Voir la synthèse thématique sur les Usages lexicographiques.
Dirigé par William Duckett, le Dictionnaire de la conversation et de la lecture (1832-1851) est présenté comme un “inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous” sur la page de titre d'une réédition. Cette encyclopédie en 52 volumes croise l'héritage français de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert avec d'autres traditions lexicographiques, allemandes et anglaises. Balzac compte parmi les hommes de lettres qui prennent part à cette aventure éditoriale.
Notre recensement se limite aux mentions de Delille dans le tome 30 où se trouve l'article GÉORGIQUE, GÉORGIQUES de Pierre-François Tissot (voir ci-dessous). Paru en 1836, le tome regroupe les notions comprises entre GAY (John) et GRASSEYEMENT. On découvre encore des références à Delille dans les articles GÉNÉRATIONS SPONTANÉES de Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, et GEOFFRIN (Marie-Thérèse Rodet) de Joncières.
L'Homme des champs est mentionné au sein de l'article GÉORGIQUE, GÉORGIQUES signé par Pierre-François Tissot, auteur d'une traduction des Bucoliques de Virgile en 1800 et successeur de Delille à la chaire de poésie latine du Collège de France. Après Lucrèce, Virgile ou Thomson, Delille fait pâle figure parmi les auteurs qui ont laissé des “poèmes géorgiques”, mais il reste aux yeux de Tissot un modèle en matière de versification. L'homme de lettres souligne le manque de cohérence de L'Homme des champs et il analyse brièvement les trois premiers chants, portant sur chacun d'eux un jugement très contrasté. Le troisième chant arrête en particulier son attention. Véritable “prodige de style”, cette partie du poème pèche par la distance qu'elle établit entre la nature et le spectateur. Là où Tissot désirerait une expérience immédiate de la nature, Delille ne la regarde que dans le prisme des ouvrages de Linné, Buffon et Cuvier. En définitive, selon l'auteur de l'article, le troisième chant prouve de manière accablante que Delille n'a pas saisi l'essence de la poésie bucolique.
L'abbé de Delille, traducteur de Virgile, essaya de lutter avec son maître dans deux poèmes géorgiques, les Jardins et l'Homme des champs. Le premier de ces ouvrages, singulièrement rabaissé par les aristarques, n'offre ni une belle ordonnance, ni une vase composition ; la flamme du génie de Thompson ne brille nulle part dans ce travail, mais il est souvent riche de poésie, et contient des choses que la langue française revendiquera toujours comme des modèles de l'art d'écrire en vers. L'Homme des champs, qu'on aurait pu caractériser par ce titre, Le Parisien aux champs, n'est pas un ouvrage. On n'y sent nulle part cet amour vrai de la campagne, si fortement exprimé en Lucrèce, en Virgile, en Thompson ; la ville et ses occupations, le château et ses habitants, occupent trop souvent la place de la campagne et des cabanes. Le premier chant, où ce défaut se fait trop sentir, n'est pas exempt de manière et de mauvais goût, il manque d'ailleurs de toute espèce d'ordre. On ne croirait pas que le second chant fût de la même main que le précédent, tant il y a de distance de celui-ci à l'autre. C'est là que Delille, redevenu virgilien, a souvent repris sa supériorité par des vers frappés au coin des maîtres. Le troisième chant me paraît un prodige de style, mais que de savoir il faut à l'homme des champs de Delille ! Sans Linné, sans Buffon, sans Cuvier, il n'éprouverait aucun plaisir dans le spectacle de la nature. Grétry disait, en écoutant une certaine musique fort admirée : “Je donnerais un louis pour entendre ici une chanterelle.” On pourrait donner davantage encore pour sentir l'odeur du serpolet, celle du laitage, et tous les parfums des bois et des champs dans le poème de Delille. Comment a-t-il pu penser au Tytire des Bucoliques, au vieillard du Galèse, sans nous montrer le bonheur habitant dans une chaumière, environnée d'un jardin et bordée par une saussaie en fleurs. Le petit cultivateur, contemplant son petit domaine avec ravissement sur le déclin du jour, la famille contente qui couronne son foyer, la table qui rappelle à l'esprit celle de Philémon et de Baucis offrant l'hospitalité aux dieux, l'agneau chéri, la perdrix privée qui se réfugie auprès de Jupiter, la chèvre qui folâtre autour du plus petit enfant de la maison, les innocentes amours, la prière du soir, qui met la maison sous la garde du père commun de tous les hommes, voilà l'essence et les ornements du poème géorgique. Tout cela manque dans l’œuvre de Delille, mais son talent s'y révèle par des beautés de style dignes des grands maîtres, et que lui seul pouvait prêter à notre langue1.
Chants concernés : chant 1, chant 2, chant 3
Auteur de la page — Timothée Léchot 2017/02/11 01:00
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/07 14:56