un homme sensible, / A je ne sais quoi de pénible / Qui nuit à l’admiration" (HDB, 401-403), mais n'en recommande pas moins de naturaliser chien et chats. Or l'original indique bien : "avec Linnée enfoncé sous les eaux, / Vous cherchez ces forêts de fucus, de roseaux" (HDC, 237-238)… Même effet, à la fin du texte, lorsque le parodiste note que le spectacle des animaux empaillés "pour un homme sensible, / A je ne sais quoi de pénible / Qui nuit à l’admiration" (HDB, 401-403), mais n'en recommande pas moins de naturaliser chien et chats.
  
-Enfin, alors que la préface refuse d'accepter l'idée que le plan manque d'ordre, la fin du chant, telle qu'elle apparaît chez Delille ("Ou déranger gaîment […] / Et la plume et la main qui t’adressa ces vers", HDC 649-650) devient l'aveu d'une **composition dérangée et désordonnée** (le chat a troublé "l'ordre de ces vers", HDB, 425). Et ce manque de cohérence apparaît encore lorsque le poète de la parodie constate qu'il s'est égaré loin des objets annoncés:+Enfin, alors que la préface refuse d'accepter l'idée que le plan manque d'ordre, la fin du chant, telle qu'elle apparaît chez Delille ("Ou déranger gaîment […] / Et la plume et la main qui t’adressa ces vers", HDC 649-650) devient l'aveu d'une **composition dérangée et désordonnée** (le chat a troublé "l'ordre de ces vers", HDB, 425). Et ce manque de cohérence apparaît encore lorsque le poète de la parodie constate qu'il s'est égaré loin des objets annoncés(nbsp):
  
 <tab>Mais, Muse, que sont devenus  <tab>Mais, Muse, que sont devenus 
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 Trois **différences** importantes éloignent toutefois l'imitation de sa source. Trois **différences** importantes éloignent toutefois l'imitation de sa source.
  
-D'une part, le locuteur de //L'Homme des bois// se manifeste beaucoup plus que celui de //L'Homme des champs//: le pronom //je// apparaît 13 fois dans la parodie, contre 8 fois dans l'original.+D'une part, le locuteur de //L'Homme des bois// se manifeste beaucoup plus que celui de //L'Homme des champs//(nbsp): le pronom //je// apparaît 13 fois dans la parodie, contre 8 fois dans l'original.
  
-D'autre part, la brièveté de l'octosyllabe prive le parodiste des ressources de l'allitération: l'harmonie imitative que recherche souvent Delille ne peut guère être mise en scène ici.+D'autre part, la brièveté de l'octosyllabe prive le parodiste des ressources de l'allitération(nbsp): l'harmonie imitative que recherche souvent Delille ne peut guère être mise en scène ici.
  
 Enfin, l'auteur anonyme ne propose aucune note, il ne soumet donc pas l'appareil du commentaire à son ironie. Enfin, l'auteur anonyme ne propose aucune note, il ne soumet donc pas l'appareil du commentaire à son ironie.
  
-===== Liens externes =====+===== Lien externe =====
  
-  * Accès au texte numérisé : [[https://books.google.ch/books?id=mKxbAAAAcAAJ&printsec=frontcover&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false|GoogleBooks]]+  * Accès au texte numérisé : [[https://books.google.ch/books?id=mKxbAAAAcAAJ&printsec=frontcover&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false|Google Books]].
  
  
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 Auteur de la page  --- //[[hugues.marchal@unibas.ch|Hugues Marchal]] 2017/04/02 20:08// Auteur de la page  --- //[[hugues.marchal@unibas.ch|Hugues Marchal]] 2017/04/02 20:08//
 +\\ Relecture --- //[[morgane.tironi@stud.unibas.ch|Morgane Tironi]] 2022/08/18 14:59//