usageslexicographiques

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usageslexicographiques [2023/03/10 14:20] – Espaces insécables : remplacer la syntaxe "\ :" qui ne fonctionne plus par "(nbsp)". Timothée Léchotusageslexicographiques [2023/03/13 19:18] (Version actuelle) – modification externe 127.0.0.1
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 Dans le domaine de la lexicographie, cette remarque de Nodier caractérise bien la fonction que remplira Delille après sa mort,  à l'égard des néologismes et autres formes d'innovation linguistique. Cependant, //L'Homme des champs// n'est pas l’œuvre de Delille la plus souvent mobilisée dans cette perspective par les lexicographes. Dans le domaine de la lexicographie, cette remarque de Nodier caractérise bien la fonction que remplira Delille après sa mort,  à l'égard des néologismes et autres formes d'innovation linguistique. Cependant, //L'Homme des champs// n'est pas l’œuvre de Delille la plus souvent mobilisée dans cette perspective par les lexicographes.
  
-Jean-Charles Laveaux (1749-1827), qui cite abondamment le poète, ne recourt presque exclusivement qu'à sa traduction de //L'Énéide// dans son //Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires de la langue françoise//. Publié en 1818, l'ouvrage mérite cependant d'être mentionné, parce qu'il inaugure une série de dictionnaires frondeurs où les poèmes de Delille − //Homme des champs// compris − sont embarqués dans **une bataille contre l'inertie de l'Académie française**. Le //Dictionnaire// de Laveaux est destiné à souligner les "nouveaux usages", les "nouvelles expressions" et les "nouveaux tours" du français moderne, absents des dictionnaires antérieurs, de même que les "nouveaux abus[(Jean-Charles Laveaux, "Discours préliminaire", //Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires de la langue françoise, par J.-Ch. Laveaux//, Paris, Lefèvre, 1818, p.I.)]". Laveaux se soulève en particulier contre la "suprématie grammaticale[(//Id.//, p. IV.)]" de l'Académie dont le //Dictionnaire// a borné et asséché la langue. Aux grammairiens de l'Académie, il oppose d'autres autorités, les "écrivains célèbres[(//Id.//, p. IX.)]". Quoique ancien membre de l'Académie, Delille compte parmi eux. //L'Énéide// est systématiquement citée pour compléter ou pour contredire les définitions de la cinquième édition du //Dictionnaire de l'Académie française//, datant de 1798.+Jean-Charles Laveaux (1749-1827), qui cite abondamment le poète, ne recourt presque exclusivement qu'à sa traduction de //L'Énéide// dans son //Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires de la langue françoise//. Publié en 1818, l'ouvrage mérite cependant d'être mentionné, parce qu'il inaugure une série de dictionnaires frondeurs où les poèmes de Delille − //Homme des champs// compris − sont embarqués dans **une bataille contre l'inertie de l'Académie française**. Le //Dictionnaire// de Laveaux est destiné à souligner les "nouveaux usages", les "nouvelles expressions" et les "nouveaux tours" du français moderne, absents des dictionnaires antérieurs, de même que les "nouveaux abus[(Jean-Charles Laveaux, "Discours préliminaire", //Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires de la langue françoise, par J.-Ch. Laveaux//, Paris, Lefèvre, 1818, p.(nbsp)I.)]". Laveaux se soulève en particulier contre la "suprématie grammaticale[(//Id.//, p. IV.)]" de l'Académie dont le //Dictionnaire// a borné et asséché la langue. Aux grammairiens de l'Académie, il oppose d'autres autorités, les "écrivains célèbres[(//Id.//, p. IX.)]". Quoique ancien membre de l'Académie, Delille compte parmi eux. //L'Énéide// est systématiquement citée pour compléter ou pour contredire les définitions de la cinquième édition du //Dictionnaire de l'Académie française//, datant de 1798.
  
 \\ **En attendant la réforme orthographique de 1835** \\ **En attendant la réforme orthographique de 1835**
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-La poésie a peut-être été moins favorablement traitée [que la prose]; mais les derniers travaux de Voltaire et les brillantes compositions de Delille ont cependant enrichi le vocabulaire poétique d'une foule de mots qu'une timidité malheureuse ou maladroite en avoit jusqu'alors écartés, ou d'acceptions nouvelles qui sont restées dans la langue; et même, parmi les écrivains de nos jours, il en est quelques-uns qui par des hardiesses heureuses ont agrandi le domaine de cette langue, en même temps qu'ils ont ajouté de nouveaux titres à notre gloire littéraire[(Jean-François Boissonade, Désiré-Raoul Rochette, "Prospectus", //Dictionnaire universel de la langue françoise, […] Composé et publié par M. Raoul-Rochette, membre de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres de l'Institut de France. D'après les matériaux recueillis en grande partie par M. Boissonade, membre de la même académie//, Paris, H. Nicolle, 1819, p. 3.)].+La poésie a peut-être été moins favorablement traitée [que la prose](nbsp); mais les derniers travaux de Voltaire et les brillantes compositions de Delille ont cependant enrichi le vocabulaire poétique d'une foule de mots qu'une timidité malheureuse ou maladroite en avoit jusqu'alors écartés, ou d'acceptions nouvelles qui sont restées dans la langue(nbsp); et même, parmi les écrivains de nos jours, il en est quelques-uns qui par des hardiesses heureuses ont agrandi le domaine de cette langue, en même temps qu'ils ont ajouté de nouveaux titres à notre gloire littéraire[(Jean-François Boissonade, Désiré-Raoul Rochette, "Prospectus", //Dictionnaire universel de la langue françoise, […] Composé et publié par M. Raoul-Rochette, membre de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres de l'Institut de France. D'après les matériaux recueillis en grande partie par M. Boissonade, membre de la même académie//, Paris, H. Nicolle, 1819, p. 3.)].
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-Seuls paraissent le prospectus et quelques pages de ce //Dictionnaire universel// qui cite occasionnellement //L'Homme des champs//; les deux collaborateurs abandonnent le projet.+Seuls paraissent le prospectus et quelques pages de ce //Dictionnaire universel// qui cite occasionnellement //L'Homme des champs//(nbsp); les deux collaborateurs abandonnent le projet.
  
 Autre projet avorté, le [[pougenstresor|Trésor des origines et dictionnaire raisonné de la langue française]] de [[pougens|Charles de Pougens]], dont un "spécimen" de 450 pages paraît en 1819, aurait accordé une place importante à Delille. Là encore, l'ouvrage témoigne du besoin de réviser le //Dictionnaire de l'Académie française//, en attendant sa prochaine édition. Pougens souhaite explorer l'étymologie des mots et présenter la définition de toutes leurs acceptions. Dans cette perspective-ci, il cite volontiers //L'Homme des champs// − à la diffusion duquel il s'était associé en 1800 en tant que libraire − et les autres poèmes de Delille. Son projet vise bien à "étendre le domaine de la langue[(//Id.//, p. 10.)]", mais sans prendre la liberté de valider définitivement les innovations linguistiques des dernières décennies(nbsp): Autre projet avorté, le [[pougenstresor|Trésor des origines et dictionnaire raisonné de la langue française]] de [[pougens|Charles de Pougens]], dont un "spécimen" de 450 pages paraît en 1819, aurait accordé une place importante à Delille. Là encore, l'ouvrage témoigne du besoin de réviser le //Dictionnaire de l'Académie française//, en attendant sa prochaine édition. Pougens souhaite explorer l'étymologie des mots et présenter la définition de toutes leurs acceptions. Dans cette perspective-ci, il cite volontiers //L'Homme des champs// − à la diffusion duquel il s'était associé en 1800 en tant que libraire − et les autres poèmes de Delille. Son projet vise bien à "étendre le domaine de la langue[(//Id.//, p. 10.)]", mais sans prendre la liberté de valider définitivement les innovations linguistiques des dernières décennies(nbsp):
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 Contemporain de Pougens, [[noel|François Noël]] confirme en 1831 la place centrale qu'occupe Delille dans le renouvellement de la langue française, non plus en termes d'orthographie, mais de lexique. La [[noelphilologie|Philologie française ou dictionnaire étymologique, critique, historique, anecdotique, littéraire]] est écrite à la gloire des **néologismes**, apparus notamment pendant la décennie révolutionnaire, et des **archaïsmes** que les grammairiens classiques ont évincés dans le courant des XVII/^e^/ et XVIII/^e^/ siècles. S'écartant de la tradition lexicographique, Noël a besoin de substituer à l'autorité des Académiciens celle des écrivains les mieux consacrés. À cet égard, Delille a l'avantage d'être à la fois **un ancien membre de l'Académie française et un poète au talent reconnu**, ce qui donne une forte légitimité aux néologismes, aux archaïsmes et aux différentes formes d'emplois figurés qu'on trouve dans ses œuvres. En outre, les hardiesses de Delille conviennent d'autant mieux à Noël qu'elles ne sont pas déraisonnables. Par exemple, selon Noël, Delille est le premier auteur moderne à utiliser l'adjectif //inglorieux// dans //Les Trois Règnes de la nature// mais, loin de représenter une licence, ce néologisme est motivé par son utilité dans le registre poétique et parce qu'il est fondé sur un étymon latin attesté, le mot //ingloriosus//[(Voir INGLORIEUX, EUSE, //adj.//, in Louis Carpentier, François Noël, //Philologie française ou dictionnaire étymologique, critique, historique, anecdotique, littéraire, contenant un choix d'Archaïsmes, de Néologismes, d'Euphémismes, d'expressions figurées ou poétiques, de tours hardis, d'heureuses alliances de mots, de solutions grammaticales, etc. Pour servir à l'histoire de la langue française. Par M. Fr. Noël, ancien membre du Conseil d'Instruction publique, inspecteur-général honoraire, chevalier de la Légion-d'Honneur, de plusieurs Sociétés savantes, auteur du Cours de Littérature comparée, etc. Et M. L. J. Carpentier, Membre de l'Université, auteur du Gradus français, etc.//, Paris, Le Normant père, 1831, t. 2, p. 49.)]. Contemporain de Pougens, [[noel|François Noël]] confirme en 1831 la place centrale qu'occupe Delille dans le renouvellement de la langue française, non plus en termes d'orthographie, mais de lexique. La [[noelphilologie|Philologie française ou dictionnaire étymologique, critique, historique, anecdotique, littéraire]] est écrite à la gloire des **néologismes**, apparus notamment pendant la décennie révolutionnaire, et des **archaïsmes** que les grammairiens classiques ont évincés dans le courant des XVII/^e^/ et XVIII/^e^/ siècles. S'écartant de la tradition lexicographique, Noël a besoin de substituer à l'autorité des Académiciens celle des écrivains les mieux consacrés. À cet égard, Delille a l'avantage d'être à la fois **un ancien membre de l'Académie française et un poète au talent reconnu**, ce qui donne une forte légitimité aux néologismes, aux archaïsmes et aux différentes formes d'emplois figurés qu'on trouve dans ses œuvres. En outre, les hardiesses de Delille conviennent d'autant mieux à Noël qu'elles ne sont pas déraisonnables. Par exemple, selon Noël, Delille est le premier auteur moderne à utiliser l'adjectif //inglorieux// dans //Les Trois Règnes de la nature// mais, loin de représenter une licence, ce néologisme est motivé par son utilité dans le registre poétique et parce qu'il est fondé sur un étymon latin attesté, le mot //ingloriosus//[(Voir INGLORIEUX, EUSE, //adj.//, in Louis Carpentier, François Noël, //Philologie française ou dictionnaire étymologique, critique, historique, anecdotique, littéraire, contenant un choix d'Archaïsmes, de Néologismes, d'Euphémismes, d'expressions figurées ou poétiques, de tours hardis, d'heureuses alliances de mots, de solutions grammaticales, etc. Pour servir à l'histoire de la langue française. Par M. Fr. Noël, ancien membre du Conseil d'Instruction publique, inspecteur-général honoraire, chevalier de la Légion-d'Honneur, de plusieurs Sociétés savantes, auteur du Cours de Littérature comparée, etc. Et M. L. J. Carpentier, Membre de l'Université, auteur du Gradus français, etc.//, Paris, Le Normant père, 1831, t. 2, p. 49.)].
  
-Encore une fois, et quoiqu'il soit cité à plusieurs reprises, **//L'Homme des champs// n'est pas identifié comme une œuvre particulièrement novatrice** par le philologue. Pour rédiger son dictionnaire, celui-ci collabore avec [[carpentier|Louis Carpentier]] qui avait donné dans la décennie précédente un [[carpentiergradus|Gradus français, ou dictionnaire de la langue poétique]] (1822). Le projet de Carpentier était différent(nbsp): sous la forme d'un dictionnaire, il offrait aux étudiants et aux écrivains tout un répertoire de tournures poétiques pour guider leurs compositions. Fortement attaché à l'esthétique classique, il citait abondamment les périphrases et autres figures déployées par Delille dans //L'Homme des champs// sans choquer la bienséance et le bon goût[(Sur la réception des périphrases de //L'Homme des champs//, voir aussi la fiche consacrée à [[gourmontculture|La Culture des idées]] (1900) du critique [[gourmont|Remy de Gourmont]].)]. Plus ouverte à la nouvelle école littéraire et plus nettement tournée vers une réforme de la langue, la //Philologie française// boude quant à elle des poèmes comme //L'Homme des champs// et //Les Jardins// au profit des //Trois Règnes// et des traductions de Virgile. On constate le même désintérêt pour //L'Homme des champs// dans d'autres dictionnaires de l'époque, comme ceux de Charles Martin (1830)[(Charles Martin, //Le Voleur grammatical ou dictionnaire des difficultés de la langue française et des locutions vicieuses appuyées de raisonnements empruntés aux meilleurs grammairiens; Ouvrage dans lequel on trouve un Traité complet du Participe et du Subjonctif(nbsp): Par Ch. Martin, auteur du manuel des écoles primaires, membre de l'Académie grammaticale de Paris, maître de pension. Deuxième édition, revue, corrigée et augmentée d'un traité de ponctuation// [1ère édition : 1830], Paris, Auguste Delalain, 1833.)] et de Napoléon Landais (1834)[(Napoléon Landais, //Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires français, Extrait et Complément de tous les Dictionnaires les plus célèbres// [...] //Par Napoléon Landais. Revu par un comité d'anciens inspecteurs de l'Université, de proviseurs et de professeurs des collèges royaux//, Paris, Bureau central, 1834.)].+Encore une fois, et quoiqu'il soit cité à plusieurs reprises, **//L'Homme des champs// n'est pas identifié comme une œuvre particulièrement novatrice** par le philologue. Pour rédiger son dictionnaire, celui-ci collabore avec [[carpentier|Louis Carpentier]] qui avait donné dans la décennie précédente un [[carpentiergradus|Gradus français, ou dictionnaire de la langue poétique]] (1822). Le projet de Carpentier était différent(nbsp): sous la forme d'un dictionnaire, il offrait aux étudiants et aux écrivains tout un répertoire de tournures poétiques pour guider leurs compositions. Fortement attaché à l'esthétique classique, il citait abondamment les périphrases et autres figures déployées par Delille dans //L'Homme des champs// sans choquer la bienséance et le bon goût[(Sur la réception des périphrases de //L'Homme des champs//, voir aussi la fiche consacrée à [[gourmontculture|La Culture des idées]] (1900) du critique [[gourmont|Remy de Gourmont]].)]. Plus ouverte à la nouvelle école littéraire et plus nettement tournée vers une réforme de la langue, la //Philologie française// boude quant à elle des poèmes comme //L'Homme des champs// et //Les Jardins// au profit des //Trois Règnes// et des traductions de Virgile. On constate le même désintérêt pour //L'Homme des champs// dans d'autres dictionnaires de l'époque, comme ceux de Charles Martin (1830)[(Charles Martin, //Le Voleur grammatical ou dictionnaire des difficultés de la langue française et des locutions vicieuses appuyées de raisonnements empruntés aux meilleurs grammairiens(nbsp); Ouvrage dans lequel on trouve un Traité complet du Participe et du Subjonctif(nbsp): Par Ch. Martin, auteur du manuel des écoles primaires, membre de l'Académie grammaticale de Paris, maître de pension. Deuxième édition, revue, corrigée et augmentée d'un traité de ponctuation// [1ère édition : 1830], Paris, Auguste Delalain, 1833.)] et de Napoléon Landais (1834)[(Napoléon Landais, //Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires français, Extrait et Complément de tous les Dictionnaires les plus célèbres// [...] //Par Napoléon Landais. Revu par un comité d'anciens inspecteurs de l'Université, de proviseurs et de professeurs des collèges royaux//, Paris, Bureau central, 1834.)].
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