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vidalexamenimpartial [2019/05/21 20:52] – [Une position surplombante] Hugues Marchalvidalexamenimpartial [2019/05/22 16:13] – [Les réussites] Hugues Marchal
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 ====== Vidal, "Examen impartial de L'Homme des champs…" ====== ====== Vidal, "Examen impartial de L'Homme des champs…" ======
  
-L'"Examen impartial de L'Homme des champs ou les Géorgiques françaises de Jacques Delille, & des principales critiques qui en ont été faites" paraît en deux livraisons, en avril et mai 1801, dans l'//Esprit des journaux français et étrangers//. Ce texte, signé par Vidal, est un **article original**, bien que le périodique bruxellois qui l'accueille soit spécialisé dans la compilation des textes de presse, et il y tranche en outre par sa longueur, puisqu'il se déploie sur près de **soixante-dix pages**[(Vidal, "Examen impartial de L'Homme des champs ou les Géorgiques françaises de Jacques Delille, & des principales critiques qui en ont été faites", //Esprit des journaux français et étrangers//, germinal an IX (avril 1801), p.\ 73-122 et floréal an IX (mai 1801), p.\ 73-110.)]. C'est que Vidal ne se contente pas d'émettre un avis sur le poème de Delille\ ; il entend proposer une **synthèse d'envergure sur le texte et sa réception**.+**Fiche en cours de rédaction** 
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 +L'"Examen impartial de L'Homme des champs ou les Géorgiques françaises de Jacques Delille, & des principales critiques qui en ont été faites" paraît en deux livraisons, en avril et mai 1801, dans l'//Esprit des journaux français et étrangers//. Ce texte, signé par Vidal, est un **article original**, bien que le périodique bruxellois qui l'accueille soit spécialisé dans la compilation des textes de presse. Il y tranche en outre par sa longueur, puisqu'il se déploie sur près de **soixante-dix pages**[(Vidal, "Examen impartial de L'Homme des champs ou les Géorgiques françaises de Jacques Delille, & des principales critiques qui en ont été faites", //Esprit des journaux français et étrangers//, germinal an IX (avril 1801), p.\ 73-122 et floréal an IX (mai 1801), p.\ 73-110.)]. C'est que Vidal ne se contente pas d'émettre un avis sur le poème de Delille\ ; il entend proposer une **synthèse d'envergure sur le texte et sa réception**.
  
 ===== Une position surplombante ===== ===== Une position surplombante =====
  
-Vidal motive ce choix en expliquant dès sa première phrase que l'œuvre a connu un retentissement tel que **tous ses lecteurs en auront déjà pris connaissance**, sinon directement, du moins par la presse, via des critiques aux compétences incertaines. Or Vidal revendique une sorte de droit d'inventaire élitiste, appliqué aux comptes rendus du meilleur niveau\ :+Vidal motive ce choix en expliquant dès sa première phrase que l'œuvre a connu un retentissement tel que **tous ses lecteurs en auront déjà pris connaissance**, sinon directement, du moins par la presse, via des critiques aux compétences incertaines. Il revendique pour sa part une sorte de droit d'inventaire élitiste, appliqué aux comptes rendus du meilleur niveau\ :
  
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-Il est peu de personnes en France qui n'aient lu les Géorgiques françaises, ou qui n'aient voulu en avoir quelque idée par les journaux. La plupart de ceux-ci ont fait, chacun à leur manière, l'analyse d'un ouvrage qui ne peut pas être analysé par tout le monde\ : car, dit fort bien Delille, "ce genre de composition, qui demande des auteurs de grand talent, veut aussi des lecteurs au goût exquis[(Citation de la préface du poème.)] […]." Mais comme tous les journalistes ne sont pas des Horace […], on devait s'attendre à des jugements sur les Géorgiques françaises qui ne seraient pas tout à fait les oracles du bon goût. Le suns croyant //que louer n'est pas du bel esprit//, ont descendu dans les plus petites minuties pour trouver quelque chose à critiquer dans ce poème, tandis que d'autres l'ont exalté au-dessus de tous els ouvrages de ce genre. Nous ne parlerons donc point de la foule des journaux. mais parmi ceux qui défendent avec dignité l'honneur des letters françaises, le //Mercure de France//, la //Décade philosophique// & le //Moniteur universel// ont donné des extraits de cet ouvrage de manière très-différente & plus ou moins judicieuse. j'ai donc adopté ou réfuté leurs observations, suivant qu'elles m'ont paru justes ou injustes[([//Id//., avril 1801, p. 73-74.)].</WRAP>+Il est peu de personnes en France qui n'aient lu les Géorgiques françaises, ou qui n'aient voulu en avoir quelque idée par les journaux. La plupart de ceux-ci ont fait, chacun à leur manière, l'analyse d'un ouvrage qui ne peut pas être analysé par tout le monde\ : car, dit fort bien Delille, "ce genre de composition, qui demande des auteurs de grand talent, veut aussi des lecteurs au goût exquis[(Citation de la préface du poème.)] […]." Mais comme tous les journalistes ne sont pas des Horace […], on devait s'attendre à des jugements sur les Géorgiques françaises qui ne seraient pas tout à fait les oracles du bon goût. Les uns croyant //que louer n'est pas du bel esprit//, ont descendu dans les plus petites minuties pour trouver quelque chose à critiquer dans ce poème, tandis que d'autres l'ont exalté au-dessus de tous els ouvrages de ce genre. Nous ne parlerons donc point de la foule des journaux. mais parmi ceux qui défendent avec dignité l'honneur des letters françaises, le //Mercure de France//, la //Décade philosophique// & le //Moniteur universel// ont donné des extraits de cet ouvrage de manière très-différente & plus ou moins judicieuse. j'ai donc adopté ou réfuté leurs observations, suivant qu'elles m'ont paru justes ou injustes[(//Id//., avril 1801, p. 73-74.)].</WRAP>
  
 Autre effort de distinction, Vidal annonce que son plan lui sera "entièrement propre", aussi organise son article en "questions" qui, selon lui, "peuvent, en général, s'adapter à l'examen de toute espèce de poëme[(//Id//., p. 74.)]". Ce sont ses questions, qu'il numérote, qui structurent la suite du texte. Toutefois, cette **singularité est toute relative**, car Vidal suit à peu près le plan adopté plus tôt par David, dans son long [[compterendumoniteuruniversel|compte rendu du Moniteur]], qu'il connaissait, puisqu'il y renvoie. Ses considérations générales, faisant état des autres critiques, cèdent le pas à un examen du poème structuré par chants, puis à des remarques sur le style. Autre effort de distinction, Vidal annonce que son plan lui sera "entièrement propre", aussi organise son article en "questions" qui, selon lui, "peuvent, en général, s'adapter à l'examen de toute espèce de poëme[(//Id//., p. 74.)]". Ce sont ses questions, qu'il numérote, qui structurent la suite du texte. Toutefois, cette **singularité est toute relative**, car Vidal suit à peu près le plan adopté plus tôt par David, dans son long [[compterendumoniteuruniversel|compte rendu du Moniteur]], qu'il connaissait, puisqu'il y renvoie. Ses considérations générales, faisant état des autres critiques, cèdent le pas à un examen du poème structuré par chants, puis à des remarques sur le style.
  
-===== Objet et titre =====+===== Première question : objet et titre =====
  
 Dans un premier temps, Vidal demande : "Quel est l'objet de ce poëme ? – Le titre & l'exposition l'annoncent-ils suffisamment[(//Ibid//.)]\ ?". Il prend donc à bras le corps un des reproches les plus fréquemment adressés à Delille, l'idée d'un titre inadéquat. Dans un premier temps, Vidal demande : "Quel est l'objet de ce poëme ? – Le titre & l'exposition l'annoncent-ils suffisamment[(//Ibid//.)]\ ?". Il prend donc à bras le corps un des reproches les plus fréquemment adressés à Delille, l'idée d'un titre inadéquat.
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 Vidal commence par montrer que l'œuvre, même si elle fait ponctuellement mine de s'en défendre, est bien **didactique**, et qu'elle entend donner de "véritables préceptes" pour "faire aimer tout ce qui est relatif à la campagne". Mais il admet "avec le //Mercure//" que l'exposition ne donne pas une idée assez claire du contenu des quatre chants qui ont chacun "son objet particulier[(//Id//., p. 74-75.)]". Et il adopte les réserves formulées contre le titre, mal adapté. Puisque, "par l'Homme des champs, on a toujours entendu le simple habitant des campagnes; & par les Géorgiques, le travail de la terre", et puisqu'ici "le poëte ne s'adresse qu'au riche propriétaire, […] assez puissant & assez éclairé pou faire usage de ses leçons", Delille force le sens de ces mots, en procédant à un "néologisme" mal venu[(//Id//., p. 77.)]. Vidal commence par montrer que l'œuvre, même si elle fait ponctuellement mine de s'en défendre, est bien **didactique**, et qu'elle entend donner de "véritables préceptes" pour "faire aimer tout ce qui est relatif à la campagne". Mais il admet "avec le //Mercure//" que l'exposition ne donne pas une idée assez claire du contenu des quatre chants qui ont chacun "son objet particulier[(//Id//., p. 74-75.)]". Et il adopte les réserves formulées contre le titre, mal adapté. Puisque, "par l'Homme des champs, on a toujours entendu le simple habitant des campagnes; & par les Géorgiques, le travail de la terre", et puisqu'ici "le poëte ne s'adresse qu'au riche propriétaire, […] assez puissant & assez éclairé pou faire usage de ses leçons", Delille force le sens de ces mots, en procédant à un "néologisme" mal venu[(//Id//., p. 77.)].
  
-===== Le plan et son "anatomie" =====+===== Deuxième question : le plan et son "anatomie" =====
  
-Vidal, continuant à suivre nombre de ses prédécesseurs, déplore ensuite des "défectuosités du côté de l'ordre et du plan[(//Id//., p. 78.)]"Il entame alors un long **examen du poème, au fil des pages**en faisant "l'anatomie de [chaque] chant par le moyen de l'analyse, & en rapprochant chacune de ses parties dépouillée du charme de la verification", pour mieux montrer "combien peu l'auteur s'y est asservi à un plan régulier[(//Id.//, p. 91.)].+Vidal, suivant ici nombre de ses prédécesseurs, déplore des "défectuosités du côté de l'ordre et du plan[(//Id//., p. 78.)]"Pour que le lecteur puisse en jugeril entreprend de faire "l'anatomie de [chaque] chant par le moyen de l'analyse, & en rapprochant chacune de ses parties dépouillée du charme de la verification", afin de mieux montrer "combien peu l'auteur s'y est asservi à un plan régulier[(//Id.//, p. 91.)]". Toutefois, ses remarques sont loin de se limiter à des traits d'organisation. On a affaire à **un parcours linéaire, mêlant les vers, leurs commentaires par d'autres critiques et le jugement personnel de Vidal**. 
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 +Pour simplifier la lecture, nous distinguerons les remarques sur els chants 1, 2 et 4, avant de revenir au traitement du chant 3. 
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 +==== Les autres chants ====
  
 Dans sa revue du **chant 1**, Vidal s'agace de voir Delille revenir ici et là à sa propre activité, pour "se montrer la plume à la main[(//Id//., p. 86.)]\ ; il signale des transitions forcées et il regrette que certains morceaux, comme la chasse au cerf, s'apparentent à de longs hors-d'œuvre. Mais il concède alors\ : "je serais bien caché que l'auteur en retranchât un seul vers[(//Id//., p. 87.)]" et il note que certaines brusques oppositions déplorées par la critique lui ont paru apporter plutôt "un contraste fort heureux, & très-propre à répandre de la variété[(//Id//., p. 89.)]". Dans sa revue du **chant 1**, Vidal s'agace de voir Delille revenir ici et là à sa propre activité, pour "se montrer la plume à la main[(//Id//., p. 86.)]\ ; il signale des transitions forcées et il regrette que certains morceaux, comme la chasse au cerf, s'apparentent à de longs hors-d'œuvre. Mais il concède alors\ : "je serais bien caché que l'auteur en retranchât un seul vers[(//Id//., p. 87.)]" et il note que certaines brusques oppositions déplorées par la critique lui ont paru apporter plutôt "un contraste fort heureux, & très-propre à répandre de la variété[(//Id//., p. 89.)]".
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 Le **chant 2**, sur l'agriculture, lui semble "le seul auquel le titre de //Géorgique// puisse en quelque sorte convenir". Il est également clairement didactique et autrement mieux lié que le premier\ : "Quant à l'enchaînement de ses parties, il a infiniment plus d'ordre que [le précédent], ce qui fait croire que l'auteur l'a composé sans interruption\ ; avantage que l'autre n'a pas eu apparemment[(//Id//., p. 91.)]". Vidal qualifie sa "brillante exposition" de "sublime" et reproche à la //Décade// d'en avoir fait "une critique politique", puisqu'il tient pour sa part que\ : "Lorsqu'on lit un orme, il faut en examiner le mérite littéraire sans y mêler des opinions politiques[(//Id//., p. 92-93.)]." Le reste du chant est commenté avec éloge, et fait notable, Vidal défend l'épisode final contre les condamnations de nombreux critiques, notamment le //Moniteur//, dont il juge les observations ici "spécieuses[(//Id//., p. 96.)]". Sans être enthousiaste, Vidal juge que l'épisode n'est pas en soi disproportionné, pour lui les "îles flottantes" font bien partie des "phénomènes [de l']agriculture merveilleuse" que Delille a choisi de chanter, et loin de regretter que Delille n'ai pas mis en scène des divinités nordiques, comme Ossian, plutôt qu'un personnel antique, il regrette que le poète ne soit pas passé de ces personnages surnaturels, dont la convocation n'était pas exigée, selon lui, par le caractère "naturel" de l'événement peint[(//Id//., p. 97-98.)]. Le **chant 2**, sur l'agriculture, lui semble "le seul auquel le titre de //Géorgique// puisse en quelque sorte convenir". Il est également clairement didactique et autrement mieux lié que le premier\ : "Quant à l'enchaînement de ses parties, il a infiniment plus d'ordre que [le précédent], ce qui fait croire que l'auteur l'a composé sans interruption\ ; avantage que l'autre n'a pas eu apparemment[(//Id//., p. 91.)]". Vidal qualifie sa "brillante exposition" de "sublime" et reproche à la //Décade// d'en avoir fait "une critique politique", puisqu'il tient pour sa part que\ : "Lorsqu'on lit un orme, il faut en examiner le mérite littéraire sans y mêler des opinions politiques[(//Id//., p. 92-93.)]." Le reste du chant est commenté avec éloge, et fait notable, Vidal défend l'épisode final contre les condamnations de nombreux critiques, notamment le //Moniteur//, dont il juge les observations ici "spécieuses[(//Id//., p. 96.)]". Sans être enthousiaste, Vidal juge que l'épisode n'est pas en soi disproportionné, pour lui les "îles flottantes" font bien partie des "phénomènes [de l']agriculture merveilleuse" que Delille a choisi de chanter, et loin de regretter que Delille n'ai pas mis en scène des divinités nordiques, comme Ossian, plutôt qu'un personnel antique, il regrette que le poète ne soit pas passé de ces personnages surnaturels, dont la convocation n'était pas exigée, selon lui, par le caractère "naturel" de l'événement peint[(//Id//., p. 97-98.)].
  
-En abordant le **chant 3**, Vidal balaye l'argument selon lequel ces vers auraient mieux été à leur place dans un poème sur l'histoire naturelle, et il ajoute au contraire qu'à ses yeux, **un lien particulier l'unit à la section précédente**\ : "ce chant & celui qui précède sont plus particulièrement liés entre eux, & dépendent plus l'un de l'autre que du premier & du quatrième[(//Id//., p. 99.)]"Puis il livre un inventaire détaillé du chant, qui entre combien son propos va-et-vient entre l'œuvre et les jugements dont elle a déjà fait l'objet.+En abordant le **chant 3**, Vidal balaye l'argument selon lequel ces vers auraient mieux été à leur place dans un poème sur l'histoire naturelle, et il ajoute au contraire qu'à ses yeux, **un lien particulier l'unit à la section précédente**\ : "ce chant & celui qui précède sont plus particulièrement liés entre eux, & dépendent plus l'un de l'autre que du premier & du quatrième[(//Id//., p. 99.)]". 
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 +Enfin, le chant 4 fait l'objet d'une discussion liée à un débat déjà lancé\ : 
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 +Les uns soutiennent qu'il ne tient pas au sujet du poëme, & qu'il n'y a rien de commun entre un homme des champs & un homme qu'on instruit à faire des vers sur la campagne. 
 +\\ D'autres pensent, au contraire, que l'objet du poète étant d'apprendre à l'homme d'un esprit cultivé à jouir de tout ce qui est relatif aux champs, c'est ajouter beauconp à ses jouissances, que de lui apprendre aussi à chanter la nature en vers dignes d'elle. 
 +\\ D'autres enfin ont assimilé ce chant au quatrième des Géorgiques latines. Si Virgile a pu consacrer aux soins qu'on doit aux abeillesle dernier chant d'un poëme sur l'agriculture, pourquoi, disent-ils, Delille ne pourroit-il pas consacrer le dernier chant d'un poème sur les jouissances de la campagne, à l'art de les chanter[(//Id//., p. 113.)]\ ? 
 + 
 +==== Le chant 3 ==== 
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 +La discussion des détails du chant 3 est relativement longue, nous en reproduisons la quasi intégralité, en procédant à des coupes pour indiquer les vers cités. Comme le montre nos sous-titres, **le propos se concentre tantôt sur le contenu des vers, tantôt sur celui des commentaires qu'ils ont déjà suscités**.
  
-  * **Ouverture**+  * **Jugement sur l'ouverture**
  
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 Lui seul jouit de tout. Lui seul jouit de tout.
  
-Il me semble que Delille auroit pu éviter cette redite.+Il me semble que Delille auroit pu éviter cette redite[(//Id.//, p. 99.)].
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 "C'est une exposition éloquente, dit la //Décade//, mais une simple exposition de systême. On l'écoute, on n'observe pas soi-même, on n'a rien à voir, on n'est pas sur les lieux." "C'est une exposition éloquente, dit la //Décade//, mais une simple exposition de systême. On l'écoute, on n'observe pas soi-même, on n'a rien à voir, on n'est pas sur les lieux."
-\\ Je pense aussi que si l'auteur nous eût montré ce qu'il ne fait que nous expliquer, cela eût été bien plus animé, & par conséquent bien plus poétique. Expliquer un systême appartient à un traité en prose, au lieu que peindre les objets à nos yeux, est du ressort de la poésie. Or, puisqu'un poème didactique ne diffère d'un traité en prose que par la forme, j'aime bien qu'on observe cette forme.+\\ Je pense aussi que si l'auteur nous eût montré ce qu'il ne fait que nous expliquer, cela eût été bien plus animé, & par conséquent bien plus poétique. Expliquer un systême appartient à un traité en prose, au lieu que peindre les objets à nos yeux, est du ressort de la poésie. Or, puisqu'un poème didactique ne diffère d'un traité en prose que par la forme, j'aime bien qu'on observe cette forme[(//Id.//, p. 99-101.)].
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 +Vers concernés : [[chant3#v149|chant 3, vers 149-174]]
  
   * **Les catastrophes**   * **Les catastrophes**
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 \\ Contempleront au loin, avec étonnement, \\ Contempleront au loin, avec étonnement,
 \\ Des hommes & des arts ce profond monument, &c. \\ Des hommes & des arts ce profond monument, &c.
-……+[(//Id.//, p. 101-102.)]……
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 +Vers concernés : [[chant3#v149|chant 3, vers 149-174]]
  
   * **Évocation de Buffon et des reliefs**   * **Évocation de Buffon et des reliefs**
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 \\ Tout le monde s'accorde sur cette remarque\ ; elle est incontestable. \\ Tout le monde s'accorde sur cette remarque\ ; elle est incontestable.
 \\ Apostrophe faite par l'auteur à sa patrie, la Limagne. C'est là surtout, dit-il, que Buffon eût admiré les sublimes horreurs de la nature. \\ Apostrophe faite par l'auteur à sa patrie, la Limagne. C'est là surtout, dit-il, que Buffon eût admiré les sublimes horreurs de la nature.
-\\ Comparaison de l'histoire du monde avec l'histoire d'un marbre qui, rongé par l'âge, est devenu un grain.+\\ Comparaison de l'histoire du monde avec l'histoire d'un marbre qui, //rongé par l'âge//, est devenu un grain[(//Id.//, p. 102-103.)].
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 +Vers concernés : [[chant3#v149|chant 3, vers 149-174]]
  
   * **Refus du persiflage**   * **Refus du persiflage**
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 Eh non\ ! encore une fois (poursuit le même journal), ne dites pas, peignez les objets, faites qu'on croie les voir, &c." Eh non\ ! encore une fois (poursuit le même journal), ne dites pas, peignez les objets, faites qu'on croie les voir, &c."
-\\ Même observation que plus haut.+\\ Même observation que plus haut[(//Id.//, p. 103-105.)].
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 +Vers concernés : [[chant3#v149|chant 3, vers 149-174]]
  
   * **Droit au badin**   * **Droit au badin**
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 \\ On lit peu ces auteurs nés pour nous ennuyer, \\ On lit peu ces auteurs nés pour nous ennuyer,
 \\ Qui toujours sur un ton semblent nous psalmodier. \\ Qui toujours sur un ton semblent nous psalmodier.
-\\ <tab><tab><tab>BOILEAU.+\\ <tab><tab><tab>BOILEAU[(//Id.//, p. 105.)].
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-  * **Une querelle chronologique**+Vers concernés : [[chant3#v149|chant 3, vers 149-174]] 
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 +  * **Querelles chronologiques**
  
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 Vous donc qui prétendiez, profanant ma retraite, &c… Vous donc qui prétendiez, profanant ma retraite, &c…
  
-afin qu'il y ait une espèce d'unité de temps\ ; dans un poëme qui doit passer à la postérité, & qui, par conséquent, ne sauroit être trop clair.+afin qu'il y ait une espèce d'unité de temps\ ; dans un poëme qui doit passer à la postérité, & qui, par conséquent, ne sauroit être trop clair[(//Id.//, p. 106-107.)].
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-A ce stade, Vidal cite la proposition de **remaniement du plan** faite par Ginguené, et l'approuve, tout en concédant\ : "on me répondra fort bien que Delille n'a pas besoin de guide dans le vaste champ de la poésie, dont il a encore reculé les limites[(//Id.//, p. 91.)]".+Vers concernés : [[chant3#v149|chant 3, vers 149-174]] 
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 +A ce stade, Vidal cite la proposition de **remaniement du plan** faite par Ginguené à propos de toute cette première partie du chant, et il l'approuve, tout en concédant\ : "on me répondra fort bien que Delille n'a pas besoin de guide dans le vaste champ de la poésie, dont il a encore reculé les limites[(//Id.//, p. 108.)]".
  
   * **Botanique et cabinet**   * **Botanique et cabinet**
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 \\ Dont le ciel a pour vous peuplé votre domaine. \\ Dont le ciel a pour vous peuplé votre domaine.
  
-Enumération de plusieurs espèces de minéraux, de végétaux, d'animaux & d'insectes.+Enumération de plusieurs espèces de minéraux, de végétaux, d'animaux & d'insectes[(//Id.//, p. 109.)].
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-C'est alors seulement que Vidal signale : "On a fait sur ces morceaux inimitables des critiques de toutes les sortes", et il cite notamment le //Mercure//, où Fontane avait jugé peu attirante une "galerie de squelette", pour lui répondre\ :+Vers concernés : [[chant3#v149|chant 3, vers 149-174]] 
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 +C'est alors seulement que Vidal signale : "On a fait sur ces morceaux inimitables des critiques de toutes les sortes[(//Ibid.//)]", et il cite notamment le //Mercure//, où Fontane avait jugé peu attirante une "galerie de squelette", pour lui répondre\ :
  
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-Cette critique tombe plutôt sur le sujet de ce chant que sur le morceau dont il est question. Si l'on admet l'étude de l'histoire naturelle dans un poème sur les champs, je crois que l'observateur dont nous parle Delille, peut bien rassembler dans son cabinet une foule d'oiseaux morts, pour étudier leurs différentes espèces & admirer la variété de leur plumage, sans que cela nuise au plaisir que doit lui procurer le chant mélodieux de ceux qui voltigent autour de lui. Je crois même qu'il seroit bien difficile à celui qui veut acquérir des connoissances en histoire naturelle, de distinguer à la volée les diverses espèces d'oiseaux & d'insectes. Si cela étoit, la science de Buffon seroit bien bornée, & l'on ne devroit pas espérer qu'elle fît beaucoup de progrès.+Cette critique tombe plutôt sur le sujet de ce chant que sur le morceau dont il est question. Si l'on admet l'étude de l'histoire naturelle dans un poème sur les champs, je crois que l'observateur dont nous parle Delille, peut bien rassembler dans son cabinet une foule d'oiseaux morts, pour étudier leurs différentes espèces & admirer la variété de leur plumage, sans que cela nuise au plaisir que doit lui procurer le chant mélodieux de ceux qui voltigent autour de lui. Je crois même qu'il seroit bien difficile à celui qui veut acquérir des connoissances en histoire naturelle, de distinguer à la volée les diverses espèces d'oiseaux & d'insectes. Si cela étoit, la science de Buffon seroit bien bornée, & l'on ne devroit pas espérer qu'elle fît beaucoup de progrès[(//Id.//, p. 110-111.)].
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 Nature ! ô séduisante & sublime déesse ! Nature ! ô séduisante & sublime déesse !
 \\ Que tes traits sont divers\ ! Tu fais naître dans moi, \\ Que tes traits sont divers\ ! Tu fais naître dans moi,
-\\ Ou les plus doux transports, ou le plus saint effroi[(Vidal cite encore une dizaine de vers de ce segment du chant 4.)].+\\ Ou les plus doux transports, ou le plus saint effroi[(//Id.//, p. 111. Vidal cite encore une dizaine de vers de ce segment du chant 4.)].
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 +
 +  * **Synthèse**
 +
 +Vidal conclut ce long parcours par un **résumé des principaux défauts de plan** qu'il a pensé relever au fil de son examen. Dans ce cadre, il note que "l'objet du troisième chant est beaucoup plus lié à l'objet du second qu'à celui du premier ou du quatrième\ ; que la première partie de ce chant n'a point l'ordre qu'on y auroit désiré, & que l'épisode de Raton n'est point digne des tableaux majestueux dont il est précédé[(//Id.//, p. 121.)]".
 +===== Troisième question : l'exécution =====
 +
 +Dans cette section, publiée en mai 1801, Vidal commence par discuter les "vices de détails" et "négligences de style", tout en précisant que "les beautés de ce genre sont trop nombreuses pour pouvoir les citer toutes[(//Id//., mai 1801, p.\ 73.)]" et qu'on ne doit pas lire un grand poète une grammaire à la main… Cette distinction le conduit à procéder en deux temps.
 +
 +==== Les faiblesses ====
 +
 +Ici, le critique ne suit plus l'ordre du texte, mais tend à grouper les vers par catégorie de défauts. Nous ne citons que les exemples tirés du chant 3.
 +
 +  * **Syllepses**
 +
 +Vidal, déplorant de trouver "des mots employés en même temps au moral et au physique", cite le tour : 
 +
 +
 +Comme elle (//la mer//) à son aspects vos pensers sont //profonds//[(//Id//., p. 77.)].
 +
 +  * **Préciosité**
 +
 +Si la tirade sur Buffon n'étoit pas entièrement vicieuse, par l'inadvertance que l'auteur y a commise, je pourrois y reprendre ce vers ,qui me semble du style précieux.
 +
 +Par des ambassadeurs //courtisa// la nature,
 +
 +Mais tout ce morceau sera sans doute refondu[(//Id//., p. 78.)].
 +
 +  * **Plagiats ?**
 +
 +La //Décade// prétend [que] Delille a pris un vers à Lebrun. Quand on se rencontre avec l'idée d'un grand poète, dit-elle, il ne saut pas répéter ce qu'il a dit, mais tâcher de s'exprimer autrement & aussi bien. Je crois cependant que Lebrun donneroit bien volontiers son vers pour celui de Delille, quoiqu'on veuille que ce soit le même.
 +\\ Delille a dit de Buffon qu'il
 +
 +Eleva sept fanaux sur l'océan des âges,
 +
 +Et Lebrun, qu'il
 +
 +\\ "A posé septs flambeaux sur la route du temps."
 +
 +Or, je demande dans lequel de ces deux vers on trouve l'image la plus grande, & l'expression la plus élégante[(//Id//., p. 85.)].
 +
 +  * **Vers "durs" ou "désagréables"**
 +
 +Vidal critique le vers "L’emporta dans les champs, et de //sa cime nue//", mais loue ceux où élu dureté même fait un effet imitatif admirable", comme "Bondit de roc en roc, roule de cime en cime[(//Id//., p. 86-87.)]".
 +
 +  * **Vers "brisés"**
 +
 +Vidal critique un tour comme
 +
 +La pervenche, grand Dieu, la pervenches Soudain
 +Il la couve des yeux.
 +
 +où il voit un exemple de vers "brisés par la seule nécessité de remplir la mesure du vers & de faire la rime[(//Id//., p. 88.)]".
 +
 +  * **Parallélismes**
 +
 +Vidal juge monotone une réplétion comme :
 +
 +Que de fleuves obscurs y dérobent leur source ! 
 +\\ Que de fleuves fameux y terminent leur course ! 
 +
 +Mais peut-on en dire autant de ceux-ci, que la //Décade// a critiqués sí injustement ?
 +
 +Combien de temps sur lui l'Océan a coulé\ !
 +\\ Que de temps dans leur sein les vagues l'ont roulé\ !
 +\\ …
 +\\ L'orage dans les mers de nouveau le porta\ ;
 +\\ De nouveau sur ses bords, la mer le rejeta[(//Id//., p. 89.)].
 +
 +==== Les réussites ====
 +
 +Revenant à l'idée que les beautés abondent dans l'œuvre, Vidal termine par un inventaire extrêmement élogieux. Il cite de longs extraits, en insistant à chaque fois sur leur maestria, et dans ce cadre, il réserve **une place de choix au chant 3**.
 +
 +Le troisième chant est sans contredit celui où brille le plus grand nombre de beautés neuves & de difficultés heureusement vaincues\ ; car aucun poëte avant lui n'avoit traité en vers l'histoire naturelle.
 +\\ La superbe peinture des ravages des volcans amène ce morceau, dans lequel l'auteur a imité si ingénieusement Virgile\ :
 +
 +Dans ce désastre affreux, quels fleuves ont tari\ !
 +\\ Quels sommets ont croulé, quels peuples ont péri\ !
 +\\ Les vieux âges l'ont su, l'âge présent l'ignore\ ;
 +\\ Mais de ce grand fléau la terreur dure encore.
 +\\ Un jour, peut-être, un jour les peuples de ces lieux
 +\\ Que l'horrible volcan inonda de ses feux,
 +\\ Heurtant avec le soc des restes de murailles,
 +\\ Découvriront ce gouffre, &, creusant ses entrailles.
 +\\ Contempleront au loin, avec étonnement,
 +\\ Des hommes & des arts ce profond monument\ ;
 +\\ Cet aspect si nouveau des demeures antiques\ ;
 +\\ Ces cirques, ces palais, ces temples, ces portiques\ ;
 +\\ Ces gymnases, du sage autrefois fréquentés,
 +\\ D'hommes qui semblent vivre encore tout habité\ :
 +\\ Simulacres légers, prêts à tomber en poudre,
 +\\ Tous gardant l'attitude où les surprit la foudre\ ; 
 +\\ L'un enlevant son fils,l'autre emportant son or
 +\\ Cet autre ses écrits, son plus riche trésor\ ;
 +\\ Celui-ci dans ses mains tient son dieu tutélaire\ ;
 +\\ L'autre, non moins pieux, s'estchargé de son père\ ;
 +\\ L'autre, paré de fleurs & la coupe à la main,
 +\\ A vu sa dernière heure & son dernier festin.
 +
 +Les trois exclamations qui commencent ce morceau produisent dans l'ame l'émotion la plus vive, & la préparent aux impressions les plus terribles. Mais rien n'est plus frappant que cette image\ :
 +
 +Simulacres légers, prêts à tomber en poudre,
 +\\ Tous gardant l'attitude où les surprit la foudre.
 +
 +Tout ce morceau se prolonge de phrase en phrase, semblable à un homme qui parcourt lentement lessouterrains d'Herculanum, & dont les regards étonnés s'arrêtent avec consternation sur tous les monumens qui l'environnent.
 +
 +Maintenant je vais rapprocher deux des plus beaux exemples de gradation que nous ayons dans la poésie française. Tous deux sont dans un sens opposé, & tous deux nous offrent les plus sublimes leçons de philosophie.
 +\\ Dans le premier nous voyons un rocher que le temps, a réduit à un grain de sable\ ; & dans le second, c'est un grain de neige qu'un oiseau détache du haut des monts, & qui roulant sur d'énormes amas de cette matière, accroît sa masse de moment en moment, & dont la chute est cause des plus grands désastres.
 +\\ Voici le premier :
 +
 +Mais sans quitter vos monts et vos vallons chéris,
 +\\ Voyez d'un marbre usé le plus mince débris :
 +\\ Quel riche monument\ ! De quelle grande histoire
 +\\ Ses révolutions conservent la mémoire\ !
 +\\ Composé des dépôts de l'empire animé,
 +\\ Par la destruction ce marbre fut formé.
 +\\ Pour créer les débris dont les eaux le pétrirent,
 +\\ De générations quelles soules périrent\ !
 +\\ Combien de temps sur lui l'Océan a coulé\ !
 +\\ Que de temps dans leur sein les vagues l'ont roulé\ !
 +\\ En descendant des monts dans ses profonds abymes,
 +\\ L'Océan autrefois le laissa sur leurs cimes\ ;
 +\\ L'orage dans les mers de nouveau le porta\ ;
 +\\ De nouveau sur ses bords la mer le rejeta,
 +\\ Le reprit, le rendit : ainsi, rongé par l'âge,
 +\\ Il endura les vents et les flots et l'orage.
 +\\ Enfin, de ces grands monts humble contemporain,
 +\\ Ce marbre fut un roc, ce roc n'est plus qu'un grain\ ;
 +\\ Mais, fils du temps, de l'air, de la terre et de l'onde, 
 +\\ L'histoire de ce grain est l'histoire du monde.
 +
 +Comme le balottement de ce marbre est supérieurement imité par le balottement de ces vers\ :
 +
 +L'orage dans les mers de nouveau le porta ;
 +\\ De nouveau sur ses bords la mer le rejeta,
 +\\ Le reprit, le rendit … !
 +
 +Celui-ci surtout est vraiment du sublime d'images :
 +
 +Ce marbre fut un roc, ce roc n'est plus qu'un grain.
 +
 +Mais voyons l'autre morceau.
 +
 +Souvent un grand effet naît d'une foible cause.
 +Souvent sur ces hauteurs l'oiseau qui se repose,
 +Détache un grain de neige. A ce léger fardeau,
 +Des grains dont il s'accroît se joint le poids nouveau\ ;
 +La neige autour de lui rapidement s'amasse ;
 +De moment en moment il augmente sa masse\ : 
 +L'air en tremble, et soudain, s'écroulant à la fois,
 +Des hivers entassés l'épouvantable poids
 +Bondit de roc en roc, roule de cime en cime,
 +Et de sa chute immense ébranle au loin l'abyme. 
 +Les hameaux sont détruits, et les bois emportés\ ;
 +On cherche en vain la place où surent les cités,
 +Et sous le vent lointain de ces Alpes qui tombent,
 +Avant d'être frappés, les voyageurs succombent.
 +Ainsi, quand des excès, suivis d'excès nouveaux,
 +D'un état par degrés ont préparé les maux,
 +De malheur en malheur sa chute se consomme\ ;
 +Tyr n'est plus,Thèbes meurt, et les yeux cherchent Rome\ !
 +
 +En vain je cherche dans l'antiquité des morceaux de ce genre plus beaux que ces deux derniers. Vous, qui faites de Delille comme de Boileau, un versificateur, un imitateur excellent, mais qui lui resfusez l'imagination d'un poëte, lisez ces vers & répondez. L'admiration dont je suis pénétré me laisse à peine la faculté d'en analyser les beautés innombrables. Et d'ailleurs, ai-je besoin de faire remarquer des beautés aussi frappantes\ ? Dirai-je comme cette peinture des avalanches est admirablement préparée & terminée par deux principes de la plus sublime philosophie\ ? Ferai-je observer l'harmonie mâle & imitative de ces vers, & la marche d'abord rapide & ensuite pesante de cette phrase qui nous offre la plus belle gradation que l'on puisse citer\ ? Non sans doute, je n'entrerai point dans ces détails superflus. De semblables beautés sont senties par tout le monde, & ce seroit même affoiblir l'enthousiasme qu'elles inspirent, que de vouloir les expliquer.
 +\\ Mais si le génie de Delille s'est élevé dans des routes inconnues, & a ouvert une nouvelle carrière au sublime, il a eu peut-être autant de mérite de nous avoir peint avec noblesse des objets que la poésie avoit dédaignés jusqu'alors. Avec quelle élégance il décrit une foule d'insectes\ ! Le //Moniteur// a prétendu que c'étoit une //nomenclature//, ce qui signifie une liste de noms. Mais il est facile de voir si dans cette charmante galerie d'insectes, on trouve leurs noms ou des images qui les représentent.
 +
 +Ceux qui d'un fil doré composent leur tombeau,
 +Ceux dont l'amour dans l'ombre allume le flambeau\ ;
 +L'insecte dont un an borne la destinée\ ;
 +Celui qui naît, jouit et meurt dans la journée,
 +Et dont la vie au moins n'a pas d'instans perdus.
 +Vous tous, dans l'univers en foule répandus,
 +Dont les races sans fin, sans fin se renouvellent,
 +Insectes, paroissez, vos cartons vous appellent\ !
 +Venez avec l'éclat de vos riches habits,
 +Vos aigrettes, vos fleurs, vos perles, vos rubis,
 +Et ces fourreaux brillans, et ces étuis fidèles,
 +Dont l'écaille défend la gaze de vos ailes.
 +……
 +Que j'observe de près ces clairons, ces tambours,
 +Signal de vos fureurs, signal de vos amours,
 +Qui guidoient vos héros dans les champs de la gloire,
 +Et sonnoient le danger, la charge et la victoire\ ;
 +Enfin tous ces ressorts, organes merveilleux,
 +Qui confondent des arts le savoir orgueilleux,
 +Chefs-d'œuvres d'une main en merveilles féconde,
 +Dont un seul prouve un Dieu, dont un seul vaut un monde.
 +
 +Combien cette dernière pensée devient sublime, après une description d'insectes presqu'imperceptibles\ ! Combien c'est nous intéresser à des êtres qui, aux yeux du vulgaire, paroissent si chétifs & si vils\ ! Combien c'est agrandir les plus petits objets qui existent dans la nature\ ! Je ne résiste point au plaisir de rappeler ici ce beau vers que j'ai déjà cité\ :
 +
 +Un même Dieu créa la mousse et l'univers.
 +
 +C'est ainsi qu'un grand poète répand dans ses écrits les plus belles leçons de morale & de philosophie. C'est ainsi que le père de la poésie nous présente souvent, dans son Odyssée, cette vérité touchante que Deltlle a exprimée dans ce vers\ :
 +
 +Partout des biens, des maux , des fléaux , des bienfaits\ !
 +
 +Enfin il n'est presque pas un vers dans tout ce morceau sur les insectes, qui ne soit un modèle d'élégance & de précision, & qui n'offre l'image la plus brillante & la plus poétique.
 +===== Quatrième question : Effet que produit l'ouvrage  =====
  
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