Différences
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illustrations [2017/05/02 11:05] – créée Sophie Christe | illustrations [2017/12/09 02:00] – [1.1 Un premier thème: l'herborisation] Sophie Christe | ||
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====== Les illustrations ====== | ====== Les illustrations ====== | ||
- | - Fonction et signification éditoriale | + | <WRAP important> |
- | - Motifs préférés | + | Dès le milieu du 18e siècle, parallèlement à la réduction des coûts d’exploitation, |
+ | |lien]].)], sont donc autant des arguments de vente que des instruments de prestige. | ||
- | ===== Les éditions illustrées ===== | + | Les innovations dans la production (papier continu, presse mécanique, stéréotypie) continuant de se développer rapidement au début du 19e siècle, le livre va peu à peu se démocratiser avant de se faire dépasser par la presse[(Martin, |
+ | |lien]].)]. | ||
- | [Texte.] | + | Lorsque paraît l’//Homme des champs//, la disposition ainsi que le nombre des illustrations au sein du livre dépendent encore énormément du format et du prix du support. D’où un très grand nombre d’éditions différentes, |
- | ===== Les images satellites ===== | ||
- | [Texte.] | + | ===== 1. Les éditions illustrées de l' |
- | ===== Quelques | + | ==== 1.1 Un premier thème: l' |
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+ | Dans la première édition de 1800, le chant 3 de l’Homme des champs est illustré par une gravure de Christophe Guérin représentant la découverte de la pervenche et sous-titrée d’une fraction du vers 441. | ||
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+ | <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> Christophe Guérin, Chant III, vers 415[(Reproduction de l' | ||
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+ | Cette scène se réfère aux vers 439 à 444 du chant 3: | ||
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+ | <WRAP round box 60%> | ||
+ | Voyez quand la pervenche, en nos champs ignorée, | ||
+ | \\ Offre à Rousseau sa fleur si long-temps désirée ; | ||
+ | \\ La pervenche, grand Dieu ! la pervenche ! Soudain | ||
+ | \\ Il la couve des yeux, il y porte la main, | ||
+ | \\ Saisit sa douce proie : avec moins de tendresse | ||
+ | \\ L’amant voit, reconnoît, adore sa maîtresse. | ||
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+ | En étudiant cette gravure, le lecteur de l’époque reconnaît immédiatement Rousseau sous les traits du personnage âgé situé en son centre. Le tricorne, le bouquet et la cane font en effet partie des attributs visuel de la figure de Rousseau herborisant. Par ailleurs, l’exclamation de joie « La pervanche!… », rehaussée par son ablation du vers, fait écho à un passage célèbre des Confessions (« ah voila de la pervenche ») au cours duquel la découverte de la fleur bleue fait ressurgir chez Rousseau le souvenir d’une promenade avec Mme de Warens. Cette relation intertextuelle entre les Confessions et L’Homme des champs permet d’identifier aussi les autres éléments insérés par Guérin dans l’image et que le chant 3 seul ne permet pas d’identifier: | ||
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+ | Deux ans plus tard, l’édition de Levrault à Strasbourg utilise comme frontispice une gravure reprenant le même thème, l’herborisation, | ||
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+ | Christophe Guérin, Chant III[(Reproduction de l' | ||
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+ | On y trouve de nombreux éléments évoqués dans les vers: la « troupe d’amis » (vers 408), le pique-nique, | ||
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+ | Pourtant, bien que les vers le désignent comme le sujet du tableau, Jussieu n’est pas mis en valeur par le dessin. Ses traits sont à peine visibles sous l’ombre du feuillage. Un éclairage local sur le centre droit fait apparaître de manière presque encyclopédique certains objets, tels que les outils de récolte, la nappe de pique-nique, | ||
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+ | Une autre scène d’herborisation orne le frontispice de la section « Variantes (…) et morceaux ajoutés par l’auteur, avec figures » de l’édition de Levrault publiée à Paris en 1804. De manière intéressante, | ||
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+ | {{ :: | ||
+ | <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> <tab> Franz Ludwid Catel, (l' | ||
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+ | L’image partage de nombreuses similarités avec celle de Guérin. On y retrouve la figure de Jussieu, sage aux cheveux blancs inspectant une plante, qui constitue clairement chez Catel le centre de la scène en concentrant l’attention des personnages. Cependant, le trait rend l’ensemble plus naïf que chez Guérin. Les personnages semblent plus guindés et moins actifs. La symbiose entre les hommes et la nature est aussi moins évidente que dans l’image de Guérin: Jussieu paraît même être assis dans un fauteuil. | ||
+ | En comparant les deux images, un détail supplémentaire attire l’attention: | ||
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+ | La scène de l’expédition botanique s’impose comme une représentation iconographique fondamentale de l’Homme des champs. En plus de se prêter à la réalisation esthétique d’un tableau bucolique, l’herborisation allie science et plaisir, un objectif central dans la démarche pédagogique de Delille. L’instauration de ce lien par la littérature s’immortalise particulièrement dans la découverte de la pervenche. Pour le lecteur, ce motif provoque alors l’effet d’une mise en abîme de ses propres souvenirs de lectures. Ainsi, à travers l’association avec les grands patrons que représentent Rousseau et Jussieu, les illustrateurs inscrivent le chant 3 dans une tradition scientifique, | ||
+ | Des deux graveurs, Guérin rejoint le plus le projet de Delille en accordant une place grandissante à la nature jusqu’à mettre en scène un Rousseau rattrapé par les ans, ainsi qu’un Jussieu plongé dans l’ombre de son sujet. Il va même plus loin en compensant les allusions mythologiques de Delille par des personnage en chair et en os. Car aussi bien Guérin que Catel comprennent l’importance des présences humaines dans les tableaux pour instaurer une dimension plaisante et émotionnelle dans ce poème qui se veut dépourvu d’hommes. | ||
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+ | ==== 1.2 L’édition augmentée de 1805 ==== | ||
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+ | Les versions corrigées, augmentées et accompagnées de figures que promettent les nouvelles éditions de l’Homme des champs dès 1805 ne modifient en fait pas beaucoup les illustrations. Le quarto de 1805, par exemple, reprend la scène d’herborisation de Guérin. En raison du format, les vers accompagnant l’image ne sont pas inclus. L’édition de 1807, quant à elle, déplace simplement la cueillette de Catel en frontispice du chant 3. La plus grande innovation nous vient de notre édition de référence. Deux nouvelles vignettes sont introduites en début de chant: la première dépeint une station thermale, tandis que la deuxième met en scène l’auteur et sa chatte Raton. Le frontispice du chant 3 est lui aussi inédit et représente l’ermite devant le village détruit. | ||
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+ | Là encore, et cela peut surprendre dans un poème scientifique, | ||
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+ | La lumière met en valeur la face humanisée du félin, ainsi qu’un cerf qui semble se pâmer dans l’intérieur du poète. Chat apporte sa patte au poète, mais, tout comme dans le poème, tout semble se dérouler depuis sa perspective | ||
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+ | L’ermite, narrateur de la catastrophe, | ||
+ | Cette dernière image inspirera particulièrement les éditeurs, puisque elle se trouve aussi dans les éditions de 1808 et 1820, subissant des transformations mineures (l’image est encadrée dans l’édition de 1820 et le nom de l’artiste n’apparaît plus). | ||
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+ | Ce cheminement à travers les éditions illustrées rôle équilibrant: | ||
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+ | met en exergue la récurrence de deux motifs, apparemment jugés les plus aptes à représenter le chant 3: l’excursion botanique ainsi que l’ermite. Nous verrons qu’ils trouvent écho dans les représentations visuelles indépendantes des éditions de l’Homme des champs. | ||
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+ | ===== 2. Les traductions illustrées ===== | ||
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+ | En ce qui concerne d’éventuelles illustrations dans les traductions de l’Homme des champs, nous n’avons pour l’heure que trouvé l’exemple de sa traduction néerlandaise, | ||
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+ | Ce cheminement à travers les éditions illustrées met en exergue la récurrence de deux motifs, apparemment jugés les plus aptes à représenter le chant 3: l’excursion botanique ainsi que l’ermite. Nous verrons qu’ils trouvent écho dans les représentations visuelles indépendantes des éditions de l’//Homme des champs//. | ||
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+ | ===== 3. Les images satellites ===== | ||
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+ | Nous avons vu que les deux motifs qui paraissent cristalliser le chant 3 pour les éditeurs ainsi que pour les artistes sont ceux de la confection de l’herbier lors d’une expédition à la campagne et l’ermite qui rapporte aux voyageurs le récit de la destruction d’un village. Leur notoriété semble s’être étendue aux autres représentations visuelles cultivant un lien de parenté avec les vers de Delille. Les tableaux et estampes qui composent notre corpus datent des années 1820 à 1860 et témoignent ainsi de la réception visuelle de l’Homme des champs plusieurs dizaines d’années après sa parution. | ||
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+ | Le motif de l’herborisation étant intrinsèquement lié à la botanique, on peut s’attendre à trouver des allusions aux vers de Delille dans des livres collectant des planches botaniques. C’est en effet le cas des //Fleurs poétiques// | ||
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+ | Venons-en à présent au motif de l’ermite. Delille lui-même a mis en avant la puissance visuelle de la scène: « Mais j’apperçois d’ici les débris d’un village ;/ D’un désastre fameux tout annonce l’image » (vers 87-88) . La destruction du village est seulement le symptôme de la force de la nature qui recèle autant le sublime que le danger pour l’homme. Dans les tableaux et estampes représentant des paysages liés aux vers du chant 3, les hommes, s’ils sont toujours présents, paraissent souvent minuscules faces aux éléments. Dans //Vue des glaciers de Grindelwald// | ||
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+ | Le texte de Beattie, // | ||
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+ | Dans un chapitre précédant de son livre, Beattie décrit sa montée de Genève à Chamonix. Le chapitre s’accompagne d’une double épigraphe: les premiers vers, de Fontanes, reposent sur des caractéristiques identitaires des Alpes, les seconds, de Delille contiennent une dimension spirituelle, | ||
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+ | De GENÈVE À CHAMOUNI. | ||
+ | \\ Des siècles autour d'eux ont passe comme une heure . . . | ||
+ | \\ Et vous, vous y venez d'un œil observateur, | ||
+ | \\ Admirer dans ses plans l' | ||
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+ | Les trois illustrations du texte reflètent un dépouillement progressif de la végétation et une verticalisation du paysage qui s’apparentent à un parcours spirituel. | ||
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+ | Cependant, ce traitement romantique du paysage paraît dépasser quelquefois les intentions de Delille. Ainsi, les vers attribués à la marine d’Isabey Fils dans //Galerie lithographiée de son altesse royale monseigneur le duc d’Orléans// | ||
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+ | MARINE. | ||
+ | \\ --- | ||
+ | \\ //Peint par Eugène Isabey fils. | ||
+ | \\ Lithographié par M. Jaccottet.// | ||
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+ | O mer, terrible mer, quel homme à ton aspect | ||
+ | \\ Ne se sent pas saisi de crainte et de respect\ ! | ||
+ | \\ De quelle impression tu frappas mon enfance\ ! | ||
+ | \\ Mais alors je ne vis que ton espace immense\ ; | ||
+ | \\ Combien l' | ||
+ | \\ Là, le génie humain prit son plus noble essor. | ||
+ | \\ Tous ces nombreux vaisseaux, suspendus sur ces ondes, | ||
+ | \\ Sont le nœud des états, les courriers des deux mondes. | ||
+ | \\ Comme elle, à son aspect, vos pensers sont profonds. | ||
+ | \\ Tantôt vous demandez à ces gouffres sans fonds | ||
+ | \\ Les débris disparus des nations guerrières, | ||
+ | \\ Leur or, leurs bataillons, et leurs flottes entières. | ||
+ | \\ Tantôt avec Linnée, enfoncés sous les eaux, | ||
+ | \\ Vous cherchez ces forêts de fucus, de roseaux, | ||
+ | \\ De la Flore des mers invisible héritage, | ||
+ | \\ Qui ne viennent à nous qu' | ||
+ | \\ Eponges, polypiers, madrépores, | ||
+ | \\ Des insectes des mers miraculeux travaux. | ||
+ | \\ Que de fleuves obscurs y dérobent leur source\ ! | ||
+ | \\ Que de fleuves fameux y terminent leur course\ ! | ||
+ | \\ Tantôt, avec effroi, vous y suivez de l'œil | ||
+ | \\ Ces monstres qui de loin semblent un vaste écueil\ : | ||
+ | \\ Souvent avec Buffon vos yeux viennent y lire | ||
+ | \\ Les révolutions de ce bruyant empire, | ||
+ | \\ Ses courants, ses reflux, ces grands événements | ||
+ | \\ Qui de l'axe incliné suivent les mouvements\ ; | ||
+ | \\ Tous ces volcans éteints qui, du sein de la terre. | ||
+ | \\ Jadis allaient aux cieux défier le tonnerre\ ; | ||
+ | \\ Ceux dont le foyer brûle, au sein des flots amers; | ||
+ | \\ Ceux dont la voûte ardente est la base des mers, | ||
+ | \\ Et qui, peut-être un jour, sur les eaux écumantes, | ||
+ | \\ Vomiront des rochers et des îles fumantes. | ||
+ | \\ Peindrai-je ces vieux caps, sur les ondes pendants, | ||
+ | \\ Ces golfes qu'à leur tour rongent les flots grondants\ ; | ||
+ | \\ Ces monts ensevelis sous ces voûtes obscures, | ||
+ | \\ Les Alpes d' | ||
+ | \\ Tandis que ces vallons, ces monts que voit le jour, | ||
+ | \\ Dans les profondes eaux vont rentrer à leur tour\ ? | ||
+ | \\ Echanges éternels de la terre et de l' | ||
+ | \\ Qui semblent lentement se disputer le monde\ ! | ||
+ | \\ Ainsi l' | ||
+ | \\ Ainsi roulent les chars où voguaient des vaisseaux, | ||
+ | \\ Et le monde vieilli par la mer qui voyage, | ||
+ | \\ Dans l' | ||
+ | |||
+ | < | ||
+ | </ | ||
+ | |||
+ | Si la longue citation débute par la terreur éprouvée devant la mer et se termine par une description des profondeurs sous-marines comme une sorte de négatif des Alpes, elle s’étend aussi sur l’exploitation naturaliste de l’océan, une dimension scientifique qui ne transparaît pas dans l’image. | ||
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+ | ===== 4. Exemple de réception iconographique négative: la caricature ===== | ||
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+ | L’Examen de l’Homme des champs par le littérateur révolutionnaire Pierre-Jean-Baptiste Chaussard, un ouvrage qui critique vertement le poème, recèle en frontispice une caricature anonyme de Delille. | ||
+ | Delille y apparaît en équilibre sur une mince passerelle entre deux rivages. Le premier, vers lequel se tourne le poète, représente un monde chimérique, | ||
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+ | Delille y est dépeint comme un aristocrate tournant le dos à la réalité, se protégeant du soleil par une ridicule ombrelle et observant le monde à travers la perspective déformée et réduite d’une lunette. Cette caricature résume le portrait que tire Chaussard de Delille: celui d’un partisan de l’imaginaire et du mauvais goût qui se tient à l’écart de son sujet. Les vers qui accompagnent l’image, tirés du premier chant de l’Homme des champs, se retournent contre leur auteur en apportant une preuve coupable de cette observation retenue: « Majestueux Eté pardonne a mon silence! / J’admire ton éclat mais crains ta violence ». Le chant 3 est incarné par la présence de Raton. La présence du chat rappelle la dédicace incongrue que Delille adresse à sa fidèle compagne en fin de chant. | ||
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+ | ===== Œuvres visuelles concernées | ||
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+ | * [[gravures1805chant3|Catel et al., iconographie du chant 3 dans l' | ||
+ | * [[vatoutcatalogue# | ||
+ | * [[vatoutgalerie# | ||
+ | * [[renedejeuner# | ||
+ | * [[vatoutgalerie# | ||
+ | * [[beattieswitzerland|Beattie, | ||
+ | * [[croizetjobertrecherches|Croizet et Jobert, Recherches sur les ossemens fossiles du Département du Puy-de-Dôme]] | ||
- | [Texte.] | ||
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