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vidalexamenimpartial [2023/03/10 14:35] – Espaces insécables : pour les points-virgules Timothée Léchotvidalexamenimpartial [2023/03/10 14:36] – Espaces insécables : pour les points d'interrogation Timothée Léchot
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 ===== Première question : objet et titre ===== ===== Première question : objet et titre =====
  
-Dans un premier temps, Vidal demande : "//Quel est l'objet de ce poëme ? – Le titre & l'exposition l'annoncent-ils suffisamment//[(//Ibid//.)]?". Il prend donc à bras le corps un des reproches les plus fréquemment adressés à Delille, l'idée d'un titre inadéquat.+Dans un premier temps, Vidal demande : "//Quel est l'objet de ce poëme ? – Le titre & l'exposition l'annoncent-ils suffisamment//[(//Ibid//.)](nbsp)?". Il prend donc à bras le corps un des reproches les plus fréquemment adressés à Delille, l'idée d'un titre inadéquat.
  
 Vidal commence par montrer que l'œuvre, même si elle fait ponctuellement mine de s'en défendre, est bien **didactique**, et qu'elle entend donner de "véritables préceptes" pour "faire aimer tout ce qui est relatif à la campagne". Mais il admet "avec le //Mercure//" que l'exposition ne donne pas une idée assez claire du contenu des quatre chants qui ont chacun "son objet particulier[(//Id//., p. 74-75.)]". Et il adopte les réserves formulées contre le titre, mal adapté. Puisque, "par l'Homme des champs, on a toujours entendu le simple habitant des campagnes; & par les Géorgiques, le travail de la terre", et puisqu'ici "le poëte ne s'adresse qu'au riche propriétaire, […] assez puissant & assez éclairé pou faire usage de ses leçons", Delille force le sens de ces mots, en procédant à un "néologisme" mal venu[(//Id//., p. 77.)]. Vidal commence par montrer que l'œuvre, même si elle fait ponctuellement mine de s'en défendre, est bien **didactique**, et qu'elle entend donner de "véritables préceptes" pour "faire aimer tout ce qui est relatif à la campagne". Mais il admet "avec le //Mercure//" que l'exposition ne donne pas une idée assez claire du contenu des quatre chants qui ont chacun "son objet particulier[(//Id//., p. 74-75.)]". Et il adopte les réserves formulées contre le titre, mal adapté. Puisque, "par l'Homme des champs, on a toujours entendu le simple habitant des campagnes; & par les Géorgiques, le travail de la terre", et puisqu'ici "le poëte ne s'adresse qu'au riche propriétaire, […] assez puissant & assez éclairé pou faire usage de ses leçons", Delille force le sens de ces mots, en procédant à un "néologisme" mal venu[(//Id//., p. 77.)].
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-On n'accusera jamais de stérilité un génie aussi fécond que celui de Delille. Mais ce chant n'est-il pas lié au sujet du poëme par le même moyen que le précédent? Dans le début de l'un, je lis(nbsp):+On n'accusera jamais de stérilité un génie aussi fécond que celui de Delille. Mais ce chant n'est-il pas lié au sujet du poëme par le même moyen que le précédent(nbsp)? Dans le début de l'un, je lis(nbsp):
  
 Heureux qui, dans le sein de ses dieux domestiques, Heureux qui, dans le sein de ses dieux domestiques,
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 De qui les vers usés ont vieilli leurs Nayades,.... De qui les vers usés ont vieilli leurs Nayades,....
  
-"A quoi bon (dit le même journal), & à qui s'adressent ces vers satyriques? Il s'agit de voir des ruisseaux dans la nature, & non dans des vers fades ou non. Des rimeurs fades ont pu chanter des ruisseaux à effets nobles & grands, & les chanter mal. Trouvez-vous mauvais qu'ils aient mis des Nayades dans leurs vers? vous en avez mis aussi dans les vôtres.+"A quoi bon (dit le même journal), & à qui s'adressent ces vers satyriques(nbsp)? Il s'agit de voir des ruisseaux dans la nature, & non dans des vers fades ou non. Des rimeurs fades ont pu chanter des ruisseaux à effets nobles & grands, & les chanter mal. Trouvez-vous mauvais qu'ils aient mis des Nayades dans leurs vers(nbsp)? vous en avez mis aussi dans les vôtres.
  
 Et Pomone & Palès & Flore & les Dryades, Et Pomone & Palès & Flore & les Dryades,
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 \\ Je ne sais plus alors ce que deviendra le précepte de Boileau, \\ Je ne sais plus alors ce que deviendra le précepte de Boileau,
  
-Voulez-vous du public mériter les amours?+Voulez-vous du public mériter les amours(nbsp)?
 \\ Sans cesse, en écrivant, variez vos discours(nbsp); \\ Sans cesse, en écrivant, variez vos discours(nbsp);
 \\ Un style trop égal et toujours uniforme, \\ Un style trop égal et toujours uniforme,
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 Enfin, le poète nous invite à conserver au milieu de cette galerie d'animaux, un oiseau ou un chien que nous avons aimé. C'est ce qui lui donne occasion de nous dire la simple apothéose qu'il y eût fait [//sic//] de sa chère Raton[(NDA: "Dans les onze premiers vers de ce morceau (dit la //Décade//), l'auteur parle de sa chatte au passé, & dans le douzième il en parle au présent(nbsp); de manière qu'on ne sait pas si elle est morte ou vivante. Cette remarque eft juste.")]. Enfin, le poète nous invite à conserver au milieu de cette galerie d'animaux, un oiseau ou un chien que nous avons aimé. C'est ce qui lui donne occasion de nous dire la simple apothéose qu'il y eût fait [//sic//] de sa chère Raton[(NDA: "Dans les onze premiers vers de ce morceau (dit la //Décade//), l'auteur parle de sa chatte au passé, & dans le douzième il en parle au présent(nbsp); de manière qu'on ne sait pas si elle est morte ou vivante. Cette remarque eft juste.")].
-\\ Ce petit épisode est écrit en vers charmans(nbsp): mais il n'est pas à l'abri d'une juste cenfure. En effet, "dit le //Moniteur//, devoit-il terminer un chant dont le sujet est si magnifique, & ne conviendroit-il pas mieux dans une épître badine qu'à la fin d'un riche tableau des révolutions du globe & des trois règnes de la nature?" J'aime beaucoup les contrastes, mais //est modus in rebus//. Oh\ ! que j'aimerois bien mieux que cet épisode fût remplacé par l'hymne sublime que l'auteur adresse à la nature dans son dernier chant\ !+\\ Ce petit épisode est écrit en vers charmans(nbsp): mais il n'est pas à l'abri d'une juste cenfure. En effet, "dit le //Moniteur//, devoit-il terminer un chant dont le sujet est si magnifique, & ne conviendroit-il pas mieux dans une épître badine qu'à la fin d'un riche tableau des révolutions du globe & des trois règnes de la nature(nbsp)?" J'aime beaucoup les contrastes, mais //est modus in rebus//. Oh\ ! que j'aimerois bien mieux que cet épisode fût remplacé par l'hymne sublime que l'auteur adresse à la nature dans son dernier chant\ !
  
 Nature ! ô séduisante & sublime déesse ! Nature ! ô séduisante & sublime déesse !
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 \\ Que de fleuves fameux y terminent leur course !  \\ Que de fleuves fameux y terminent leur course ! 
  
-Mais peut-on en dire autant de ceux-ci, que la //Décade// a critiqués si injustement?+Mais peut-on en dire autant de ceux-ci, que la //Décade// a critiqués si injustement(nbsp)?
  
 Combien de temps sur lui l'Océan a coulé\ ! Combien de temps sur lui l'Océan a coulé\ !
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 \\ Tyr n'est plus,Thèbes meurt, et les yeux cherchent Rome\ ! \\ Tyr n'est plus,Thèbes meurt, et les yeux cherchent Rome\ !
  
-En vain je cherche dans l'antiquité des morceaux de ce genre plus beaux que ces deux derniers. Vous, qui faites de Delille comme de Boileau, un versificateur, un imitateur excellent, mais qui lui resfusez l'imagination d'un poëte, lisez ces vers & répondez. L'admiration dont je suis pénétré me laisse à peine la faculté d'en analyser les beautés innombrables. Et d'ailleurs, ai-je besoin de faire remarquer des beautés aussi frappantes? Dirai-je comme cette peinture des avalanches est admirablement préparée & terminée par deux principes de la plus sublime philosophie? Ferai-je observer l'harmonie mâle & imitative de ces vers, & la marche d'abord rapide & ensuite pesante de cette phrase qui nous offre la plus belle gradation que l'on puisse citer? Non sans doute, je n'entrerai point dans ces détails superflus. De semblables beautés sont senties par tout le monde, & ce seroit même affoiblir l'enthousiasme qu'elles inspirent, que de vouloir les expliquer[(//Id//., p. 98-101.)].+En vain je cherche dans l'antiquité des morceaux de ce genre plus beaux que ces deux derniers. Vous, qui faites de Delille comme de Boileau, un versificateur, un imitateur excellent, mais qui lui resfusez l'imagination d'un poëte, lisez ces vers & répondez. L'admiration dont je suis pénétré me laisse à peine la faculté d'en analyser les beautés innombrables. Et d'ailleurs, ai-je besoin de faire remarquer des beautés aussi frappantes(nbsp)? Dirai-je comme cette peinture des avalanches est admirablement préparée & terminée par deux principes de la plus sublime philosophie(nbsp)? Ferai-je observer l'harmonie mâle & imitative de ces vers, & la marche d'abord rapide & ensuite pesante de cette phrase qui nous offre la plus belle gradation que l'on puisse citer(nbsp)? Non sans doute, je n'entrerai point dans ces détails superflus. De semblables beautés sont senties par tout le monde, & ce seroit même affoiblir l'enthousiasme qu'elles inspirent, que de vouloir les expliquer[(//Id//., p. 98-101.)].
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 Je pourrois résoudre la première de ces questions [//celle sur l'effet//] par un seul mot, l'admiration. Cependant on me permettra d'avancer ici quelques considérations qui naissent de l'ensemble de mon examen. Je pourrois résoudre la première de ces questions [//celle sur l'effet//] par un seul mot, l'admiration. Cependant on me permettra d'avancer ici quelques considérations qui naissent de l'ensemble de mon examen.
-\\ Le poëme de l'Homme des champs inspire sans doute de l'admiration au lecteur qui est assez éclairé pour en sentir tout le mérite. Mais ce sentiment est-il l'unique effet que doive produire un ouvrage? Et un auteur ne doit-il pas offrir à notre ame quelque chose qui l'attache & qui l'intéresse davantage? Un peintre peul facilement promener notre admiration sur une riche collection de diffèrent tableaux. Mais quelle impression nous en reste-t-il lorsque nous sommes sortis de son cabinet? Nous nous disons que ce qu'il nous a montré est magnifique, &p eu après, le souvenir même s'en efface. Un poëme, dont toutes les parties sont achevées en elles- mêmes, pourroit donc produire de l'admiration, sans avoir le mérite d'un bel ensemble. Il y aucoît sans doute du rigorisme à vouloir faire une entière application de cet exemple aux Géorgiques françaises(nbsp): cependant ce ne seroit pas tout à fait sans fondement. On me répondra, & avec raison, que Delille ne se borne pas à nous faire admirer l'art de chacun de ses tableaux, & que son objet principal est de nous enseigner à jouir de tout ce qui est relatif à la campagne. Or, ajoutera-t-on, que l'on mette ce poëme dans les mains d'un homme doué d'une grande fortune & d'un esprit cultivé, & il est certain qu'il en sera son livre favori. Je n'en doute point, mais dans cet examen il s'agit plus de la forme que du sujet de cet ouvrage. I1 suffira donc, pour répondre à la question que je me suis proposée, de combiner les observations que nous venons de faire, & on conviendra que ce poëme nous inspire une admiration qui est quelquefois mêlée d'étonnement. Il est semblable à un édifice dont la construction est fort irrégulière, mais qui, dans l'intérieur, offre des salons somptueux & richement décorés. On admire chacune de ses parties séparément, mais on s'étonne que d'un vestibule resserré, difficile, & qui semble conduire à une chambre rustique, on entre dans des appartemens magnifiques, & mal disposés entr'eux. On peut donc conclure que si Delille établissoit de l'ordre dans son poëme l'étonnement que nous éprouvons en le parcourant s'évanouiroit, & que notre admiration, toujours soutenue, se porteroit autant sur la perfection du plan que sur celle des détails.+\\ Le poëme de l'Homme des champs inspire sans doute de l'admiration au lecteur qui est assez éclairé pour en sentir tout le mérite. Mais ce sentiment est-il l'unique effet que doive produire un ouvrage(nbsp)? Et un auteur ne doit-il pas offrir à notre ame quelque chose qui l'attache & qui l'intéresse davantage(nbsp)? Un peintre peul facilement promener notre admiration sur une riche collection de diffèrent tableaux. Mais quelle impression nous en reste-t-il lorsque nous sommes sortis de son cabinet(nbsp)? Nous nous disons que ce qu'il nous a montré est magnifique, &p eu après, le souvenir même s'en efface. Un poëme, dont toutes les parties sont achevées en elles- mêmes, pourroit donc produire de l'admiration, sans avoir le mérite d'un bel ensemble. Il y aucoît sans doute du rigorisme à vouloir faire une entière application de cet exemple aux Géorgiques françaises(nbsp): cependant ce ne seroit pas tout à fait sans fondement. On me répondra, & avec raison, que Delille ne se borne pas à nous faire admirer l'art de chacun de ses tableaux, & que son objet principal est de nous enseigner à jouir de tout ce qui est relatif à la campagne. Or, ajoutera-t-on, que l'on mette ce poëme dans les mains d'un homme doué d'une grande fortune & d'un esprit cultivé, & il est certain qu'il en sera son livre favori. Je n'en doute point, mais dans cet examen il s'agit plus de la forme que du sujet de cet ouvrage. I1 suffira donc, pour répondre à la question que je me suis proposée, de combiner les observations que nous venons de faire, & on conviendra que ce poëme nous inspire une admiration qui est quelquefois mêlée d'étonnement. Il est semblable à un édifice dont la construction est fort irrégulière, mais qui, dans l'intérieur, offre des salons somptueux & richement décorés. On admire chacune de ses parties séparément, mais on s'étonne que d'un vestibule resserré, difficile, & qui semble conduire à une chambre rustique, on entre dans des appartemens magnifiques, & mal disposés entr'eux. On peut donc conclure que si Delille établissoit de l'ordre dans son poëme l'étonnement que nous éprouvons en le parcourant s'évanouiroit, & que notre admiration, toujours soutenue, se porteroit autant sur la perfection du plan que sur celle des détails.
 Cette remarque est la plus importante qu'on puisse faire sur cet ouvrage, & j'ai cru pouvoir y revenir plusieurs fois, parce qu'elle n'est pas conforme à l'opinion de tout le monde. Ainsi je fais, à l'égard d'une opinion qui me semble erronée, ce que Condillac faisoit à l'égard des préjugés. Quand on combat un préjugé, disoit- il, il faut l'attaquer à plusieurs reprises[(//Id//., p.(nbsp)108-110.)]. Cette remarque est la plus importante qu'on puisse faire sur cet ouvrage, & j'ai cru pouvoir y revenir plusieurs fois, parce qu'elle n'est pas conforme à l'opinion de tout le monde. Ainsi je fais, à l'égard d'une opinion qui me semble erronée, ce que Condillac faisoit à l'égard des préjugés. Quand on combat un préjugé, disoit- il, il faut l'attaquer à plusieurs reprises[(//Id//., p.(nbsp)108-110.)].
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-Ce plan [//alternatif//] est fort simple à la vérité, & c'est pour cela qu'il est bon. Mais le génie ne peut-il pas inventer quelque chose de fort bon, qui pourtant s'élève au-dessus du simple? Lorsque Thomas a composé son éloge de Marc-Aurèle, un plan simple auroit-il valu la marche neuve & dramatique qu'il a donnée à son discours? Je ne le croirai jamais. Or, Delille peut prendre un essor semblable, & arriver à son but par des routes qu'il se sera frayées lui-même. Telle est ma conclusion[(//Id//., p.(nbsp)110-111.)].+Ce plan [//alternatif//] est fort simple à la vérité, & c'est pour cela qu'il est bon. Mais le génie ne peut-il pas inventer quelque chose de fort bon, qui pourtant s'élève au-dessus du simple(nbsp)? Lorsque Thomas a composé son éloge de Marc-Aurèle, un plan simple auroit-il valu la marche neuve & dramatique qu'il a donnée à son discours(nbsp)? Je ne le croirai jamais. Or, Delille peut prendre un essor semblable, & arriver à son but par des routes qu'il se sera frayées lui-même. Telle est ma conclusion[(//Id//., p.(nbsp)110-111.)].
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 ===== Un appel final  ===== ===== Un appel final  =====