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kraanelitterature [2022/08/18 14:09] – [Des vers hommages] Morgane Tironi | kraanelitterature [2023/04/01 12:06] (Version actuelle) – [Des vers hommages] Hugues Marchal |
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===== Présentation de l'œuvre ===== | ===== Présentation de l'œuvre ===== |
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//La Littérature française// est un "poëme en quatre chants", composé en français par le Hollandais [[kraane|Jan Hendrik Kraane]] et publié à Leyde en 1804. Ce **panorama critique et historique versifié** contient un **hommage appuyé à Delille**, "nouvel Amphion" revenu en France pour y restaurer l’harmonie sociale et les lettres[(Voir Jan Hendrik Kraane, //La Littérature française, poëme en quatre chants//, Leyde, Murray, 1804, p.\ 103-107.)]. Surtout, l'auteur néerlandais se targue fièrement, dans sa préface, de l'aval du poète, à qui il a soumis son œuvre. Quoique ce dernier y émette aussi des réserves sur le peu de novation des "idées", Kraane cite une lettre, non datée, dans laquelle Delille le félicite pour la correction de son expression\ : | //La Littérature française// est un "poëme en quatre chants", composé en français par le Hollandais [[kraane|Jan Hendrik Kraane]] et publié à Leyde en 1804. Ce **panorama critique et historique versifié** contient un **hommage appuyé à Delille**, "nouvel Amphion" revenu en France pour y restaurer l’harmonie sociale et les lettres[(Voir Jan Hendrik Kraane, //La Littérature française, poëme en quatre chants//, Leyde, Murray, 1804, p. 103-107.)]. Surtout, l'auteur néerlandais se targue fièrement, dans sa préface, de l'aval du poète, à qui il a soumis son œuvre. Quoique ce dernier y émette aussi des réserves sur le peu de novation des "idées", Kraane cite une lettre, non datée, dans laquelle Delille le félicite pour la correction de son expression(nbsp): |
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Monsieur, | Monsieur, |
\\ J’ai été privé du plaisir de lire moi-même votre ouvrage par la perte presqu'entière de ma vue\ : ce même inconvénient me prive également de l’avantage de vous répondre moi-même\ : j’ai employé la main de l’amitié. J’ai entendu avec intérêt la lecture de votre ouvrage\ ; je vous en parlerai avec franchise. Celui de mes amis avec qui j’ai fait cette lecture a été surpris, comme moi, de la correction & de la pureté de votre stile. Ainsi vous êtes sûr du choix de vos expressions & de vos tournures\ ; peut-être celui des idées n'est-il pas aussi heureux. Mon ami les aurait voulu quelquefois plus piquantes & plus neuves\ : j’oserais aussi desirer dans l’exécution totale un peu plus de mouvement. Pardonnez, Monsieur\ ! une franchise que vous avez réclamée. Cette modestie ne vous honore pas moins que vos vers\ ; en poésie comme en religion, c'est celui qui cherche la vérité qui fait son salut. Recevez, je vous prie, l’expression de ma reconnoissance & de l’estime bien sincère avec lesquelles j’ai l’honneur d’être, | \\ J’ai été privé du plaisir de lire moi-même votre ouvrage par la perte presqu'entière de ma vue(nbsp): ce même inconvénient me prive également de l’avantage de vous répondre moi-même(nbsp): j’ai employé la main de l’amitié. J’ai entendu avec intérêt la lecture de votre ouvrage(nbsp); je vous en parlerai avec franchise. Celui de mes amis avec qui j’ai fait cette lecture a été surpris, comme moi, de la correction & de la pureté de votre stile. Ainsi vous êtes sûr du choix de vos expressions & de vos tournures(nbsp); peut-être celui des idées n'est-il pas aussi heureux. Mon ami les aurait voulu quelquefois plus piquantes & plus neuves(nbsp): j’oserais aussi desirer dans l’exécution totale un peu plus de mouvement. Pardonnez, Monsieur(nbsp)! une franchise que vous avez réclamée. Cette modestie ne vous honore pas moins que vos vers(nbsp); en poésie comme en religion, c'est celui qui cherche la vérité qui fait son salut. Recevez, je vous prie, l’expression de ma reconnoissance & de l’estime bien sincère avec lesquelles j’ai l’honneur d’être, |
\\ Monsieur, | \\ Monsieur, |
\\ Votre très-humble & très-obéissant Serviteur[(//Id//., p. !!vi-vii!!.)] | \\ Votre très-humble & très-obéissant Serviteur[(//Id//., p. !!vi-vii!!. Kraane reviendra sur cet épisode dans un opuscule justificatif sur son poème : "M. Delille a répété plusieurs fois à celui de mes amis, qui lui a présenté mon ouvrage, & me l'a écrit, qu'il était étonné de la correction de mon style" (J. H. Kr[aane], //Amende honorable, pour le poëme ridicule, amphigourique, fade, […] etc., intitulé La Littérature française//, Leyde, 1804, p. 6).)]. |
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===== Des vers hommages ===== | ===== Des vers hommages ===== |
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Dans son éloge en vers de Delille, qui ouvre le dernier chant du poème, Kraane l'apostrophe comme "[s]on maître" en mimant un des tours de //L'Homme des champs//[(Sa formule "Ô Delille\ ! ô mon maître\ !" (p.\ 103) est un calque d'une expression du chant\ 4 de //L'Homme des champs//, "Ô Virgile\ ! ô mon maître\ !")]. Puis il procède à **plusieurs emprunts explicites**. Il cite, entre guillemets et en italiques, en l'adaptant légèrement, un vers du premier chant[("//Qui fait aimer les champs fait aimer les vertus//" (p.\ 105), là où Delille écrit "la vertu".)] et il indique à Delille, employant un autre extrait, marqué cette fois seulement par des italiques\ : | Dans son éloge en vers de Delille, qui ouvre le dernier chant du poème, Kraane l'apostrophe comme "[s]on maître" en mimant un des tours de //L'Homme des champs//[(Sa formule "Ô Delille(nbsp)! ô mon maître(nbsp)!" (//La Littérature française//, p.(nbsp)103) est un calque d'une expression du chant(nbsp)4 de //L'Homme des champs//, "Ô Virgile(nbsp)! ô mon maître(nbsp)!")]. Puis il procède à **plusieurs emprunts explicites**. Il cite, entre guillemets et en italiques, en l'adaptant légèrement, un vers du premier chant[("//Qui fait aimer les champs fait aimer les vertus//" (p.(nbsp)105), là où Delille écrit "la vertu".)] et il indique à Delille, employant un autre extrait, marqué cette fois seulement par des italiques(nbsp): |
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Tantôt le Dieu des mers frappant l'humide masse, | Tantôt le Dieu des mers frappant l'humide masse, |
\\ Et des flots bondissants écartant la surface, | \\ Et des flots bondissants écartant la surface, |
\\ S'empresse de te voir… tu lui dis ses secrets (*)\ ; | \\ S'empresse de te voir… tu lui dis ses secrets (*)(nbsp); |
\\ Comment à ses horreurs il mêle ses bienfaits\ ; | \\ Comment à ses horreurs il mêle ses bienfaits(nbsp); |
\\ Comment il bouleverse & partage les mondes\ ; | \\ Comment il bouleverse & partage les mondes(nbsp); |
\\ Comme il bâtit les monts, //lents ouvrages des ondes//. […] | \\ Comme il bâtit les monts, //lents ouvrages des ondes//. […] |
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(*) Voyez le troisième chant des Géorgiques françaises[(//Id//, p. 105-106.)]. | (*) Voyez le troisième chant des Géorgiques françaises[(//Id//., p. 105-106.)]. |
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Le tour est à nouveau légèrement adapté, puisque Delille écrit "de l'onde". | Le tour est à nouveau légèrement adapté, puisque Delille écrit "de l'onde". |
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Un sondage révèle toutefois la présence ultérieure, sous la plume de Kraane, d'**au moins un emprunt non signalé** au chant\ 3 //L'Homme des champs//. En effet, alors que le poète hollandais s'interroge, de manière assez satirique, sur les errances d'un homologue français vieillissant, Mercier[(La note 9 le confirme.)], une formule de Delille sur le sublime des vestiges devient un appel à respecter le grand âge[(//Id//., p. 122.)]\ : | Un sondage révèle toutefois la présence ultérieure, sous la plume de Kraane, d'**au moins un emprunt non signalé** au chant\ 3 //L'Homme des champs//. En effet, alors que le poète hollandais s'interroge, de manière assez satirique, sur les errances d'un homologue français vieillissant, Mercier[(La note 9 le confirme.)], une formule de Delille sur le sublime des vestiges devient un appel à respecter le grand âge[(//Id//., p. 122.)](nbsp): |
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{{::kraane.png?500|}} | {{::kraane.png?500|}} |
\\ Le chat guète, s'approche & tombe sur sa proie. | \\ Le chat guète, s'approche & tombe sur sa proie. |
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Vous avez beau dire //facit indignatio versus//, tout lecteur impartial sera indigné contre un traducteur qui prend à tâche de falsifier & de gâter les meilleurs morceaux de son original. En effet, n'y a-t-il pas beaucoup d'esprit à mettre le chat en action pour déparer une comparaison qui est très-jolie, & pour critiquer\ ? C'est bien ici le cas de s'écrier, jusqu'où l'orgueil ne nous emporte-t-il pas quand il ne tient plus de mesure[(//Id//., p. 236-237.)]\ ! | Vous avez beau dire //facit indignatio versus//, tout lecteur impartial sera indigné contre un traducteur qui prend à tâche de falsifier & de gâter les meilleurs morceaux de son original. En effet, n'y a-t-il pas beaucoup d'esprit à mettre le chat en action pour déparer une comparaison qui est très-jolie, & pour critiquer(nbsp)? C'est bien ici le cas de s'écrier, jusqu'où l'orgueil ne nous emporte-t-il pas quand il ne tient plus de mesure[(//Id//., p. 236-237.)](nbsp)! |
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Vers concernés : [[chant3#v443|chant 3, vers 443-444]]. | Vers concernés : [[chant3#v443|chant 3, vers 443-444]] |
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Cette substitution est également pointé du doigt dans le compte rendu du travail de Bilderdijk publié, en 1803, dans les [[crveldelingbuitenlevenvaderlansche|Algemeene vaderlandsche letter-oefeningen]]\ ; mais Kraane se montre plus virulent dans ses expressions. Pour lui, Bilderdijk a passé sur le texte de Delille comme un serpent qui y aurait glissé sur un parterre fleuri en laissant "partout les empreintes du fiel qui le rongeait[(//Id//., p. 238.)]". | Cette substitution est également pointée du doigt dans le compte rendu du travail de Bilderdijk publié, en 1803, dans les [[crveldelingbuitenlevenvaderlansche|Algemeene vaderlandsche letter-oefeningen]](nbsp); mais Kraane se montre plus virulent dans ses expressions. Pour lui, Bilderdijk a passé sur le texte de Delille comme un serpent qui y aurait glissé sur un parterre fleuri en laissant "partout les empreintes du fiel qui le rongeait[(//Id//., p. 238.)]". |
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En **conclusion**, il affirme regretter d'avoir dû mener une telle charge, au motif que, tous ces éléments mis à part, Bilderdijk a fourni des vers parfaits, faisant honneur à sa langue. Aussi achève-t-il en déclarant son "enthousiasme pour le poète Bilderdyk et [s]on indignation contre le critique Bilderdyk[(//Id//., p. 239.)]". | En **conclusion**, il affirme regretter d'avoir dû mener une telle charge, au motif que, tous ces éléments mis à part, Bilderdijk a fourni des vers parfaits, faisant honneur à sa langue. Aussi achève-t-il en déclarant son "enthousiasme pour le poète Bilderdyk et [s]on indignation contre le critique Bilderdyk[(//Id//., p. 239.)]". |
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Accès à la numérisation du texte : [[https://books.google.ch/books?id=IM-e074nnFUC|GoogleBooks]]. | Accès à la numérisation du texte : [[https://books.google.ch/books?id=IM-e074nnFUC|Google Books]]. |
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Auteur de la page --- //[[hugues.marchal@unibas.ch|Hugues Marchal]] 2019/06/27 13:30// | Auteur de la page --- //[[hugues.marchal@unibas.ch|Hugues Marchal]] 2019/06/27 13:30// |
| \\ Relecture --- //[[morgane.tironi@stud.unibas.ch|Morgane Tironi]] 2022/08/18 14:17// |