La Société libre d'émulation de Liège organise, comme la plupart des sociétés académiques de l'époque, un concours annuel de poésie et c'est à l'occasion de la présentation du palmarès pour 1825 que le secrétaire général, Chênedollé, est conduit à citer L'Homme des champs, le concurrent primé ayant choisi, comme Delille, de traiter du désastre de Pompéi.
Conformément aux usages, les pièces étaient soumises au jury sans nom d'auteur, et celui du lauréat, Anne Bignan, poète spécialisé dans ce type de poésies de concours, n'est dévoilé qu'après la présentation de l'œuvre et l'exposé des motivations de sa distinction. D'évidence, le jury belge a été sensible à la facture classique d'une composition résolument fidèle aux formes at auteurs en vogue sous l'Empire, par opposition aux innovations naissantes des romantiques :
[La pièce prend pour sujet] deux tendres amans devenus époux, qui, le jour même de leur union, périssent victimes d'un de ces terribles événemens qui bouleversent une partie du globe, et laissent après eux des souvenirs si tristes et si durables. Les vers suivans de Virgile, que l'auteur de l'élégie antique, intitulée : Pompéïa, a pris pour épigraphe, lui ont fourni un cadre heureux à remplir :
Scilicet et tempus veniet, quum finibus illis
Agricola, incurva terram molitus aratro,
Exesa inveniet scabra rubigine pila,
Aut gravibus rastris galeas pulsabit inanes,
Graniaque effossis mirabitur ossa sepulcris.
C'est-a-dire, en empruntant la belle traduction du Virgile francais :
Un jour le laboureur, dans ces mêmes sillons,
Où dorment les débris de tant de bataillons,
Heurtant avec le soc leur antique dépouille,
Trouvera, plein d'effroi, des dards rongés de rouille ;
Verra de vieux tombeaux sous ses pas s'écrouler,
Et des soldats romains les ossemens rouler1.
Si les avis des Membres du Comité ont été quelquefois partagés sur le mérite ou les défauts des pièces dont nous venons de rendre compte, nous devons reconnaître, MM., que nous avons été presque tous d'une opinion unanime pour applaudir aux beautés de l'Elégie sur Pompéïa. C'est la destruclion de cette grande cité, ensevelie sous les cendres du Vésuve, qui a inspiré au poète une production à la fois noble, simple et touchante. A ce tableau plein de brillans souvenirs, vient se joindre comme épisode l'image de l'hymen et du bonheur éphémères de deux époux, enveloppés dans l'horrible catastrophe […]. Le plan de cette élégie est heureux et d'une simplicité vraiment classique ; le style, à quelques légères taches près, est correct, élégant, et s'élève même en quelques endroits jusqu'au sublime. Cette composition annonce un écrivain distingué, du petit nombre de ceux, qui conservant encore aujourd'hui le feu sacré , ne se vouent pas au culte d'une littérature nébuleuse si peu faite pour les enfans du midi. A la couleur antique qui domine en cette pièce, on la prendrait pour la traduction d'une élégie découverte sous les ruines de la ville que le poète a chantée en vers harmonieux.
La lecture de ce morceau de poésie vous prouvera, nous osons l'espérer, que votre comité n'a pas outrepassé ses pouvoirs, en lui décernant la branche de laurier en argent. Vous reconnaîtrez aussi, MM., que le concurrent, nourri d'une érudition classique, n'a pas dédaigné d'imiter quelques modernes, et qu'il a profité de quelques idées de Dupaty, et surtout d'un beau morceau qui se trouve dans le troisième chant des Géorgiques francaises de Delille (13). L'auteur du Génie de l'homme, à la fin du second chant de ce poème, a peint la mort de Pline, et la destruction d'Herculanum et de Pompéïa. Nous croyons que notre lauréat lui a aussi emprunté quelques traits, et qu'en écrivant ce vers, avec un long fracas les empires s'écroulent, il s'est rappelé, peut-être involontairement, ce passage du quatrième chant :
Entendez-vous le bruit de ces puissans états,
S'écroulant l'un sur l'autre avec un long fracas2.
Ces observations, que l'amour seul de la vérité nous a dictées, n'ôtent rien au mérite réel de cette élégie, et nous n'avons pas hésité a lui accorder la palme. Le billet décacheté a présenté le nom de M. A. Bignan, de Paris, déja connu par plusieurs triomphes académiques3 […].
Occasion de convoquer une nouvelle fois le modèle de Delille, l'appel de note (13) renvoie au long extrait concerné de L'Homme des champs, introduit par une simple phrase : “Pour faciliter aux lecteurs le rapprochement des deux morceaux, nous croyons devoir transcrire ici les beaux vers de Delille que nous avons indiqués dons le texte4”. Nous ne reproduisons donc pas ces lignes.
Vers concernés : chant 3, vers 133-174.