Capelle publie en 1810 une première version de cet ouvrage, sous le titre de Dictionnaire de morale, de science et de littérature, ou choix de pensées ingénieuses et sublimes, de dissertations et de définitions, extraites des plus célèbres moralistes, orateurs, poëtes et savans, pour servir de délassement aux études, former le cœur, orner l'esprit, et nourrir la mémoire des jeunes gens1. Cet intitulé, et le fait que ces deux volumes soient dédiés en page de titre “à son fils, âgé de 12 ans”, indique assez la vocation pédagogique de l'œuvre. Elle fut, explique plus loin Capelle dans une texte en vers et prose adressé à ce même fils, conçue alors que ce dernier n'avait que neuf ans, pour “occuper agréablement et utilement les intervalles” que l'étude lui laissait, “sans trop fixer [s]on attention et sans [l]e détourner de [s]on travail essentiel”, tout en facilitant “essor de [s]es premières idées2”. Un avertissement précise que le dictionnaire offre “une forme commode” pour arranger “les pensées qu'il est utile de graver dans l'esprit de la jeunesse3” ; mais le résultat relève surtout de l'anthologie ou recueil de morceaux choisis.
Trois principes ont guidé la sélection. D'une part, Capelle a choisi pour chaque thème des fragments de texte constituant des “tableaux4” clairement délimités, aptes à l'illustrer. D'autre part, il a pris soin d'éviter les répétitions : si nombreux que soient les exemples, ils ne doivent pas être redondants. Enfin, gage offert aux parents, les textes retenus devaient offrir un caractère “vraiment classique”, conforme à la morale et à la religion, et tel “que l'on puisse, sans danger, [les] mettre dans les mains des jeunes gens5”.
Fait notable, le texte est ponctué de conseils de lectures complémentaires, “ouvrages propres à donner de plus grands développemens à quelques articles6”.
Dès cette première édition, Delille est souvent sollicité. Capelle cite des extraits des Jardins 7, de L'Homme des champs8, de La Pitié9, de L'Imagination10, de la traduction de l'Énéide11, des Trois Règnes12, de La Conversation13 ou encore de l'Ode à la bienfaisance et autres poèmes plus brefs14, et plusieurs de ces textes figurent parmi les œuvres dont il conseille la lecture.
Toutefois, le chant\ 3 de L'Homme des champs n'est pas mobilisé. C'est dans une “seconde édition, considérablement augmentée” et au titre légèrement modifié pour mettre en avant l'idée “d'éducation morale15”, publiée en 1824, que Capelle va y puiser.
Capelle intègre à son dictionnaire deux longs morceaux du chant sur les sciences, au sein d'un article du second volume, intitulé “Tableaux.- Définitions. – Descriptions”. Cet article est lui-même exceptionnellement développé (il s'étend des pages 372 à 482), car l'anthologiste y rassemble un nombre très élevé d'extraits en prose ou en vers.
D'une part, Capelle sélectionne le passage sur les montagnes, qu'il intitule “Les Alpes et le Jura16”. Il procède alors, sans le signaler, à une coupe.
Vers concernés : chant 3, vers 306-318 et 327-354.
D'autre part, il reproduit le passage sur les courses botaniques, sans en exclure l'allusion aux amants, contrairement à d'autres anthologies plus pudibondes :
L'HERBORISATION.
Le jour vient, et la troupe arrive au rendez-vous.
Ce ne sont point ici de ces guerres barbares
Où les accents du cor et le bruit des fanfares
Épouvantent de loin les hôtes des forêts ;
Paissez, jeunes chevreuils, sous vos ombrages frais ;
Oiseaux, ne craignez rien : ces chasses innocentes
Ont pour objets les fleurs, les arbres, et les plantes ;
Et des prés et des bois, et des champs et des monts,
Le porte-feuille avide attend déjà les dons.
On part : l’air du matin, la fraîcheur de l’aurore
Appellent à l’envi les disciples de Flore.
Jussieu marche à leur tête ; il parcourt avec eux
Du règne végétal les nourrissons nombreux :
Pour tenter son savoir quelquefois leur malice
De plusieurs végétaux compose un tout factice ;
Le sage l’apperçoit, sourit avec bonté,
Et rend à chaque plant son débris emprunté.
Chacun dans sa recherche à l’envi se signale ;
Étamine, pistil, et corolle, et pétale,
On interroge tout. Parmi ces végétaux
Les uns vous sont connus, d’autres vous sont nouveaux :
Vous voyez les premiers avec reconnoissance,
Vous voyez les seconds des yeux de l’espérance ;
L’un est un vieil ami qu’on aime à retrouver,
L’autre est un inconnu que l’on doit éprouver.
Et quel plaisir encor lorsque des objets rares,
Dont le sol, le climat, et le ciel sont avares,
Rendus par votre attente encor plus précieux,
Par un heureux hasard se montrent à vos yeux !
Voyez quand la pervenche, en nos champs ignorée,
Offre à Rousseau sa fleur si long-temps désirée ;
La pervenche, grand Dieu ! la pervenche ! Soudain
Il la couve des yeux, il y porte la main,
Saisit sa douce proie : avec moins de tendresse
L’amant voit, reconnoît, adore sa maîtresse.
Mais le besoin commande : un champêtre repas,
Pour ranimer leur force, a suspendu leurs pas ;
C’est au bord des ruisseaux, des sources, des cascades :
Bacchus se rafraîchit dans les eaux des Naïades
Des arbres pour lambris, pour tableaux l’horizon,
Les oiseaux pour concert, pour table le gazon ;
Le laitage, les œufs, l’abricot, la cerise,
Et la fraise des bois, que leurs mains ont conquise,
Voilà leurs simples mets : grace à leurs doux travaux
Leur appétit insulte à tout l’art des Méots.
On fête, on chante Flore et l’antique Cybèle,
Éternellement jeune, éternellement belle :
Leurs discours ne sont pas tous ces riens si vantés,
Par la mode introduits, par la mode emportés ;
Mais la grandeur d’un Dieu, mais sa bonté féconde,
La nature immortelle, et les secrets du monde.
La troupe enfin se lève ; on vole de nouveau
Des bois à la prairie, et des champs au coteau ;
Et le soir dans l’herbier, dont les feuilles sont prêtes,
Chacun vient en triomphe apporter ses conquêtes.
DELILLE. (Géorg. françaises17)
Vers concernés : chant 3, vers 410-464
Ces fragments ne font l'objet d'aucune note et d'aucun commentaire.
Accès à la numérisation du texte : Google Books.
Auteur de la page — Hugues Marchal 2019/06/20 14:14
Relecture — Morgane Tironi 2022/08/15 21:59