La Bibliothèque poëtique de la Jeunesse, ou Recueil de Pièces et de Morceaux de Poësie, propres à orner l'esprit et à former le goût des Jeunes Gens, sans nuire à leurs mœurs est un recueil édité en 1805 par le jésuite Joseph Reyre et destiné aux élèves.
Dans l'avertissement à cet ouvrage didactique, l'auteur évoque la grande emprise sur les jeunes lecteurs de la poésie, “qui peint tout, qui anime tout, et qui rend tout sensible par les images qu'elle présente1”. Selon lui, il est donc essentiel d'opérer un choix afin que “les peintures qu'elle leur offre ne fissent naître dans leur esprit que des idées saines, n'excitassent dans leur coeur que des sentiments vertueux2”. L'auteur souligne ainsi le danger de voir la poésie alimenter une corruption des mœurs.
La visée de l'ouvrage est avant tout moralisatrice : Reyre opère une véritable censure des écrits contenant “des images qui blessent, ou allarment la pudeur3”, au profit d'une anthologie composée de genres mixtes (odes, poèmes, contes, fables, épîtres, idylles, romances, sonnets, épitaphes, etc.) mais dont chaque extrait correspond à l'exigence d'innocence, voire de tempérance, qui guide la sélection.
L'extrait du chant 3 de L'Homme des champs est donné à lire sans commentaire descriptif, tout comme les autres morceaux qui composent ce recueil et qui s'enchaînent sans classement thématique. Il est néanmoins doté d'explications ponctuelles sous forme de notes.
Agrémens de l'étude de la botanique.4
Les nombreuses tribus, le peuple immense d’herbes
Qu’effleura l’ignorant de ses regards superbes,
N’ont-ils pas leurs beautés et leurs bienfaits divers ?
Le même Dieu créa la mousse et l’univers.
De leurs secrets pouvoirs connoissez les mystères,
Leurs utiles vertus, leurs poisons salutaires.
Par eux, autour de vous, rien n’est inhabité,
Et même le désert n’est jamais sans beauté.
Souvent pour visiter leurs riantes peuplades,
Vous dirigez vers eux vos douces promenades,
Soit que vous parcouriez les coteaux de Marly,
Ou le riche Meudon, ou le frais Chantilli.
Et voulez-vous encore embellir le voyage ?
Qu’une troupe d’amis avec vous le partage :
La peine est plus légère, et le plaisir plus doux.
Le jour vient, et la troupe arrive au rendez-vous.
Ce ne sont point ici de ces guerres barbares,
Où les accens du cor et le bruit des fanfares
Épouvantent de loin les hôtes des forêts.
Paissez, jeunes chevreuils, sous vos ombrages frais !
Oiseaux, ne craignez rien ; ces chasses innocentes
Ont pour objets les fleurs, les arbres, et les plantes ;
Et des près, et des bois, et des champs, et des monts
Le porte-feuille avide attend déjà les dons.
On part ; l’air du matin, la fraîcheur de l’aurore
Appellent à l’envi les disciples de Flore.
Jussieu5 marche à leur tête , il parcourt avec eux
Du règne végétal les nourrissons nombreux.
Pour tenter son savoir, quelque fois leur malice
De plusieurs végétaux compose un tout factice :
Le sage l’apperçoit, sourit avec bonté,
Et rend à chaque plant son débris emprunté.
Chacun dans sa recherche à l’envi se signale.
Étamine et pistil, et corolle et pétale, 6
On interroge tout : Parmi ces végétaux,
Les uns vous sont connus, d’autres vous sont nouveaux :
Vous voyez les premiers avec reconnoissance ;
Vous voyez les seconds des yeux de l’espérance :
L’un est un vieil ami qu’on aime à retrouver ;
L’autre est un inconnu que l’on doit éprouver.
Et quel plaisir encor, lorsque des objets rares
Dont le sol, le climat et le Ciel sont avares,
Rendus par votre attente encor plus précieux,
Par un heureux hasard se montrent à vos yeux !
Voyez quand la pervenche en nos champs ignorée,
Offre à Rousseau sa fleur si long-temps désirée !
La pervenche, grand Dieu ! la pervenche ! soudain
Il la couve des yeux, il y porte la main,
Saisit sa douce proie ; avec moins, de tendresse
L’amant voit, reconnoît, adore sa maîtresse.
Mais le besoin commande : un champêtre repas,
Pour ranimer leur force, a suspendu leurs pas.
C’est au bord des ruisseaux, des sources, des cascades.
Bacchus se rafraîchit dans les eaux des Naïades.
Des arbres pour lambris, pour tableau l’horison,
Les oiseaux pour concert, pour table le gazon.
Le laitage, les œufs, l’abricot, la cerise
Et la fraise des bois que leurs mains ont conquise ;
Voilà leurs simples mets : grace à leurs doux travaux,
Leur appétit insulte à tout l’art des Méots. 7
On fête, on chante Flore et l’antique Cybelle,
Éternellement jeune, éternellement belle :
Leurs discours ne sont pas tous ces riens si vantés,
Par la mode introduits, par la mode emportés ;
Mais la grandeur d’un Dieu, mais sa bonté féconde,
La nature immortelle, et les secrets du monde.
La troupe enfin se lève ; on vole de nouveau
Des bois à la prairie, et des champs au coteau ;
Et le soir dans l’herbier dont les feuilles sont prêtes,
Chacun vient en triomphe apporter ses conquêtes.8
Vers concernés : chant 3, vers 395-464
Accès à la numérisation du texte: Google Books.
Auteur de la page — Sarah Brämer 2017/04/19 16:01
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/17 12:35